La fusion CSA/Arcep entérinée par Ayrault

Par Delphine Cuny  |   |  1050  mots
Michel Boyon, President du CSA, Jean Ludovic Silicani, president de l'Arcep, l'Autorite de regulation des telecoms Copyright DENIS/REA.
Le Premier ministre a demandé aux ministres du Redressement productif, de la Culture et du Numérique de lui « faire des propositions de rapprochement » entre le régulateur de l'audiovisuel et celui des télécoms. Il souhaite aller vite : les conclusions seront remises fin novembre.

Une « catastrophe » comme le craignent certains ou une évolution logique et nécessaire ? Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé mardi après-midi qu?il demandait au ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, à la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, et à la ministre déléguée chargée des PME, de l?innovation et de l?économie numérique, Fleur Pellerin, « de lui faire des propositions de rapprochement » entre le Conseil supérieur de l?Audiovisuel, le CSA, et le régulateur des télécoms, l?Arcep. Le principe d?une fusion entre les deux autorités de régulation, serpent de mer du secteur numérique, semble donc entériné : le Premier ministre invite les trois ministres à remettre « d?ici à la fin du mois de novembre » leurs conclusions sur les « évolutions législatives et réglementaires nécessaires. » Si le terme de « réflexion » est utilisé dans le communiqué de Matignon, on comprend bien que le statu quo n?est pas envisagé.

De la convergence, des passerelles et beaucoup de mépris mutuel
Jusqu?où pourrait aller ce rapprochement entre deux régulateurs qui se méprisent souverainement et lequel avalera l?autre ? D?un côté, les membres du CSA aiment se faire appeler des « sages » et se posent en garants de la démocratie, du fait de leur mission sur le pluralisme pendant les campagnes électorales. De l?autre, une Arcep plus « techno » qui se targue d?être plus sérieuse et efficace, concentrée sur la régulation économique et concurrentielle d?un secteur beaucoup plus important en valeur mais dénué du prestige et des paillettes des médias audiovisuels. Cependant, les passages d?une autorité à l?autre sont monnaie courante, tant du côté du collège des membres que des services opérationnels (de Denis Rapone à Marie-Laure Denis, en passant par Michel Combot). Et Michel Boyon, le président du CSA, dont le mandat s?achève dans six mois, a lui ouvertement prôné un rapprochement et réclamé des pouvoirs de régulation sur l?Internet. En octobre 2010, un rapport parlementaire rédigé par Christian Vanneste et René Dosière sur les autorités administratives indépendantes (AAI, le statut de ces deux régulateurs) préconisait de fusionner le CSA, l?Arcep et l?Hadopi, l?autorité créée contre le piratage. En 2008, déjà, le rapport Attali proposait de « coordonner l?Arcep et le CSA » (proposition n°64) du fait de la « convergence » des réseaux, en suggérant « soit un rapprochement institutionnel sur les modèles américain, britannique ou italien », soit « plus efficacement, une meilleure articulation des responsabilités » : au CSA la régulation éthique des contenus, à l?Arcep la régulation économique et technique des supports.

L?ascendant au CSA, Hadopi pas dans le schéma ?
Jean-Marc Ayrault met justement en avant « la convergence des infrastructures numériques, des services et des contenus qu?elles acheminent, des réseaux et des services fixes et mobiles, et des terminaux à l?usage du public » qui rend selon lu nécessaire de « s?interroger sur l?efficacité des modes de régulation des communications électroniques et de l?audiovisuel, à l?heure où les contenus audiovisuels sont de plus en plus diffusés par l?internet fixe et mobile. » Mais Matignon semble surtout s?inquiéter de la régulation des contenus « plus limitée et parfois inadaptée » sur Internet que les programmes audiovisuels diffusés par voie hertzienne : comprendre les chaînes de télévision sont soumises à des quotas de production, à des contraintes de qualité, etc, et pas Google et sa filiale YouTube par exemple ou éventuellement le service de vidéo à la demande Netflix? Est-ce à dire que le CSA, plus gros avec des effectifs de 300 personnes contre 175 à l?Arcep, aura l?ascendant ? Les chaînes de télévision semblent en effet grandement préoccuper le gouvernement : cette « réflexion » ministérielle sur l?Arcep et le CSA sera ainsi « coordonnée avec la mission de Pierre Lescure sur l?acte II de l?exception culturelle »; or Pierre Lescure a en ligne de mire la TV connectée, tellement redoutée par les chaînes, car avec elle « le piratage sera inarrêtable (sic) » a déclaré l?ancien patron de Canal Plus mardi sur RMC. Mais curieusement, l?Hadopi n?est pas dans le schéma de fusion pour l?instant envisagé, et les propositions de Pierre Lescure ne sont attendues qu?en mars 2013.

« Casser l?Arcep »
« Certains, au gouvernement, ont semble-t-il des comptes à régler avec l?Arcep et son président » observe un bon connaisseur du dossier. « Ils veulent casser l?Arcep » commente un spécialiste des télécoms, désabusé, qui redoute un affaiblissement du gendarme au profit des acteurs les plus puissants et au détriment des consommateurs. En revanche, le durcissement du ton du gouvernement à l?égard du régulateur réjouit bon nombre d'opérateurs. Que pense l?intéressé, le président de l?Arcep, d?une éventuelle fusion ? « C?est la 17e fois qu?on me pose la question » avait récemment botté en touche Jean-Ludovic Silicani, estimant que « cela relève du Parlement, il faudra décider de l?évolution de la régulation des contenus et de l?Internet. Deux régulations aux antipodes», celle des contenus nationale et très forte, celle des réseaux légère et dans un cadre européen. Au Forum des télécoms organisé par les Echos en juin, le président du gendarme des télécoms a fait valoir que dans les pays ayant une seule autorité, comme la FCC aux Etats-Unis ou l?Ofcom au Royaume-Uni, « il n?y a pas de régulation de contenus. » Selon lui, « soit le parlement veut accentuer la régulation technico-économique de l?Internet, alors évidemment il faut fusionner les deux instances », soit il n?y a pas d?autre raison que de « faire du Lego » avec les institutions. Une vision qui semble très éloignée du cadre donné par Jean-Marc Ayrault. Naturellement, les deux institutions seront consultées et les ministres s?appuieront sur leurs positions pour élaborer leurs propositions. Sacrée guerre de tranchées en perspective?.