WhatsApp, Line, Viber, Snapchat : vent de folie sur les app’ de messagerie mobile

Facebook a-t-il perdu la raison en déboursant au total 19 milliards de dollars pour la startup WhatsApp ? Le réseau social n’est pas le seul à avoir compris l’enjeu de ces services en passe de devenir le nouveau point d’entrée du Web sur mobile.
Delphine Cuny

Comment une application mobile de messagerie peut-elle valoir 19 milliards de dollars ? Le prix payé par Facebook pour WhatsApp (12 milliards en actions, 4 milliards en cash et 3 milliards en options pour l'équipe d'ingénieurs s'ils restent dans l'entreprise) a de quoi donner le vertige. Absurdité aux yeux des uns, retour de la bulle pour les autres, sans oublier les habituelles comparaisons baroques - le PIB de pays plus ou moins exotiques (Jamaïque, Bosnie-Herzégovine).

Déjà, le rachat de l'application de partage de photo Instagram, qui ne générait aucun chiffre d'affaires, par le même Facebook à l'été 2012 pour 1 milliard en actions (un montant ramené à 750 millions) avait suscité les mêmes commentaires. Il y a une semaine, l'acquisition de l'application d'appels via Internet Viber pour 900 millions de dollars par le géant japonais de l'e-commerce Rakuten (PriceMinister en France) semblait déjà un montant élevé pour une startup affichant 1,5 million de dollars de chiffre d'affaires.

Mais ce rachat est peut-être aussi important, sur le plan stratégique, que celui de YouTube par Google en octobre 2006 - pour un montant certes dix fois moindre. Ces messageries « sociales » dont les fonctionnalités vont bien au-delà du simple tchat gratuit, qu'elles s'appellent WhatsApp, Line ou WeChat, sont en train de révolutionner les modes de communication et pourraient devenir le nouveau point d'entrée du Web mobile.

Empêcher un rachat par Google

Facebook a pris acte de la fragmentation des médias sociaux sur mobile, lançant ses propres applications périphériques comme le journal personnalisé Paper : il ne veut pas rater ce tournant et commettre l'erreur de Google qui a manqué le virage des réseaux sociaux sur le Web. Il avait tenté de s'offrir Snapchat, une application de partage de photos qui s'effacent au bout de quelques secondes, pour 3 milliards de dollars cet été mais avait essuyé un refus. Google aussi aurait essayé de racheter Snapchat pour 4 milliards.

« Facebook devait prendre une décision audacieuse pour retrouver de l'intérêt auprès des jeunes utilisateurs » fait valoir Stephen Sale, chez Analysys Mason. Bardé de cash (11,5 milliards de trésorerie à fin 2013) et profitant de sa capitalisation boursière de 172 milliards, le groupe de Mark Zuckerberg peut tout se permettre, y compris une « indemnité de rupture » en cas d'échec du rachat de WhatsApp de 1 milliard en numéraire. En revanche, « Facebook ne pouvait pas prendre le risque de voir WhatsApp tomber entre les mains d'un compétiteur, tel que Google. Cette acquisition neutralise une menace concurrentielle » considère Jack Kent du cabinet IHS. Google aurait justement proposé 10 milliards de dollars à Jan Koum et Brian Acton, les cofondateurs de WhatsApp, selon Fortune. En son temps, Instagram avait été approché par Twitter.

Deux fois plus d'utilisateurs que Twitter … et pas de pub

WhatsApp joue dans une autre catégorie : de loin leader dans le monde, elle compte plus de 450 millions d'utilisateurs actifs (dix fois plus que Snapchat, trois fois plus qu'Instagram), dont 72% se connectent tous les jours, quand la moyenne du secteur atteint au mieux 20%. Le prix payé représente donc 35 dollars par utilisateur, ce qui est proche de la transaction YouTube par Google et équivalent à celui déboursé par Microsoft pour le rachat de Hotmail en 1998… A titre de comparaison, le réseau social de mini-messages en 140 caractères Twitter revendique 241 millions d'utilisateurs actifs … par mois et vaut actuellement 31 milliards de dollars en Bourse. Soit environ 124 dollars par utilisateur mensuel et 141 dollars pour Facebook.

