« Le Grand Paris Express devra être le métro le plus numérique du monde ! »

Par Propos recueillis par Delphine Cuny  |   |  1492  mots
Déployer de la fibre optique dans les 205 km de tunnel devrait coûter entre 30 et 40 millions d'euros
La Société du Grand Paris, l’établissement public (EPIC) chargé de la conception et de la construction du futur supermétro francilien, publie ce jeudi un appel à manifestations d’intérêt sur le volet numérique. Etienne Guyot, le président du directoire de la SGP, explique en avant-première à La Tribune que le réseau à très haut débit à construire coûtera entre 30 et 40 millions d’euros, pour un projet à plus de 22 milliards.

Vous lancez un appel à manifestations d'intérêt sur le volet numérique du Grand Paris Express. Pourquoi pas directement un appel d'offres ?

Etienne Guyot : Nous nous plaçons dans une logique de dialogue. Nous voulons faire appel à des partenaires spécialistes susceptibles de nous aider à construire la dimension numérique du métro, qui n'est pas une dimension supplémentaire mais une vraie composante du Grand Paris Express.

Le déploiement d'un réseau de communication à très haut débit est d'ailleurs prévu dans la loi du 3  juin 2010 qui a créé la Société du Grand Paris. Notre ambition est de créer le métro le plus numérique du monde, à chacune des mises en service des lignes qui seront étalées entre 2017 et 2030. Nous devons donc nous projeter à dix ou quinze ans, dans la dynamique du concours international d'innovation lancé par le Président de la République, François Hollande, il y a quelques jours.

Pour faire ce travail d'anticipation, qui concerne à la fois les infrastructures de réseaux et les services et usages, nous avons besoin du regard extérieur d'entreprises, de collectivités, d'associations, de startups, etc, françaises et étrangères : l'appel à manifestations d'intérêt va être traduit afin de recueillir les contributions d'acteurs à l'international.

Nous voulons tester des idées. Nous posons 14 questions et suggérons huit pistes : de la fibre optique, des réseaux mobiles cellulaires ou WiFi, des data centers, de la géolocalisation, des espaces de télétravail, etc. Nous allons recueillir des propositions, des avis, dans une démarche très ouverte et partenariale. Il n'y a aucun sujet tabou, ni idée préconçue. Cette consultation publique est ouverte jusqu'au 21 février. Nous publierons par la suite la synthèse des réponses recueillies, dans le respect du secret des affaires.

 

La question des tuyaux, des réseaux, n'est-elle pas plus urgente que celle des services ?

Effectivement, certaines pistes ont un impact à court terme sur la conception des travaux de génie civil du métro. Nous devons savoir très en amont où l'on place les « fourreaux », les gaines où passera la fibre optique par exemple : si c'est sous la voie, cela change les calculs de structure de béton du tunnel. Nous allons d'abord creuser les gares à ciel ouvert puis les premiers forages avec les tunneliers commenceront début 2017 pour la ligne 15 sud, qui sera mise en service dès 2020.

Quant à la téléphonie mobile, il faudra une infrastructure mutualisée le plus possible, mais il faut savoir quel sera l'emplacement exact des antennes des opérateurs dans le tunnel, et ce dès la phase de préconception. Nous envisageons donc de lancer une procédure de mise en concurrence à l'issue de cet appel à manifestations d'intérêt, afin d'intégrer les prescriptions techniques dans les études de conception des premiers tronçons du Grand Paris Express.

 

Quel est le budget prévisionnel de ce métro tout numérique ?

Selon nos premières évaluations, déployer dans les 205 km de tunnel de la fibre optique « sur-capacitaire », c'est-à-dire bien au-delà des besoins du métro lui-même, ainsi que des infrastructures de téléphonie mobile de type 4G et un réseau WiFi, dans la totalité des tunnels et des 72 gares, coûterait entre 30 et 40 millions d'euros. L'enjeu, comme le souhaite Cécile Duflot, la ministre de l'Egalité des territoires et du logement, c'est de faire du numérique un outil favorisant le développement des territoires.

Ainsi, nous pourrions apporter de la connectivité à l'intérieur du métro mais aussi mettre à la disposition des collectivités un accès à la fibre tous les 800 mètres, grâce aux puits de sortie de sécurité, et amener une puissance infinie de bande passante dans les territoires. Car à un horizon de dix ans, il y aura un vrai besoin, les échanges entre entreprises se mesureront en téraoctets.

