Irlande et Brexit : quel est le problème avec les ports du Nord ?

Par Gaëtane Deljurie  |   |  601  mots
Le trafic maritime provenant d'Irlande et d'Écosse passe essentiellement par les ports britanniques de Liverpool, Southampton, Felixstowe et Douvres, pour arriver à Calais et Dunkerque (notre photo), avant éventuellement de repartir vers Zeebrugge, Anvers et Rotterdam. (Crédits : iStock)
C’est un peu la boulette de l’été. Dans la perspective de la sortie de l’Angleterre de l’Union européenne, la Commission européenne a proposé un nouvel itinéraire maritime pour relier l’Irlande au continent, en oubliant au passage les ports français. Comment est-ce arrivé ?

La décision a été prise le 1er août : pour éviter de lourdes procédures douanières pour le fret irlandais, la Commission européenne a tracé une nouvelle voie entre l'Irlande et l'Europe continentale. Et s'est dit que le plus simple était de relier les ports de Dublin et de Cork à leurs homologues de Zeebrugge et Anvers en Belgique, et de Rotterdam aux Pays-Bas. Sauf qu'en cette route maritime, on zappe les ports intermédiaires tout en allongeant la durée d'acheminement, le transit time entre Irlande et Zeebrugge étant de 28 heures, contre 14 ou 15 heures vers Calais.

Pas étonnant que les acteurs politiques et économiques de la région, qui multiplient les actions pour que la région des Hauts-de-France puisse bénéficier des retombées du Brexit, aient vu rouge : dans un communiqué, les présidents des CCI de la région des Hauts-de-France (Philippe Hourdain, François Lavallée, Bruno Fontaine) mais aussi le président de la mission Rev3 Philippe Vasseur et Frédéric Motte, le président du Medef des Hauts-de-France, ont refusé en bloc « que la Commission européenne sacrifient avec mépris les ports des Hauts-de-France ».

Plusieurs oublis

Même l'association des ports irlandais a pris la défense des ports du Nord, estimant qu'il serait plus opportun pour l'Irlande d'être directement connectée aux ports de l'Atlantique, soulignant au passage que la Commission avait oublié dans son schéma le port en eaux profondes irlandais de Shannon Foynes... Ports Normands Associés (PNA), autorité portuaire de Cherbourg & Caen-Ouistreham, n'a pas manqué de rappeler qu'elle aussi avait un rôle à jouer avec sa ligne Dublin-Rosslare et son million de tonnes de marchandises transportées par an.

Xavier Bertrand, président du conseil régional, comme Élisabeth Borne, ministre des Transports, ne se sont pas privés d'interpeller la commissaire européenne aux Transports Violeta Bulc à l'origine de la décision.

Dans un premier temps, elle a répondu n'avoir « pas connaissance de services réguliers vers les ports français du corridor, à savoir Calais et Dunkerque » avant de rassurer la France sur ce « périmètre limité et visant une solution à court terme », invitant à une discussion très prochaine autour des nouveaux systèmes de connexion.

Énormes enjeux

Les enjeux sont énormes : la région voit transiter des millions de tonnes de marchandises provenant de l'Irlande via l'Angleterre, que ce soit par la mer ou par la route. Si très peu de chiffres sont disponibles, l'office central des statistiques irlandais a calculé qu'un million de camions transitaient chaque année entre l'Irlande et l'Angleterre. On estime à 4,4 millions le nombre de camions ayant traversé la Manche en 2017.

Les poids lourds venant de Cork ou de Glasgow en Irlande traversent généralement la mer pour rallier Liverpool et atteindre le continent via le détroit de Calais-Douvres, que ce soit par le tunnel ou le ferry. Le port de Calais est particulièrement concerné dans cette affaire : le trafic maritime provenant d'Irlande et d'Écosse passe essentiellement par les ports britanniques de Liverpool, Southampton, Felixstowe et Douvres, pour arriver à Calais et Dunkerque avant éventuellement de repartir vers Zeebrugge, Anvers et Rotterdam.

Enfin, autre enjeu non négligeable, faire partie de ce que l'on appelle dans le jargon le corridor RTE-T de la mer du Nord, c'est aussi avoir accès à des subventions européennes pour moderniser les infrastructures de transport. Les budgets sont de l'ordre de 24 milliards d'euros pour la période 2014 et 2020, et environ 30 milliards pour 2021-2027.

___

Par Gaëtane Deljurie,
correspondante pour La Tribune dans les Hauts-de-France