Mais à la différence de Twitter et de Facebook, WhatsApp ne diffuse aucune publicité. Gratuite la première année, WhatsApp est facturée 72 centimes d'euro (0,99 dollar) par an ensuite. Ce modèle par abonnement a mis du temps à s'imposer et la startup californienne, qui emploie 55 personnes à Mountain View, ne communique pas le pourcentage d'utilisateurs payants ni son chiffre d'affaires mais affirme être rentable. WhatsApp ne propose pas non plus de jeux en achat intégré, comme le font ses concurrentes asiatiques, dont plusieurs ont connu également un essor fulgurant. Car l'envoi de messages reste l'activité numéro un sur téléphone partout dans le monde.

Des jeux et des stickers chez les géants venus d'Asie

Le marché des applications de messagerie est déjà encombré (on en recense au moins une centaine, dont Facebook Messenger) et les autres cartons du secteur viennent des pays émergents, là où Facebook peut encore croître, mais n'étaient pas forcément à vendre. L'application japonaise Line, propriété du groupe Internet coréen Naver, revendique 340 millions d'utilisateurs (sans précision) et a déjà réalisé déjà 500 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2013, grâce aux jeux, à la vente de « stickers », des vignettes virtuelles qui reflètent son humeur, et à la pub.Line, qui a dépassé WhatsApp dans certains pays comme Taïwan et la Thaïlande, envisage une introduction en Bourse à Tokyo ou à New York et la presse coréenne évoquait le montant astronomique de 28 milliards de dollars, sans doute au moins 10 milliards.

L'application WeChat du géant chinois Tencent aurait environ 400 millions d'utilisateurs, dont 300 millions en Chine, et s'étend rapidement dans le monde : elle propose une foule de services qui vont bien au-delà de la messagerie, souvent payants, y compris la réservation de taxis ! Le service coréen Kakao Talk, qui ne précise pas la part d'actifs de ses 133 millions d'utilisateurs, envisage aussi d'entrer en Bourse et espère être valorisé plus de 2 milliards de dollars. Ces services de messagerie ont pris une place tellement centrale dans les pays d'Asie, en particulier les économies émergentes où le téléphone est souvent le premier voire l'unique moyen d'accès au Web que le japonais Rakuten a décidé de racheter Viber, développé par l'israélien Talmon Marco, pour accroître sa propre base d'utilisateurs et déployer ses services plus facilement dans tous les pays.

Point d'interrogation sur la monétisation

Rakuten fait clairement le pari de monétiser Viber, qui n'a pas encore construit toute une palette de services annexes comme WeChat et Line : soulignant que la monétisation est précisément son expertise, il a l'intention de l'intégrer à ses sites d'e-commerce ou d'en faire une plateforme de jeu.

En revanche, Mark Zuckerberg s'est montré plus évasif, même si ses équipes ont prouvé leur capacité à transformer leur appli mobile en machine à cash en moins d'un an. « Je ne pense pas que la publicité soit la meilleure façon de monétiser les services de messagerie » a déclaré le patron de Facebook lors d'une conférence téléphonique mercredi soir. « L'accès aux numéros de téléphone mobile de la vaste base d'utilisateurs de WhatsApp a une grande valeur pour Facebook dans cette opération » considèrent les experts d'IHS. Le cofondateur de WhatsApp Jan Koum, qui siégera au conseil d'administration de Facebook, a indiqué clairement mercredi soir que « la priorité ne sera pas la monétisation mais la croissance. »

Presque autant de messages sur WhatsApp que de SMS dans le monde

En termes de nombre d'utilisateurs, WhatsApp a déjà connu une trajectoire phénoménale. « Personne dans l'histoire n'a atteint près d'un demi milliard d'utilisateurs en aussi peu de temps », soit à peine quatre ans d'existence, même Facebook, même Twitter, même Gmail, a souligné Mark Zuckerberg. Et le réseau social est convaincu que l'appli, qui est téléchargée par plus d'un million de personnes chaque jour, arrivera au milliard à un horizon assez proche. « Un service utilisé par un milliard de personnes a une grande valeur » fait-on valoir au siège de Menlo Park. En particulier si ces personnes en font un usage intensif, montrant cet « engagement » après lequel court tout le secteur.