C'est un montant à relativiser par rapport au coût estimé de 22,6 milliards d'euros pour les infrastructures de transports et les gares. De plus, il sera compensé par les recettes induites. Cependant, la Société du Grand Paris ne prendra pas en charge tout cet investissement ni tous les coûts d'exploitation : il est prévu de mutualiser. La SGP n'a pas les compétences d'un acteur du numérique pour construire elle-même et commercialiser ce réseau de communication, dont elle restera en revanche propriétaire. Ceci dit, nous pouvons imaginer diverses formes juridiques de partenariats ou d'associations, de la copropriété. Il est encore trop tôt pour en parler. Nous avons la chance de partir d'une page blanche.

 

Vous imaginez même des « data centers » dans les gares. Est-ce le rôle d'un constructeur de réseau de transports ?

Nous voulons étudier cette opportunité et nous demandons aux acteurs intéressés s'ils pensent que nous devrions le faire. Nous allons nous-mêmes créer et récupérer beaucoup de données, notamment d'usages, avec un trafic estimé à 2 millions de voyageurs par jour en 2035 : il  faudra rendre ces données utiles, donc les partager dans une logique d'ouverture, d'open data, conformément à la politique conduite par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avec Etalab. Ceci en lien avec le ou les futurs exploitants et l'autorité organisatrice des transports, le Stif.

Ces données sont la matière première pour créer les services mobiles de demain qui vont devenir de plus en plus collaboratifs. Nous pouvons être un tiers de confiance des données numériques des voyageurs.

La Société du Grand Paris pourrait créer des « data centers » à un coût marginal, le long de son réseau, qui constitueraient un des éléments d'une armature numérique au service des territoires. Cela permettrait par exemple de faciliter l'accès des TPE/PME à des services de « cloud. » Il faut se projeter à dix ans : les entreprises auront besoin de stocker des quantités importantes de données, les collectivités aussi, par exemple sur les données d'usage en matière énergétique.

Ce stockage pose souvent des problèmes de foncier et d'énergie, il y a peu de centres de données locaux, dans le sud de Paris notamment. Nous cherchons à valoriser notre infrastructure et nos espaces, comme, par exemple, les emprises des sites de maintenance sur lesquelles nous pourrions installer d'autres services. Ce serait naturellement neutre et ouvert à tous les acteurs : nous n'avons pas vocation à devenir un opérateur de data center. Nous n'allons pas faire le Cloudwatt ou le Numergy du Grand Paris ! Il s'agit de prévoir des espaces pour cela, de les pré-équiper pour que des opérateurs de datacenters puissent ensuite les exploiter, éventuellement à la demande ou avec des collectivités locales. Ce ne serait pas forcément dans toutes les gares. La rentabilité de ce type de projets peut être très forte et contribuer, même si cela restera marginal, au financement du nouveau métro.

 

Quid des services? Avez-vous déjà des idées de besoins futurs ?

Il faut que le temps de transport devienne du temps utile. La connectivité y participe. Il faut réfléchir à des services allant de l'amélioration de l'information des voyageurs, grâce au smartphone et à l'échange collaboratif par les usagers eux-mêmes sur le trafic et les perturbations (crowdsourcing), à d'autres de la vie quotidienne, que ce soit des « e-services » couplés à des espaces commerciaux (conciergerie, restauration), de l'e-publicité, des services touristiques, etc.

Cela renvoie au sujet très tendance de la ville intelligente, auquel toutes les grandes métropoles du monde réfléchissent. Par exemple, nous pourrions imaginer qu'un voyageur puisse récupérer son panier de courses en gare grâce à la géolocalisation de son téléphone portable. Nous pourrions d'ailleurs lancer un concours d'applications ou initier un processus de labellisation, selon les contributions que l'AMI suscitera.

Nous devons aussi préciser dans chaque gare les espaces de services à prévoir. Nous avons ainsi pensé à aménager dans certaines d'entre elles, qui seront des carrefours de mobilité urbaine, des espaces de travail mutualisés, de type « co-working » en s'inspirant de « La Cantine » à Paris. Ces espaces existent plutôt dans les centres urbains aujourd'hui. La Caisse des dépôts, Orange et Regus viennent de s'associer pour implanter des télécentres en périphérie, c'est une première et un signal très positif.

L'idée serait pour nous de réserver des mètres carrés à ce concept, l'exploitation étant confiée à des partenaires spécialistes. Tout ceci doit contribuer à l'amélioration de la vie quotidienne des Franciliens, à l'égalité et à l'attractivité des territoires les plus enclavés de la région, qui sont les objectifs que nous a fixés Cécile Duflot, notre ministre de tutelle.

 

Un voyage en video dans les futures gares du Grand Paris Express