Evasol ou les contradictions du solaire

Mener une campagne de recrutement tout en conduisant un plan social : c'est l'étrange paradoxe auquel est confronté Evasol, l'ancien leader français des installations photovoltaïques à destination des particuliers. Retour sur un combat qui illustre les contradictions de toute une filière.
Stephane Moreau, le Pdg d'Evasol

Stéphane Maureau traverse une période compliquée. Qu'un seul grain de sable vienne enrayer la machine et "tout est mort". "Tout" ? Plus d'un an et demi d'efforts pour redresser la barre, naviguer à contre-courant des signaux envoyés par le gouvernement, tenter le virage de la diversification - le seul capable, d'après lui, de sortir l'entreprise de l'impasse. La société Evasol, placée en redressement judiciaire le 29 mars, vient d'apprendre du tribunal de commerce la prolongation de sa période d'observation. Son Pdg insiste : "Ce choix du redressement judiciaire n'est pas un geste d'impuissance mais un acte de gestion, pour tenter de se restructurer". Le moindre article négatif ou enterrant trop tôt l'entreprise, et Evasol sera la prochaine PME à rejoindre le cimetière européen des ex-gazelles du photovoltaïque, après Solon, Solar Millennium, Solar Hybrid et début avril Q-Cells, le leader du marché allemand.

Qui est responsable de la chute d'Evasol ?

Car pour comprendre les difficultés auxquelles l'entreprise est confrontée, il faut, au-delà de la question des aides gouvernementales, réaliser les enjeux de communication qui entourent la filière solaire. Qui est responsable de la chute d'Evasol ? Est-ce, comme le suggère Stéphane Maureau, uniquement le changement de cap gouvernemental ? Ou, comme l'indiquent plusieurs anciens salariés de la société, une « politique de gestion des ressources humaines désastreuses » ?

Retour en 2007, date de la création d'Evasol. Son Pdg, Stéphane Maureau, a tout pour être confiant : 25 ans d'expérience dans le photovoltaïque, une volonté tenace d'entreprendre, et la conviction que l'énergie solaire est prête à devenir un marché de masse en France. Les tarifs de rachat de l'énergie solaire négociés dans la foulée du Grenelle de l'environnement laissent prévoir une croissance ultra-rapide. Evasol fonde son modèle sur le mariage de deux cultures : une technicité qui se veut irréprochable, et des méthodes de vente agressives. L'entreprise espère ainsi réaliser au plus vite des économies d'échelles pour rendre rentable une activité qui ne l'est qu'à condition de faire baisser les prix de revient. Pour cela, Evasol structure son back office comme une chaîne de fabrication : le lean management appliqué à l'administration. Chaque mois, il faut obtenir les 700 autorisations municipales auxquelles sont suspendues les réalisations des contrats. Un process géré à la manière d'un système de production.

Eclatement de la bulle

Le système marche. Au printemps 2010, Evasol a vendu 12 000 installations. Basée à Limonest, dans la banlieue lyonnaise, l'entreprise emploie 400 salariés, s'est imposée comme le n° 1 de l'installation solaire à destination des particuliers, et vise un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros. Mais le vent a déjà commencé à tourner. Une bulle spéculative s'est rapidement formée autour de la filière photovoltaïque. Entre 2008 et 2010, l'explosion du marché mondial et la relance de la production de silicium ont fait chuter de 50 % le prix des panneaux solaires. Le coût de rachat de l'électricité, lui, n'a pas baissé, et culmine toujours à 60 centimes d'euros le kW/h, ce qui provoque un taux de retour sur investissement pouvant atteindre 40 %. Certaines entreprises jouent de ce phénomène de spéculation, en attendant parfois deux ans après l'obtention administrative du prix de rachat pour réaliser leur installation, espérant voire baisser encore le prix des composants. Le solaire devient ainsi un placement plus que rentable. Parallèlement, le président Nicolas Sarkozy donne des signaux forts au secteur, lors de sa visite sur le site de Savoie Technolac (73) en juin 2009. Evasol décide alors d'élargir son activité au marché des grandes toitures. Entre septembre et novembre 2010, 30 millions d'euros de commandes seront enregistrées. Elles ne verront jamais le jour. Le décret du 10 décembre 2010, qui impose un moratoire de trois mois sur le photovoltaïque et suspend l'obligation de rachat par EDF de l'énergie solaire, annule tous les projets qui n'ont pas encore reçu l'accord d'EDF.

Evasol s'y est-il pris trop tard ? "Les taux de retour sur investissement étaient malsains, nous savions que cette bulle ne pourrait pas durer. Nous avons attendu que les prix de rachat soient revus à la baisse [42 centimes d'euros le kW/h NDLR] pour ne pas nous engager dans un marché sur-aidé. C'était comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes", explique Stéphane Maureau, qui accuse le moratoire d'avoir protégé "les projets les moins vertueux" et tué les autres.

Mal-être chez les commerciaux

Mais le mal est fait, le photovoltaïque n'a plus le vent en poupe et les commerciaux sont les premiers à accuser le coup. Début 2011, tous leurs rendez-vous clients s'annulent purement et simplement. Les portefeuilles de commandes sont divisés par quatre. L'opinion publique a viré de bord, l'image de la filière s'est dégradée, et l'équipe commerciale le vit très mal. "La population des commerciaux en B2C peut être assez volatile, note Marie Pouget, directrice administrative et financière d'Evasol. Or notre machine repose sur eux. Sans les commerciaux, Evasol ferme. Notre matière première, c'est la commande". En fait, cela fait neuf mois que l'entreprise est prête pour le virage de la diversification. Le fonds d'investissement lyonnais Evolem a réinjecté au mois d'octobre 2,5 millions d'euros dans ce plan de relance. Un nouveau directeur général adjoint, Jean-Paul Pernet-Solliet, a rejoint l'entreprise pour conduire le changement et la restructurer. Le plan d'action qu'a présenté l'entreprise fin mai au tribunal de commerce de Lyon tient en deux points : poursuivre son activité de solaire résidentiel au sud de la ligne Bordeaux-Lyon, et se recentrer sur les métiers de l'économie d'énergie. Evasol dispose d'un fichier de 15 000 clients, qui lui permet de proposer des pompes à chaleur et des systèmes d'isolation à ceux qui hier avaient investi dans le photovoltaïque.

Mais la force de vente a décroché. Beaucoup ont quitté la maison Evasol, et la campagne de recrutement lancée cet automne par le siège pour porter ses équipes de 60 à 110 commerciaux se passe mal. Parmi les 3 000 CV que l'entreprise reçoit tous les mois, Evasol commence par "black-lister" tous les anciens du photovoltaïque. "Ceux-là sont psychologiquement anéantis. Ils ont perdu la capacité de vendre sur un métier où on ne leur dit pas qu'ils sont les rois du pétrole". En janvier 2012, sur les 75 périodes d'essais contractées, seules 10 seront transformées en contrats longue durée. "C'est un échec car nous n'avons pas trouvé de commerciaux en nombre suffisants, et que nous ne pouvons pas porter à bout de bras un siège surdimensionné", regrette le Pdg. S'ensuit en avril un plan social turbo, mené en six semaines, qui restructure le siège de 80 à 40 salariés en back office. Brasser des milliers de CV tous les mois tout en conduisant un plan social... Stéphane Maureau s'est mué en équilibriste. Il sait que tout repose aujourd'hui sur sa marque employeur. Et que le temps lui est compté.

 

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