My Pépite met le crowdfunding au service des créateurs de mode

Étudiantes à Sup du Pub, Alisson Municchi, Eva Philis et Vanessa Broche ont créé My Pépite, deuxième plateforme française de crowdfunding dédié aux créateurs de mode. Un projet qui leur a valu d'intégrer l'incubateur Creatis à la Gaité Lyrique. Elles livrent leur expérience déjà riche d'enseignements.
Marina Torre
Vanessa Broche, Alisson Municchi et Eva Phillis ont créé leur entreprise juste après leurs études.

«Allez-voir votre banquier et dites-lui : "Je voudrais de l'argent pour produire ma collection, mais je ne toucherai d'argent que dans six mois, et seulement si j'ai de la chance. Par ailleurs, les vêtements que je compte faire sont extrêmement chers aujourd'hui, mais en imaginant que je ne les vende pas, dans quelques mois, une fois la saison passée, ils ne vaudront plus rien... "»

A ce constat dépité du créateur belge Dries Van Noten, retranscrit dans un ouvrage collectif de l'Institut français de la mode*, le crowdfunding offre peut-être la réplique qui manquait. Certes, en France, des coups de pouce au démarrage pour les jeunes créateurs existent déjà comme les fonds d'avance remboursable ou le fonds de garantie dédié de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC, qui dépend du ministère de la Culture), ou bien, depuis janvier 2013, le réseau Mode Business Angels. Mais ce nouveau tremplin qu'est le financement participatif a fait ses preuves dans d'autres domaines de l'industrie culturelle comme le cinéma ou la musique. Et a de quoi séduire les jeunes designers en mal de financement.

Le concept a en tout cas convaincu l'école parisienne Sup de Pub, qui appartient au groupe INSEEC, de soutenir financièrement le projet de fin de d'année de trois de ses élèves Alisson Municchi, Eva Philis et Vanessa Broche. A peine sortie de leur deuxième année de master, ces trois jeunes entrepreneures ont ainsi pu intégrer pendant un an l'incubateur Creatis installé à la Gaîté Lyrique (Paris IIIe arr.). Balbutiante, leur plateforme My Pepite, lancée en juin 2014, met en relation des créateurs de mode souhaitant financer une collection, un défilé ou un shooting et d'éventuels mécènes. Elles expliquent comment elles s'y prennent pour "mettre le pied à l'étrier" de ces stylistes à peine plus âgés qu'elles.

Malgré les financements qui existent déjà, c'est si difficile de trouver des financement pour les jeunes créateurs ?

Vanessa Broche : D'autant plus que, aujourd'hui, les jeunes qui sortent des écoles sont portés par une dynamique entrepreneuriale qui donne plus envie de créer leur entreprise que de travailler pour d'autres créateurs ou marques. Une représentant de la Chambre de commerce et d'Industrie de Paris nous a récemment exposé les différentes aides existantes. C'est sûr qu'il n'y en a pas assez, quand on sait ce que ça représente de monter une marque, non seulement une collection mais tout ce qu'il y a autour.

Eva Philis : Oui, il y a un vrai besoin et le crowdfunding peut y répondre. Avant de nous lancer, nous avons rencontré de nombreux créateurs. Et nous nous sommes rendues compte que certains étaient bloqués par ce manque alors qu'ils avaient pleins d'idées et un esprit de création. C'est dommage de freiner de telle initiatives juste par manque de financement.

Quelles somme, en moyenne, les créateurs de mode cherchent-ils à lever pour leurs premier projets ?

Vanessa Broche - Entre 2.000 et 3.000 euros en moyenne, c'est ce que nous avons constaté.

Eva Philis - De notre côté, nous n'imposons pas de minimum ou de maximum mais nous définissons avec eux l'objectif atteignable, parce qu'ils doivent bien circonscrire la communauté de la marque, le réseau personnel et professionnel avant tout.

Quelles commissions prenez-vous sur les projets ?

