Du Caire à Tunis, le printemps arabe gagne les écrans de télévision

Les révolutions en Egypte et en Tunisie ont créé un appel d'air dans un secteur autrefois étroitement contrôlé ou inexistant.
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Tahrir TV, Channel 25, CBC, Modern Horreya, El Beit Beitak : depuis la révolution égyptienne, les nouvelles chaînes de télévision fleurissent sur le satellite NileSat. Dix-huit en tout, si l'on compte la toute dernière LTB. Certaines émettent déjà depuis plusieurs mois. A l'origine de cet engouement qui vient enrichir une offre déjà abondante de chaînes satellites, privées pour la plupart : la levée des procédures sécuritaires - le feu vert de la sûreté de l'État n'est plus nécessaire - et des capitaux moins importants requis.

Auparavant, seuls les très grands groupes, comme Bahgat (immobilier, électroménager) et Orascom Telecom (lire ci-contre), pouvaient se permettre d'investir dans la télévision par satellite. Aujourd'hui, le prix d'une fréquence est de 200.000 dollars par an. A la périphérie du Caire, les 70 studios tout équipés de l'Egyptian Media City Production sont tous loués (à 1.700 dollars le m2 par an). Les capitaux étrangers aussi sont les bienvenus. Côté programmes, infos, "talk shows" et divertissements, un panachage interdit auparavant : il était impossible pour une chaîne musicale d'avoir un bulletin d'information. A part Channel 25, qui ne passe pour le moment aucune publicité et est animée par des néophytes, la majorité de ces chaînes se sont offert des têtes connues et ont précédé leur lancement d'importantes campagnes publicitaires. L'audience est au rendez-vous, de même que l'intérêt des annonceurs. "Ces nouvelles chaînes s'en sortent étonnamment bien, estime Aiman El Kaissouni de chez Ipsos Egypte. Elles ont grignoté une bonne part du marché publicitaire. Cette tendance a été très marquée pendant le ramadan, un mois où les annonceurs dépensent beaucoup, et elle se poursuit."

En Tunisie, le mouvement est plus modeste : cinq licences ont été attribuées, s'ajoutant ainsi aux deux seules chaînes privées que comptait le pays. L'Instance nationale pour la réforme de l'Information et de la Communication (INRIC) a pour le moment écarté la trentaine d'autres dossiers déposés. Contrairement à l'Égypte, les capitaux étrangers sont interdits. Aussi, la libéralisation du secteur s'est-elle surtout produite en presse écrite (une centaine de nouveaux titres) et sur les ondes (douze fréquences radios accordées). Yves Gonzalez-Quijano, chercheur à l'Institut francais du Proche-Orient, souligne cette différence : dans le paysage médiatique arabophone, « l'Égypte fait partie des poids lourds de la région, avec des chaînes satellitaires qui sont écoutées bien au-delà des frontières du pays. La Tunisie est un cas différent, tout aussi intéressant, ne serait-ce qu'en raison des connexions qu'entretiennent certaines entreprises médiatiques locales avec des sociétés françaises ou italiennes » Reste à savoir la viabilité de tous ces projets. « Quoi qu'il arrive, le dynamisme actuel est précieux, il permet à une nouvelle génération de journalistes de se former et aux plus ?anciens? de retrouver en quelque sorte une nouvelle jeunesse ! »

Visées politiques

En Égypte, cet attrait pour le secteur laisse songeurs beaucoup de professionnels des médias qui voient derrière ces projets des visées « politiques » : les partis politiques El Wafd et les Frères musulmans ont par exemple lancé leurs propres chaînes. Par ailleurs, les hommes d'affaires sont considérés avec méfiance depuis la chute du régime. Traditionnellement, que ce soit dans la presse écrite ou à la télévision, les investisseurs ont plutôt tendance à interférer dans le travail des journalistes. Si la composition de l'actionnariat n'est pas toujours claire, la plupart de ces chaînes ont d'importants moyens : on est loin des antennes associatives. En septembre, le propriétaire de CBC a racheté la majorité du capital de deux de ses concurrentes. Pour Hisham Kassem, journaliste indépendant respecté et qui s'apprête à lancer son propre projet déclinant papier, Web, radio, télé et mobile, « l'Égypte a besoin de véritables médias et pas d'un secteur contrôlé par les oligarques ! » Il a de son côté refusé les actionnaires trop généreux, préférant aller à la pêche aux petites participations.

« La principale caractéristique du système médiatique arabe actuel est qu'il fonctionne non pas à partir des ressources publicitaires, mais en exploitant diverses sources de financement que l'on pourrait qualifier de ?para-politiques?, précise Yves Gonzalez-Quijano. Et le chercheur de s'interroger : « Assiste-t-on à un véritable changement et à l'amorce d'un nouveau modèle économique, davantage basé sur les revenus ?traditionnels? des médias ? À mon avis, on en est loin ! »

En Égypte, la libéralisation semble atteindre ses limites pour les autorités. Selon une directive du Conseil suprême des forces armées, tout sujet qui traite de l'armée doit être soumis auparavant au « département des affaires morales ». De fait, les atteintes à la liberté de la presse ont été nombreuses. Fatiguée du traitement critique de certains de ces nouveaux venus, l'armée a récemment donné ses directives au gouvernement : aucune nouvelle licence ne sera attribuée jusqu'à nouvel ordre.

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