Il s'échange chaque jour plus de 50 milliards de messages sur WhatsApp, dont 19 milliards sont envoyés, soit presque autant que le nombre de SMS envoyés dans le monde (21 milliards) ! Et Facebook de rappeler que le business des SMS pèse un peu plus de 100 milliards de dollars dans le monde (120 milliards en 2013 selon le cabinet Deloitte), soulignant que « c'est un service qui a de la valeur et les gens sont prêts à payer pour cela ». Attaquée de toutes parts par tous ces services de messagerie gratuite sur mobile justement et de plus en plus souvent noyée en illimité dans les forfaits, cette manne des SMS commence cependant à décliner. Le chiffre d'affaires cumulé de tous les services de messagerie sur mobile serait de l'ordre de 2 milliards, soit 50 fois moins que le marché des SMS, selon Deloitte. Il pourrait atteindre 3 milliards de dollars en 2018, seulement 2% du total du marché des messages sur mobiles (SMS, MMS), selon Juniper Research.

Riposte et ambivalence des opérateurs

Les applis de messagerie auraient déjà coûté 32 milliards de recettes aux opérateurs mobiles l'an dernier selon le cabinet Ovum et la perte pourrait s'élever à 86 milliards d'ici à 2020. Cependant, les opérateurs ne s'accrochent pas tous à la rente des SMS, déjà en chute libre dans certains pays comme l'Espagne et les Pays-Bas (environ 2,3 milliards d'euros hors taxes pour les opérateurs mobiles français, en recul de 11%). Ils ont lancé l'an passé leur propre système de messagerie enrichie « gratuite », un standard interopérable appelé Joyn, qui peine à décoller.

Prêt à une certaine cannibalisation, Orange a développé sa propre application d'appels gratuits, Libon, qui va devenir sa « solution de messagerie universelle » a annoncé l'opérateur français ce jeudi, à point nommé. Après plusieurs années de bras de fer et de défiance, résignés face à cette évolution sans doute inévitable, les opérateurs sont nombreux à avoir finalement conclu des accords avec certains des services de messagerie qui font finalement consommer plus de mégaoctets de données, plus d'Internet mobile. Line affirme même être « l'appli préférée des opérateurs » : elle dit avoir besoin d'un bon service et permet depuis peu de payer via la facture téléphonique de l'opérateur. Donner un accès illimité à certaines de ces applications très populaires peut même se révéler un argument commercial porteur, comme ont pu faire les opérateurs pour Facebook aux débuts de l'Internet mobile.

Ruée sur le prochain milliard d'internautes

Facebook n'a peut-être pas encore la solution de monétisation. Et il ne cherche pas forcément à tuer la concurrence en rachetant WhatsApp. Il doit impérativement parachever sa mutation d'un service né sur PC en entreprise résolument ancrée dans l'univers du mobile, parce qu'il y aura sous peu plus d'utilisateurs de smartphones que d'ordinateurs, en particulier dans les pays émergents.Les applications de messageries étant les plus utilisées dans le monde, elles ont le potentiel de devenir un nouveau point d'entrée du Web, pour s'informer, découvrir et partager des contenus de divertissement, le troisième après Google et Facebook ou le principal, c'est ce qu'il reste à déterminer.

Facebook aime rappeler que sa mission est de « connecter le monde » et qu'il veut aider le « prochain milliard » à accéder à Internet - et donc à son service qui compte déjà 1,2 milliard d'utilisateurs. WhatsApp est leader en Europe, en Amérique latine mais aussi en Inde et dans quelques pays d'Asie. Jan Koum a déclaré qu'il visait 5 milliards d'utilisateurs, Zuckerberg plutôt « 2 à 3 milliards. » Soit tout de même le double de sa portée actuelle. D'ailleurs, un des fins analystes de la Silicon Valley, Benedict Evans, relève que la vraie question n'est pas de savoir si WhatsApp vaut 19 milliards mais si l'application vaut 10% de Facebook...

Delphine Cuny

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 25
à écrit le 06/02/2016 à 11:26
Signaler
Sa va

à écrit le 05/03/2014 à 18:35
Signaler
mERCI

à écrit le 23/02/2014 à 12:42
Signaler
la téléphonie mobile "vache à lait " .... c'est fifi et nini !

à écrit le 23/02/2014 à 10:09
Signaler
Argent facile ! Argent dilapidé !!!!