Eva Philis- Nous avons deux systèmes. Il y a la collecte "tout ou rien". Par exemple, si un créateur demande 5.000 euros et qu'il les obtient dans le temps imparti, il reçoit l'argent et nous prenons 6%. S'il n'atteint pas cet objectif, nous ne prenons rien et tous les contributeurs sont remboursés. Il y a également la collecte souple, qui permet au créateur de conserver la somme qu'il aura obtenu quoi qu'il arrive. S'il n'a que 2.500 euros sur 5.000 euros, il les conserve et nous prenons une commission de 9%. Sauf s'il atteint son objectif, là ça repasse à 6%.

Alisson Municchi -  Nous cherchons avant tout à ce qu'ils réussissent leur projet. Dans le crowdfunding,  le but n'est pas de constituer un capital mais de financer un projet spécifique, c'est pour les pousser au maximum que nous limitons cette commission à 6%.

Une collection coûte cher, surtout si on exige de belles matières, que conseillez-vous : l'ambition ou la prudence ?

Vanessa Broche - Nous n'intervenons pas sur l'aspect créatif.

Eva Philis - Nous répondons au cas par cas, selon le créateur et la collection qu'il désire. Mais l'objectif c'est qu'il arrive à collecter de l'argent, c'est pour ça qu'on a mis en place un système de collecte souple parce que c'est dommage que certains ne puissent rien faire s'ils n'ont pas atteint leur objectif. Ils peuvent quand même lancer des collections même si c'est en quantité plus restreinte.

Alisson Municchi -  On peut intervenir quand ils ont plusieurs projets en même temps, comme un shooting avec un défilé et une collection, on les aide à en choisir un, le détailler, le vendre au mieux.

"Nous voulons proposer une offre à 360 degrés dédiée à la mode qui aille du financement du créateur, à la vente de produits"

Le concept n'est pas neuf, en France, I am la mode, une start-up créée en 2012 fait la même chose que vous. Que proposez-vous de différent ?

Eva Philis : C'est vrai. Il y a aussi beaucoup de sites de crowdfunding généralistes, comme KissKissBankBank qui proposent une rubrique mode. Nous voulions nous spécialiser et proposer un univers qui s'adresse uniquement aux créateurs de mode et dans lequel ils peuvent se sentir bien en bénéficiant de conseils spécifiques. Après, pourquoi une autre plateforme spécialisée ? Nous voulons aller au-delà du crowdfunding. Nous développons en ce moment une e-boutique pour vendre des créations développées grâce au financement participatif sur le site. Nous pensons aussi créer un webzine sur l'actualité des jeunes créateurs. Nous voulons proposer une offre à 360 degrés dédiée à la mode qui aille du financement du créateur, à la vente de produits, en passant par l'actualité mode. Et puis, pour le design du site, nous nous sommes inspirées des magazines de luxe pour transmettre une image épurée, très parisienne, pour s'exporter plus tard à l'étranger.

Vanessa Broche - L'idée nous est venue il y a plus de trois ans. A l'époque, I am la mode n'existait pas. A l'époque, ce qui avait séduit notre professeur, c'était justement qu'il s'agissait d'une idée inédite. D'autant plus que nous étions obligées de présenter une idée novatrice. Le temps que l'on avance dans notre  projet scolaire, ils se sont lancés.

Êtes-vous personnellement créatrices de mode ?

Vanessa Broche -  Non, nous avions seulement une affinité pour la mode. Il fallait un projet qui nous porte plus qu'un autre, qui nous passionne.

Eva Philis - Sans la créer, on la porte. Mais nous venons avant tout de la communication et du marketing, c'est aussi ce que nous leur apportons en les aidant à monter leur projet.

Le crowdfunding, ce serait une nouvelle forme de publicité pour les créateurs ?

Vanessa Broche - Chaque projet de crowdfunding est un peu à leur échelle une petite campagne de communication puisqu'ils font leur propre campagne, ils sollicitent la presse, leur entourage etc. donc ça peut entraîner dans une dynamique de communication. Et puis cela demande beaucoup d'énergie d'essayer de mobiliser les gens. Pendant un ou deux mois, il faut qu'ils publient un post Facebook par jour au moins, cela demande de la réflexion, de faire des photos, des vidéos. Il faut être disponible.

