Pourquoi Nokia va lancer un téléphone sous Android

Le fabricant finlandais, bientôt intégré à Microsoft, devrait dévoiler à Barcelone à la fin du mois son premier smartphone tournant sous le système d’exploitation leader du marché. Mais dans une version expurgée des services de Google, afin de reprendre la main dans les pays émergents.
Delphine Cuny
Nokia devrait présenter à Barcelone dans quinze jours un appareil sous une version d'Android expurgée des servcies Google.

Un virage à 180 degrés ? « Choisir Android aurait signifié renoncer et non contre-attaquer, risquer la banalisation » avait justifié Stephen Elop, à l'époque le PDG de Nokia (venu de Microsoft), en annonçant, en février 2011, les raisons du partenariat stratégique avec le géant américain du logiciels, éditeur de Windows. Trois ans plus tard, Nokia s'apprête à dévoiler à la fin du mois, au grand salon mondial du mobile de Barcelone, son premier téléphone sous Android, selon le Wall Street Journal.

Les fuites sur ce modèle surnommé « Normandy » circulent déjà depuis plusieurs semaines. Nokia ne fait « aucun commentaire sur les rumeurs » indique un porte-parole et donne rendez-vous à Barcelone lundi 24 février pour sa conférence de presse du Mobile World Congress. Un non démenti qui ressemble fort à une confirmation…Il y a un an, le groupe avait rétropédalé après qu'Elop eut répondu « tout est possible » dans une interview à une question sur la sortie d'un téléphone sous Android. Nokia, qui sera officiellement intégré à Microsoft avant la fin de ce trimestre, a-t-il capitulé face à Android ?

Nokia passé de 37% à 3% de part de marché

Il est vrai qu'en trois ans, la donne a radicalement changé. En février 2011, Nokia était encore numéro un mondial des téléphones et des smartphones, sur le point d'être dépassé par Apple puis par Samsung. Parallèlement, Android perçait sérieusement, adopté par tous les autres constructeurs (sauf BlackBerry et Apple) mais n'était pas encore dominant. Aujourd'hui il représente 8 smartphones vendus sur 10. Surtout, Nokia était toujours la marque de référence dans les pays émergents : ce n'est plus le cas. Il y affronte en particulier la concurrence de fabricants chinois, de Lenovo à Huawei en passant par Alcatel-TCL ou de nouveaux acteurs comme la startup qui monte Xiaomi, qui utilisent tous Android, OS gratuit et formidable tremplin pour des entreprises n'ayant pas le savoir-faire logiciel nécessaire.

Nokia a même disparu du top 5 mondial des constructeurs de smartphones : sa part de marché avoisine les 3%* en 2013… soit dix fois moins qu'en 2010 (plus de 37%) ! Preuve en est que le passage de Symbian, son système d'exploitation maison à Windows Phone, celui de Microsoft, n'a pas été, à date, un succès - et c'est un euphémisme. En 2013, Nokia a écoulé 30 millions d'exemplaires de sa gamme Lumia sous Windows Phone : c'est dix fois moins que Samsung n'a livré de smartphones Android et cinq fois moins qu'Apple n'a vendu d'iPhone l'an passé…

De l'Android sans Google

Nokia ne va pas pour autant renoncer à Windows Phone, alors qu'il s'apprête à intégrer la firme de Redmond, laquelle l'achète dans le but de faire grandir son écosystème dans la mobilité, à l'ère post-PC. Le fameux smartphone « Normandy », qui serait a priori destiné aux marchés émergents, serait équipé d'une déclinaison personnalisée d'Android, système disponible en open source donc modifiable, et qui serait expurgée des services Google, comme Amazon l'a fait pour sa tablette Kindle Fire : pas d'accès au magasin Google Play, mais des applications et services Nokia (comme Here pour la géolocalisation) et Microsoft seront au contraire pré-installés. L'idée étant à moyen terme de basculer sur Windows Phone : la plateforme n'est pas adaptée aujourd'hui aux modèles d'entrée de gamme, les configurations matérielles minimales étant élevées, et doit être refondue à cet effet.

Les versions modifiées d'Android (« forked ») pullulent actuellement, en particulier en Chine où les services de Google sont bloqués, mais aussi en Inde (elles y représenteraient 93% du marché selon IDC). Le cabinet ABI Research estime à 25% la part de marché de ces appareils sous Android « déGooglisés », en croissance de 137% en un an : un essor qui devrait inquiéter Google car cela « impacte sa capacité à monétiser son écosystème Android » relève Nick Spencer d'ABI Research.

