Aereo, le « voleur de signal TV » qui affole les grandes chaînes américaines

Disney, Fox, CBS et NBCUniversal demandent à la Cour Suprême la fermeture de la start-up de Barry Diller, qui propose à ses abonnés de regarder sur Internet la télévision en captant directement les flux. Les chaînes font valoir qu’Aereo menace leur modèle économique et risque de leur faire perdre les milliards versés par les câblo-opérateurs.
Delphine Cuny
Les mini antennes d'Aereo qui captent le signal hertzien des chaînes TV.

C'est la bataille du streaming et du « cloud », des technologies Internet, contre la télé « de papa », celle des grands networks et les puissants câblo-opérateurs. Les géants de la TV américaine ne désarment pas face à la petite start-up new-yorkaise Aereo : Disney, Fox, NBC Universal, CBS et Univision, ont décidé d'en appeler à la Cour Suprême pour fermer la société dont elles jugent l'activité illégale.

Lancée en mars 2012, uniquement à New York initialement, Aereo propose à ses abonnés, moyennant 8 à 12 dollars (hors taxe) par mois, de voir en direct la télévision depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone, et de l'enregistrer. Les grandes chaînes considèrent que la start-up enfreint leurs droits d'auteur et menacent leur modèle économique, en risquant de les priver des recettes du câble et du satellite. Jusqu'à présent les tribunaux fédéraux saisis, à New York et à Boston, ont donné raison au petit trublion. « Aereo vole notre signal hertzien » conteste la Fox qui envisage de se convertir en chaîne câblée.

Un remake de l'affaire Sony Betamax en 1984

« Pas besoin d'être abonné au câble » dit ouvertement Aereo sur son site, en expliquant que chacun de ses abonnés à son service contrôle sa propre antenne individuelle à distance, dans le « cloud », de façon très simple, « sans Box à acheter, sans équipement à installer. » Il s'agit d'antennes râteaux miniatures, de la taille d'une pièce de monnaie, qui lui permettent de capter le signal hertzien (gratuit et non crypté) émis par les chaînes locales qui reprennent les programmes des networks, puisque les licences TV ne sont pas nationales aux Etats-Unis.

Une astuce juridique selon ses détracteurs. « Aereo n'a besoin que d'une antenne. Les antennes individuelles et le logiciel qui les pilote ne sont là que pour satisfaire la nécessité légale d'un accès individuel du consommateur à sa copie privée » analyse Larry Downes, dans un billet de blog de la Harvard Business Review, intitulé « Aereo, conçue à dessein tout juste légale. »

Il estime que la start-up s'engouffre dans la brèche d'un précédent remontant à 1984, lorsque la Cour Suprême statua que Sony n'enfreignait pas les droits d'auteur avec son magnétoscope et ses cassettes Betamax, dans la mesure où les copies des émissions ou films réalisées étaient destinées à un usage privé. Une exception étendue ensuite à l'enregistrement à distance dans le « cloud » pour Cablevision en 2008. La Cour d'Appel a effectivement jugé en avril dernier que « les consommateurs utilisant la technologie Aereo ne se livrent pas à une performance publique, selon la loi du droit d'auteur. »

Recettes publicitaires et bonus des commissions des « câblo »

Les chaînes déposent ce recours devant la Cour Suprême contre cette décision défavorable qui, selon elles, « transforme déjà le secteur et menace les fondements de la télévision hertzienne » écrivent-elles dans leur requête citée par le Wall Street Journal.

« Les diffuseurs reposent sur les recettes qu'ils reçoivent des opérateurs de câble et de satellite qui retransmettent le signal afin de pouvoir récupérer leurs investissements massifs dans les programmes, de financer de nouvelles émissions et de développer de nouvelles plateformes de diffusion » plaident ces géants, déjà déstabilisés par le succès Netflix, le service de vidéo à la demande par abonnement, et la crainte du phénomène encore limité du « cord-cutting », la tendance au désabonnement au câble. Environ 90% des foyers américains sont abonnés au câble ou au satellite, payant en moyenne autour de 50 à 70 dollars par mois.

Les commissions versées aux networks par les opérateurs de télévision payante (du câble et du satellite principalement) ont beaucoup augmenté ces dernières années et avoisinent les 3 milliards de dollars par an selon Bloomberg : CBS par exemple devrait percevoir cette année 250 millions de dollars en commissions de retransmission. Un montant loin d'être négligeable mais qui reste mineur par rapport à leurs recettes publicitaires (un marché de plus de 70 milliards de dollars) puisque ce sont avant tout des chaînes commerciales, au même titre que TF1 et M6. Mais ce bonus des commissions est de la pure marge.

Barry Diller, l'ancien tycoon, venu mettre le bazar

Ironie de l'affaire, le principal investisseur derrière Aereo, qui a levé 60 millions de dollars en dix-huit mois, n'est autre que le milliardaire américain Barry Diller, qui fut le fondateur de la chaîne USA - qu'il a ensuite vendue à Vivendi (Vivendi Universal Entertainment) avant d'être fusionnée avec NBC et rachetée depuis par le câblo-opérateur Comcast. Or la maison-mère d'USA, NBCU, attaque aujourd'hui Aereo.

L'ancien tycoon des médias reconverti dans l'Internet, dont la société InterActiveCorp contrôle notamment Expedia et Match.com (qui a racheté Meetic), prétend que l'objectif n'est « pas de tabasser les diffuseurs mais de sortir d'un système fermé » et passer à la TV sur IP : en cela, Aereo serait « l'avenir de la télévision. »

« C'est passionnant, il va y avoir de la destruction créatrice »

Un avenir où les consommateurs pourraient choisir à la carte leurs programmes alors que le système actuel revient à ce que « 90% des abonnés paient pour les 10% qui regardent ESPN », la chaîne de sport de Disney qui n'est pas concernée puisqu'elle n'est pas hertzienne et est seulement disponible dans les bouquets du satellite ou du câble.

Le septuagénaire semble décidé à mettre le bazar dans ce milieu qu'il connaît très bien : « c'est passionnant, il va y avoir de la destruction créatrice » a-t-il prédit en mai dernier à la conférence D11. Tout en reconnaissant que la société n'avait encore que « très peu de clients. » Aereo a ouvert dans six autres villes (Boston, Miami, Atlanta, Dallas, Houston, Salt Lake City) et en vise 22 d'ici à la fin de l'année.

Delphine Cuny

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Commentaires 3
à écrit le 07/11/2014 à 20:12
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Ils vont encore plus flippé quand ils vont voir les nouvelles techno débarquées.... J ai Vu Playmute et je ne m'en remets tjrs pas, tu squizze les pub d'un coup c'est ouf... Pas plus d'info dessus a part que c'est pour bientôt

à écrit le 16/10/2013 à 16:49
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War has started long ago !! La guerre a commence y a bien longtemps sur ce sujet. Il suffit de voir le mal que fait netflix aux chaines cablees.

à écrit le 15/10/2013 à 11:01
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War begins...

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