Comment l'usine normande d'Acome a dépanné l'automobile chinoise

Par Nathalie Jourdan, à Rouen  |   |  668  mots
« Les faisceaux électriques sont considérés comme des éléments critiques parce ce qu'ils sont parmi les premiers composants à être installés sur les véhicules », rappelle Jacques de Heere, PDG d'Acome. (Crédits : DR)
Pour pallier la fermeture de ses deux usines de Wuhan, le groupe coopératif Acome a acheminé des dizaines de milliers de kilomètres de câbles de puissance depuis les vertes prairies du bocage normand vers les mégalopoles industrielles de l'empire du milieu. Objectif : éviter la panne aux constructeurs automobiles de Pékin et de Shangaï.

Si la Chine prouve avec éclat qu'elle est bien l'usine de monde au travers de cette crise, il arrive aussi (plus rarement convenons-en) que la dépendance joue dans l'autre sens... ce qui a quelque chose de revigorant. En témoigne l'histoire vécue par l'industriel normand Acome, ces dernières semaines. Pour la comprendre, il convient de planter le décor. Acteur majeur dans la fabrication de fibre optique pour les télécoms, la plus importante des coopératives françaises joue aussi dans la cour des grands sur le marché mondial du câblage de véhicules (45 % de son chiffre d'affaires). Rien d'étonnant donc à ce qu'elle soit implantée à Wuhan, équivalent chinois du Detroit américain, dont la plupart des Occidentaux n'avaient jamais entendu parler jusqu'à ce qu'elle devienne l'épicentre d'une pandémie mondiale. L'entreprise y fabrique notamment, pour le marché domestique, des câbles de puissance de nouvelle génération destinés aux véhicules décarbonés, voraces en faisceaux électriques.

Un confinement à géographie variable

L'histoire débute le 23 janvier, au plus fort de la période des congés du nouvel an chinois. « Nos deux usines ont fermé comme d'habitude pendant cette période. A cette époque, tout allait bien ou presque sauf qu'elles n'ont pas pu ré-ouvrir les 70 jours suivants à l'exception d'un tout petit département (lire encadré ci-dessous) », raconte encore surpris Frédéric Briand, directeur de la filiale chinoise d'Acome. L'intéressé est l'un des très rares Français à être restés dans l'œil du cyclone. Médusé, il assiste à la mise à l'arrêt complet d'une métropole de 11 millions d'habitants et de sa région. Le contraste est frappant avec le reste du pays où le pouvoir chinois autorise la reprise progressive de la production industrielle. Pendant que la province du Hubeï se claquemure, les constructeurs automobiles allemands et asiatiques réactivent leurs chaînes de production, Frédéric Briand dixit : « Les constructeurs et équipementiers situés hors de la province du Hubeï ont recommencé à nous demander de les approvisionner dès la mi-février »

Un « pont aérien » ouest-est

Difficile de ne pas répondre positivement à des clients qui représentent près du quart du chiffre d'affaires automobile du groupe. « Les faisceaux électriques sont considérés comme des éléments critiques parce ce qu'ils sont parmi les premiers composants à être installés sur les véhicules », rappelle Jacques de Heere, PDG d'Acome. Autrement dit, un seul câble manque et ce sont des lignes d'assemblage entières qui s'arrêtent à peine lancées. Pour pallier ce risque (et d'éventuelles infidélités de ses acheteurs), Acome a déployé un dispositif exceptionnel depuis son site historique de Mortain dans la Manche. Près de 40.000 kilomètres de câbles de puissance ont été acheminées par avion depuis la Normandie jusqu'aux aéroports de Pékin et de Shangaï, détaille Jacques de Heer. « Nous avons réalisé dix expéditions assez coûteuses mais dont nos clients nous ont été reconnaissants », assure-t-il. Une leçon de mondialisation inversée en somme.

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Encadré

Secours d'urgence

Acome n'a pas complètement stoppé son activité pendant le black out de Wuhan. A la demande express du groupe GMC, un constructeur d'ambulances, l'une de ses deux usines a été autorisée, après de multiples démarches, à remettre en route une petite ligne de production pour laquelle 20 salariés sur 200 se sont portés volontaires. Dans l'incapacité de rejoindre leur domicile faute de laissez-passer, ils ont dormi sur place pendant seize nuits sous des tentes installées, vaille que vaille, dans les salles de réunion. « Pour répondre à l'urgence, ils ont montré une solidarité tout bonnement incroyable en faisant tourner les machines douze heures par jours sans se plaindre une minute », raconte Frédéric Briand. Lequel vient d'accepter de prolonger de deux ans son séjour en Chine. Comme un gage de respect du manager à ses collaborateurs.