Aveu d'échec dans l'entrée de gamme

Il reste qu'un ralliement à Android, un revirement stratégique impensable il y a encore quelques mois, apparaît comme un terrible aveu d'échec du finlandais dans l'entrée de gamme. « Si la rumeur se confirme, ce serait une décision judicieuse, probablement une solution temporaire, de moyen terme, pour combler un manque dans son portefeuille » explique à La Tribune Neil Mawston du cabinet Strategy Analytics.

« Nokia n'a pas réussi à se positionner sur le créneau du smartphone d'entrée de gamme avec ses modèles tactiles Asha qui restent perçus comme des téléphones classiques, pas des appareils intelligents » observe-t-il, au moment où les populations des pays émergents basculent rapidement vers les smartphones. Nokia a écoulé environ 50 millions d'Asha (qui fonctionnent sous l'OS maison Series 40) en 2013. Neil Mawston parie sur « un prix très compétitif qui devrait permettre à Nokia de vendre de gros volumes d'un appareil sous Android. »

Toujours un manque d'applis

Si un passage transitoire sous Android devrait redonner un coup d'accélérateur aux ventes dans les pays émergents, « Nokia ne va pas tuer ou détrôner Samsung de sitôt. » Il lui faudra aussi progresser sur le segment haut de gamme où il ne rivalise toujours pas avec les modèles phare de Samsung et Apple : « historiquement, Nokia a toujours été bon dans le milieu de gamme. Il lui faut travailler sur les matériaux, le design, les courbes. Typiquement, son Lumia 925 est trop épais et trop lourd » analyse l'expert de Strategy Analytics.

Le manque d'applications et de contenus par rapport à l'univers Google restera aussi un vrai handicap pour Microsoft et sa branche de téléphonie issue de Nokia. L'objectif de l'américain est d'atteindre l'équilibre dès le cap des 50 millions de Lumia franchi et une part de marché de 15% en 2018.

Vers une revente des téléphones classiques Nokia ?

Si Microsoft a laissé Nokia concrétiser son projet de smartphone sous Android, qui semblait encore dans les limbes il y a quelques mois, ne serait-ce pas aussi une façon pour le géant du logiciel de prendre ses distances avec la division de téléphones mobiles classiques de Nokia ? Depuis l'annonce du rachat en septembre, on lui prête l'intention de revendre ce business, qui représente environ la moitié des 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel mais n'a aucun lien direct avec son écosystème Windows pour l'instant. Maintenant que Lenovo vient d'acquérir l'américain Motorola à Google pour 2,9 milliards de dollars, il sera peut-être plus difficile de trouver un repreneur.

Le Chinois Huawei s'était dit un temps intéressé mais plutôt par la marque et le business haut de gamme. Or la marque Nokia reste la propriété du groupe finlandais, qui se recentre sur les équipements de réseaux avec sa branche NSN, les services de cartographie et la monétisation de ses brevets ; Microsoft en garde un droit d'usage pendant dix ans pour les appareils d'entrée de gamme, tandis qu'elle devrait disparaître sous peu des smartphones sous marque Lumia (celle-ci étant rachetée par l'Américain).

Or sans la marque, que vaut ce business, dans un univers à la concurrence exacerbée, où chacun produit en Chine chez les mêmes sous-traitants ? « Le scénario d'une fermeture a également circulé » rappelle Neil Mawston qui estime qu'« une vente de ce business par Microsoft serait sans doute une erreur car Nokia vend encore des centaines de millions d'appareils. » Un socle utile pour gagner son pari à terme, « dans quelques années », de faire migrer les propriétaires de Nokia vers un Windows Phone…

 

* En France, la part de marché de Nokia dans les smartphones serait supérieure à 10% en 2013 selon des sources industrielles.

Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 11/02/2014 à 18:48
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Reste a voir si Microsoft n'a pas volontairement place une taupe chez Nokia, pour le plomber en le forcant a ne vendre que du Windows Phone, et ainsi pouvoir racheter plus tard Nokia pour un prix bien inferieur.

le 11/02/2014 à 22:53
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Ou bien peut être que la gloutonnerie de Microsoft par rapport à son business de prédilection (Windows) n'a pas su profiter à Nokia ainsi coulé par erreur stratégique. Ce revirement de politique commerciale semble confirmer cette hypothèse. Reste à s...

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