La maison imprimée en 3D « Made in Nantes » veut exporter son savoir-faire

Par Frédéric Thual, à Nantes  |   |  1310  mots
(Crédits : Frédéric Thual)
Annoncée comme une première mondiale, la maison nantaise, construite à l'aide d'une imprimante 3D est sortie de terre en quelques mois. Elle devrait être habitée à la rentrée prochaine par des bénéficiaires de l'habitat social. Accompagnateur et investisseur du projet, la SATT Ouest Valorisation a favorisé la création de la startup 4D2B pour commercialiser les secrets de fabrication.

 « On a montré que ça marchait et que la maison est habitable. La différence avec les produits concurrents, comme les chinois ou les russes, c'est qu'ici, nous avons tout construit sur place, sans assembler de modules préfabriqués », explique Benoit Furet, enseignant chercheur à l'Université de Nantes et porteur du projet Yhnova : à savoir la construction d'un habitat social de 95 m² à l'aide d'une imprimante 3D robotisée.

Né en quelques mois, au cœur du quartier populaire de la Bottière à Nantes, ce prototype, fonctionnel et certifié, permettrait de réduire de 15 à 20% les coûts de construction, d'abaisser les factures énergétiques et d'accélérer les délais de construction.

Une dizaine de brevets et/ou de grappes de brevets ont déposé pour l'Europe, l'Asie et les États-Unis. Une mission menée par la Société d'Accélération et de Transfert de Technologies (SATT) Ouest valorisation, créée dans le cadre des Investissements d'Avenir, pour assurer les transferts de technologie entre le monde académique et l'industrie.

« Nous avons atteint un niveau de TRL (Technology Readiness Level) de 8 qui correspond à la production du prototype dans l'échelle de maturation d'un projet », explique Vincent Lamande, Président de La SATT Ouest Valorisation.

Point de repère pour les bureaux d'innovation, cette échelle permet d'évaluer le coût de développement d'un projet. De 1 à 3 (la recherche de la preuve de concept), les industriels ne s'y intéressent pas. De 4 à 6, les spécialistes parlent de « fossé de la mort », le 9e stade correspond à la phase de commercialisation. On y est presque.

Vincent Lamande, President de Ouest Valorisation et Xavier Aduriz, ingénieur commercial à la direction marketing & Transfert de technologie Ouest Valorisation - Photo Frédéric Thual

Des qualités mesurées dans le temps

« La preuve de concept est là, devant vous », souligne Vincent Lamande, au pied de la bâtisse, comme glissée au chausse pied entre des arbres centenaires ou classés et un HLM de quatre étages. Pour se faufiler entre les écueils, il a fallu concevoir et manœuvrer un robot inexistant sur le marché.

Dans l'univers de la R&D plutôt habitué à la confidentialité des laboratoires, on a parfois tendu des bâches pour protéger ces innovations, des grains mais aussi des regards indiscrets alors que défilaient des délégations chinoise, danoise, polonaise, belge... sur le site. Des partenaires potentiels... qu'on a veillé à ne pas transformer en concurrent.

La dizaine de brevets touche à la fois la conception du robot, le process de fabrication, la composition de la mousse polyuréthane, les matériaux, le ferraillage, les buses de l'imprimante, les logiciels, la marque Batiprint3D, des angles de murs arrondis pour éviter la condensation... ou, encore, le type de peinture utilisé pour accentuer les qualités thermiques de l'habitat. La maison est équipée d'un bataillon de capteurs (température, qualité de l'air, hygrométrie), qui permettront de suivre son évolution dans les prochains mois et de vérifier qu'elle atteint bien l'objectif d'être 20% en-dessous des exigences requises par les normes RT 2012.

4D2B doit tre le leader européen de la construction en 3D

L'ensemble des brevets, sera bientôt traduit en offre technologique pour permettre la commercialisation de licences auprès d'industriels. C'est l'un des objets de la start-up 4D2B, en cours de création, portée par l'ingénieur doctorant Alexandre Anbiehl, acteur du Laboratoire des Sciences Numériques de Nantes (LS2N) qui, aux côtés de l'Institut de recherche en Génie Civil et Mécanique (GeM), a mis au point de procédé inédit de fabrication additive.