Eva Philis - Les créateurs ont un vrai savoir-faire dans leur univers mais ils ne savent pas forcément le faire savoir. C'est comme ça que cela s'est développé notre idée de coaching en communication pour les aider à se vendre au mieux.

Avant  de vous lancer, comment avez-vous été formées à la gestion ou à la finance ?

Eva Philis - Le master 2 à Sup de Pub est très orienté vers l'entreprenariat, nous avons donc eu de nombreux cours de finances, de comptabilité, des ressources humaines, etc. Ensuite, le projet entrepreneurial s'est créé au fur et à mesure, grâce à l'opportunité offerte par l'école. Nous ne nous étions pas dit : "C'est ce que nous voulons faire dans la vie".

Alisson Municchi - Nous avons appris à construire un business plan. Par ailleurs, un professeur, qui a monté plusieurs entreprises, vient régulièrement nous voir. Nous sommes très bien entourées à la Gaité Lyrique.

Bénéficiez-vous d'un soutien public ?

Vanessa Broche - Nous avons postulé pour une subvention de BPIfrance  pour développer la boutique en ligne d'un point de vue technique.

Eva Philis -  Elle a été validée, mais nous attendons la réponse de la mairie de Paris. BPIfrance finance un projet à hauteur de 50%. Nous avons demandé 26.000 euros, il faut justifier que nous en dépensons le double.

 Le statut d'entrepreneur-étudiant (...) nous en sommes très contentes

En parlant d'aides à la création d'entreprise, vous en avez discuté en mai dernier avec François Hollande...

Eva Philis - Oui ! Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem [alors ministre du Droit des femmes, de la jeunesse et des sports] a contacté l'incubateur Creatis pour organiser une rencontre avec le chef de l'Etat, Najat Vallaud-Belkacem et François Rebsamen [ministre du Travail]. Cela nous a donné l'occasion de poser des questions sur le statut d'entrepreneur-étudiant qui nous concerne directement. Nous avons appris qu'il allait être mis en place ce mois-ci, et nous en sommes très contentes, même si cela ne nous concerne plus.

Face aux multinationales de la mode aux capacités de financement, de distribution, de communication sans commune mesure, comment peut-on encore émerger quand on est un tout jeune créateur inconnu ?

Alisson Municchi - De nombreuse grandes maisons sont justement à la recherche d'un œil neuf. Toutes les écoles de modes, les concours, les festivals auxquels nous avons participé cette année nous ont montré qu'il y avait un engouement autour de cette jeune création, autour de Paris, qui est un vrai vivier de création.

Vanessa Broche - Il y a une telle volonté de personnaliser sa tenue, de se différencier ! On voit la tendance de mixer plusieurs marques et d'avoir cet article que personne n'a. Il y un engouement certain pour les petits créateurs peu connus.

Alors plus que jamais, même s'il vient, le succès risque d'être bien éphémère. Comment s'assurer que ce sera pérenne ?

Eva Philis - C'est un problème pour les créateurs. Notre objectif est de les aider pour un projet ponctuel. La suite de leur aventure, nous la suivons avec plaisir, mais notre action intervient sur un projet ciblé.

Quand on est dans la dynamique entrepreneuriale, on n'a plus envie de s'arrêter

Et vous-même combien de temps vous donnez-vous pour réussir ?

Eva Philis - Il faudrait entre 15 et 20 projets par mois pour être viable, mais cela pourrait être moins car nous avons d'autres sources de revenus. La fin du séjour à l'incubateur, en avril 2015, sera l'occasion de faire un bilan. Une entreprise ne se monte pas en un an.

Vanessa Broche  Quand on est dans la dynamique entrepreneuriale, on n'a plus envie de s'arrêter. C'est tellement plaisant, que c'est difficile d'imaginer tout arrêter ou de travailler pour quelqu'un d'autres. Maintenant que nous sommes lancées, nous ne lâcherons pas l'affaire !

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Mise à jour du 1er octobre 2014: le site My Pépite a changé de nom et s'appelle désormais Wepopit, "un nom plus plus dynamique reflétant l'esprit communautaire de la marque", explique sa co-fondatrice Alisson Municchi.

Marina Torre

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