Le communiqué est cinglant. L'Arcep, le gendarme des télécoms, a recadré publiquement Free, quelques heures après une annonce triomphale du fournisseur d'accès à internet. Mardi matin, Free affirme dans un communiqué qu'il « révolutionne le très haut débit » en proposant l'accès en fibre optique « le plus rapide en Europe » à 1 Gigabit par seconde (en réception, 200 mégabits en émission), « sans changer de prix ». L'annonce, qui n'est pas tombée par hasard le jour du lancement du réseau 4G de son concurrent Bouygues Telecom, crée l'effervescence sur les réseaux sociaux, où de nombreux professionnels expriment leur scepticisme et critiquent la formulation. Un peu avant 18 heures, l'Arcep réagit afin de « souligner le caractère partiel et parfois inexact » de la communication de Free, annonçant « des performances qui sont de nature à induire en erreur les utilisateurs sur le service que va leur apporter leur FAI. »
Publicité mensongère sur les débits
Privé de pouvoir de sanction, après une décision du Conseil d'Etat, pouvoir que le gouvernement espère rétablir au plus vite, le gendarme n'a pas perdu celui du verbe. Il n'est pas dupe des bravades de Free, en pleine agitation sur la 4G, et la énième provocation de l'opérateur l'a visiblement excédé. Les propos « inexacts » visés portent sur « la promesse de débits descendants de 100Mbit/s pour le VDSL2 » - une technologie qui améliore les performances de l'ADSL - qui sont des « résultats purement théoriques [qui] ne correspondent pas à des services pouvant être effectivement offerts au grand public. » L'Arcep accuse en fait le FAI de publicité mensongère ou trompeuse, martelant que « la promesse de Free ne correspondra donc pas à l'expérience de ses clients. » Le régulateur n'a pas digéré qu'il communique « sur des résultats en laboratoire », une précision sous astérisque qui n'apparaît même pas sur le site Web de l'opérateur, alors qu'il aurait pu faire état « des résultats obtenus lors des pré-déploiements grandeur nature du VDSL en Dordogne et en Gironde. »
L'affaire des lenteurs sur YouTube resurgit
Sur la fibre optique, Free se risque à une sorte de publicité comparative en mettant en avant les mérites de la technologie « point à point » qu'il a choisie, « permettant d'offrir des débits très élevés et dédiés à chaque abonné », quand ses concurrents ont opté pour une architecture Gpon, où plusieurs utilisateurs sont regroupés sur une seule fibre arrivant dans un point de raccordement (par multiplexage). Or l'Arcep relève que « le service offert aux utilisateurs est tributaire non seulement du dimensionnement du réseau d'accès sur lequel Free communique aujourd'hui, mais dépend aussi du dimensionnement de l'ensemble de son infrastructure (collecte, interconnexion…). » Et le régulateur de rappeler que des abonnés de Free se sont plaints de problème de lenteur par exemple pour regarder les vidéos de YouTube. L'Arcep avait mené une enquête administrative sur le différend entre Free et la filiale de Google qu'elle a pourtant conclu sur l'absence de pratique discriminatoire du FAI contre la plateforme de vidéos. Or le gendarme des télécoms dit toute autre chose aujourd'hui :
« A titre d'exemple, comme l'avait révélé l'enquête administrative menée par l'Autorité sur les relations entre YouTube et Free (communiqué du 19 juillet 2013), et sauf à ce que Free ait massivement investi, en août et septembre 2013, dans l'amélioration de ses capacités d'interconnexion, ses annonces de ce jour ne correspondent pas à l'expérience des utilisateurs qui visionneront des vidéos en ligne. »
Transparence et concurrence loyale
En clair, Free ferait mieux de balayer devant sa porte avant de se vanter sur l'expérience utilisateur permise par son débit. L'Arcep termine son recadrage en rappelant que « tous les opérateurs sont tenus d'assurer la transparence des offres qu'ils proposent aux utilisateurs et d'agir de façon loyale vis-à-vis de leurs concurrents. » Le régulateur, qui travaille avec la DGCCRF et les associations de consommateurs, en coordination avec les ministres Fleur Pellerin et Benoît Hamon, sur un texte clarifiant les règles de transparence en matière de communication, craignait que les autres opérateurs s'engouffrent dans la brèche s'il ne haussait pas le ton contre Free. SFR a d'ailleurs publié un communiqué en fin d'après-midi annonçant que lui aussi allait « généraliser le débit Fibre 1Gb/s » et Orange a embrayé, promettant d'offrir « les meilleurs débits » grâce au VDSL2. « Il fallait signer la fin de la récréation » glisse un proche du dossier.
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