« C'est généralement ce qui se passe dans la santé. Sur des technologies de rupture, les industriels préfèrent soutenir une startup qui, elle, va prendre les risques avant d'être rachetée quelques années plus tard si tout se passe bien», observe-t-on à la SATT Ouest Valorisation.

4D2B sera bientôt incubée par la technopole nantaise Atlanpole, spécialisée dans l'accompagnement et l'accélération des entreprises innovantes, dans le cadre du programme Manufacturing Factory, lié à au développement de l'usine du futur. « 4D2B, parce qu'au-delà de la construction en 3D, nous investissons dans la quatrième dimension avec l'intelligence et les fonctionnalités dans les parois », justifie Benoit Furet. A ce jour, le capital de la startup serait détenu par trois enseignants chercheurs, un doctorant et un spécialiste du bâtiment.

« Très vite, nous allons constituer une équipe, dégager une stratégie, mener une levée de fonds, faire entrer des investisseurs et trouver des industriels susceptibles d'adopter tout ou partie de ces technologies. L'ambition est d'en faire le leader de l'impression 3D en Europe. Sur ce type de projet, la vocation est bien internationale », affirme Vincent Lamande.

Une première pour le City Lab nantais

La démarche du transfert de technologie suivra une logique déjà déployée avec la start-up rennaise Surfactgreen créée en 2016 pour accompagner le développement de tensioactifs 100% verts à partir de matières premières naturelles, après trente années de recherche, une dizaine de brevets et une levée de fonds de 1,2 millions d'euros. Dans ce type d'opération, la SATT Ouest Valorisation se rémunère sur la vente de licences ou de grappes de licences et grâce aux royalties négociées sur le chiffre d'affaires des industriels. Cette fois, l'histoire va beaucoup plus vite.

« Parce qu'on a réussi à mettre en relation et fédérer l'ensemble des acteurs académiques, institutionnels et économiques, à sécuriser l'espace public et à engager une évaluation dans le cadre du programme Nantes City Lab. Celui-ci est pensé pour faire de la métropole nantaise un champ d'expérimentation pour les projets innovants liés à l'idée de smart city », souligne Francky Trichet, adjoint au numérique de la ville de Nantes.

« Et c'est la première réalisation concrète de cet engagement », s'est réjoui Johanna Rolland, présidente de la Métropole. Parmi les effets collatéraux positifs, ce chantier a aussi permis de travailler sur la pénibilité au travail avec la réduction des troubles musculosquelettiques, d'alléger la dépendance aux conditions météorologiques en raison de l'absence d'échafaudage, de faire évoluer l'image des métiers du BTP et de favoriser l'émergence de nouveaux métiers comme celui de « roboticien ».

Des projets émergent à l'international

Chiffrée à 195.000 euros, la construction de la maison aura nécessité un investissement de plusieurs centaines de milliers d'euros. « Plus de 500.000 euros... », lâche un des acteurs du projet. Dont un tiers est investi par la SATT Ouest Valorisation, gestionnaire des brevets, et 250.000 euros amenés par la Caisse des dépôts et consignation. Déjà, des échanges et des chiffrages auraient lieu avec des groupes industriels.

« On étudie la création d'un lotissement péri-urbain dans la région d'Angers pour construire des maisons sur un niveau et R+1 dont la technologie est maintenant maitrisée, et avons un projet avec un promoteur chinois pour la construction de quarante maisons individuelles au sein d'un écoquartier piloté par un architecte français...», note Benoit Furet, joint par un promoteur mexicain intéressé.

La startup projette d'étudier la réalisation d'un bâtiment commercial de 700 m² dans l'Ouest de la France et la construction d'un centre de vacances sur l'île Maurice.

« C'est sûr que si les projets doivent se multiplier nous allons devoir investir... », dit-il.

Du coté des laboratoires de l'Université de Nantes, les recherches vont se poursuivre pour élever la construction et travailler avec des matériaux biosourcés, plus écologiques que la mousse polyuréthane...

« De manière aussi à pouvoir décliner et proposer des gammes...aux industriels », esquisse Vincent Lamande.