à écrit le 23/02/2014 à 10:02
Signaler
Ils vont vite s'appercevoir que sur les 450 milllions d'utilisateur ils en avaient déjà 449 999 999 ... cela fait cher l'utilisateur restant ... ce genre de service il peut s'en créer 10 par mois ... 3 jours de panne apres le rachat ... le patron de ...

à écrit le 23/02/2014 à 3:07
Signaler
Hello

à écrit le 22/02/2014 à 11:23
Signaler
quel est le bilan comptable de WhatsApp avant cette vente ????

à écrit le 21/02/2014 à 10:57
Signaler
Évitons tout ce qui transite par les USA...

le 21/02/2014 à 11:10
Signaler
vous croyez que les autres sont des bises-nounours ? chine, Russie, France ... etc...

le 21/02/2014 à 11:28
Signaler
Je sais que sait risible ... mais le plus sure moyen de communiquer et cryptage enigma ce sont les pigeons voyageurs !!!!!!!!!!!!!!!

le 21/02/2014 à 11:41
Signaler
"c'est " pardon mais avec mes AVC ..... je fais des bourdes !

à écrit le 21/02/2014 à 9:54
Signaler
Ce qui est intéressant, c'est qu'il existe de nombreuses applications de communications (voix ou messagerie): * linphone, sipdroid... (il y en a 50 sur les stores) comme les clients mobiles SIP - donc connectables sur n'importe qu'elle plateforme a...

le 21/02/2014 à 10:47
Signaler
@Cherdak Est-ce que tout cela est utile? La seule chose que j'ai intégrée, c'est que ma vie intéresse des gens qui vont vouloir me vendre quelque chose...dont je n'ai foutrement pas besoin.

le 21/02/2014 à 11:13
Signaler
.... être riche pour un africain c'est d'avoir un toit et a bouffer.... chez nous ... nous somme rendus à créer des besoins !

le 21/02/2014 à 11:37
Signaler
j'ai oublié un "s" ! pardon

à écrit le 21/02/2014 à 9:49
Signaler
C'est la NSA qui va être contente !!!!!!!!!!!

à écrit le 21/02/2014 à 8:56
Signaler
Toutes les conversations sur Whatsapp seront systématiquement scannées (comme Google le fait actuellement avec les emails sur gmail) et la publicité sera diffusée à chaque membre en fonction des thèmes de leurs conversations journalières. Un énorme p...

à écrit le 21/02/2014 à 8:55
Signaler
Avec tout ça le monde est sauvé...fantastique !

à écrit le 21/02/2014 à 8:31
Signaler
Le "Bla-Bla" vaudrait donc de l'or...Perso, je m'en tiendrai à la vieille maxime: "Si la parole est d'argent, le silence est d'or". Il ne faudra pas compter sur moi pour utiliser aucune application dont je ne vois toujours pas l'intérêt, sauf être d...

le 21/02/2014 à 8:47
Signaler
peut être que si vous viviez à l'étranger vous le verriez

le 21/02/2014 à 10:41
Signaler
@JCNR88 Vous avez sans doute raison. Je n'ai jamais envisagé de vivre ou de travailler à l'étranger. La France, en dépit des critiques, du "French Bashing", vaut tous les pays du monde. J'ai voyagé suffisamment pour avoir toujours apprécié le moment...

le 21/02/2014 à 12:35
Signaler
sachez qu' il reste encore des français qui vivent à l étranger qui aime la France, et je peux témoigner que oui, whatapps est une super appli et très simple d utilisation.... mais ça c était avant le rachat par Facebook. ... ce sera maintenant pub ...

à écrit le 20/02/2014 à 22:31
Signaler
C'est toujours plus facile de dépenser le fric que l'on a pas durement gagné. Ce gaspillage signifie que l'action Facebook est survalorisée sur les marchés... c'est peut être le moment de vendre!

à écrit le 20/02/2014 à 20:55
Signaler
La nulle dans les années 2000 n étaient elle pas liée à la valorisation des utilisateurs potentiels? Ça me fait penser à ça. Mais bon le problème viendra de la faillite de twitter

le 21/02/2014 à 12:03
Signaler
Je ne crois pas en la faillite de Twitter. C'est juste survalorisé. Par contre il y a bien une bulle sur Facebook et ce rachat vient d'en apporter la preuve. Si à chaque fois qu'un concurrent perce la seule solution c'est de le racheter à coup de mi...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.