Mobile : le tabou d’un marché passant de 4 à 3 opérateurs est levé

Inconcevable il y a un an, l’idée d’un retour à trois opérateurs, poussée par le gouvernement, est désormais admise jusque chez les régulateurs. Seul Bouygues Telecom, dont le sort est en jeu, continue de parler d’un marché durablement à quatre acteurs. Orange aimerait participer à une opération mais ne peut agir seul ... sans Free.
Delphine Cuny
« Le retour à trois opérateurs est inéluctable » a déclaré Arnaud Montebourg.

« Pas de chiffre magique », « pas de nombre d'or » : chacun y va de son expression, mais le passage de quatre à trois opérateurs mobiles fait désormais l'objet d'un consensus dans le secteur des télécoms. Sauf peut-être chez Bouygues Telecom, dont le sort est en jeu, et qui a justifié la veille son plan de réduction de 1.516 emplois (sur 9.000) par la nécessité de changer son modèle « dans un marché durablement à quatre opérateurs ». Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui est sans doute l'avocat le plus fervent de ce retour à trois, a encore martelé sa vision ce jeudi au forum télécoms organisé par Les Echos

« Le retour à trois opérateurs est inéluctable » a déclaré le ministre. « Notre position est claire et ferme : nous militons pour ce retour à trois opérateurs. Mais l'emploi ne doit pas être une variable d'ajustement. Il y a d'autres solutions que des plans sociaux chez Bouygues Telecom, elles sont sur la table. » 

Evoquant « les discussions qui existent aujourd'hui », en référence aux approches informelles d'Orange et d'Iliad, la maison-mère de Free, Arnaud Montebourg n'a cependant pas voulu donner l'impression qu'il était l'initiateur d'un éventuel rapprochement entre l'opérateur historique, dont l'Etat est le premier actionnaire (27%) et Bouygues Telecom. 

« Je laisse le soin aux dirigeants des entreprises concernées de peser le pour et le contre. Il n'y a pas qu'Orange. Il y a aussi Free. Avec Bouygues Telecom, ils pourraient s'entendre enfin, plutôt que de s'autodétruire » a fait valoir le ministre. 

« Quatre mariages et un enterrement »

Le président de l'Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, qui s'est exprimé juste après le ministre, a lui-même reconnu que « les tabous [étaient] levés aujourd'hui » sur les mouvements de concentration. Lui-même a exprimé une vision pragmatique de la situation. 

« Il n'y a pas de corrélation absolue entre le nombre d'opérateurs et la concurrence. Il n'y a pas de chiffre magique. Ce sont la qualité et les incitations des acteurs qui comptent » a insisté le président du gendarme de la concurrence. « La question n'est pas de savoir si la consolidation est désirable, mais si elle est inéluctable, comment bien l'accompagner. »

Relevant que ce débat restait « plein d'hypothèses » et que les conditions ne semblaient « pas réunies chez les acteurs » pour que ces discussions aboutissent, il a comparé la situation en France avec le film « Quatre mariages et un enterrement » : « je me sens comme le prêtre qui doit demander si quelqu'un a des objections dans la salle ! »

« On espère qu'il parle mariage », sous-entendu et non d'enterrement, a relevé avec ironie le directeur des affaires publiques d'Orange, Michaël Trabbia... Après le mariage de SFR et Numericable et celui de Virgin Mobile avec le même Numericable, dont les bans sont publiés, l'Autorité de la concurrence devra-t-elle se prononcer sur d'autres noces ? Ou l'affrontement ira-t-il jusqu'à la mort, la disparition d'un acteur ? « Bouygues Telecom ne va pas déposer le bilan, il dégagera un peu de cash flow. Mais une vente pourrait rapporter au moins 4 à 5 milliards d'euros alors qu'il ne vaut que 2,5 à 3 milliards en actualisant ces cash flows » relève un analyste.

« Chérie, j'ai rétréci les opérateurs ! »

Filant la métaphore cinématographique, Pierre Louette, le directeur général adjoint d'Orange et président de la Fédération française des télécoms (dont Free et Numericable ne font pas partie), a rétorqué dans ce même forum que la situation du marché français pourrait plutôt se résumer sous le titre « Chérie, j'ai rétréci les opérateurs ! », au vu de la chute du chiffre d'affaires et de la capitalisation boursière des acteurs… A l'exception d'Iliad, faudrait-il préciser, dont le chiffre d'affaires a doublé et dont l'action a bondi de 147% depuis le lancement de Free Mobile. L'action Orange cote en fait aujourd'hui légèrement au-dessus de ses niveaux de janvier 2012, Bouygues bien au-dessus et Vivendi (vendeur de SFR) aussi. Néanmoins, les revenus des opérateurs dans leur ensemble sont en baisse. Bouygues Telecom a d'ailleurs mis en avant son problème de taille critique, qui préexistait en fait à l'arrivée de Free dans le mobile, afin de justifier le plan de réorganisation annoncé, « pour survivre avec moins de revenus. »

Le président du régulateur des télécoms, l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani, lui-même, a concédé qu'il n'y a « bien sûr pas de nombre d'or » tout en invitant à « prendre des précautions pour que la baisse des prix reste un acquis réel », si l'on revenait de quatre à trois opérateurs, et à prévoir « la réversibilité si le marché concentré se révélait insuffisamment concurrentiel. » Cependant, reprenant les propos d'Arnaud Montebourg qui avait pointé « la responsabilité des conseils d'administration qui prêtent uniquement attention aux intérêts des actionnaires », le président de l'Arcep a fait valoir que « c'est le comportement courtermiste et la vision purement financière des opérateurs qui ont conduit le gouvernement à ouvrir la 4ème licence. » 

« L'arrivée de Free dans le mobile a permis de casser la rente des opérateurs qui était improductive en matière d'investissement puisqu'ils avaient été mis en demeure sur leurs engagements de déploiement de la 3G » a rappelé le président de l'Arcep.

Concurrence, « maverick », risque et confort

D'ailleurs, le président de l'Autorité de la concurrence Bruno Lasserre a souligné de son côté que c'est « la dynamique concurrentielle sur le long terme » qui est examinée dans le cas d'une fusion horizontale entre deux acteurs : « est-ce que certains acteurs sont capables d'animer le marché, en privilégiant le risque sur le confort ? »

Le ministre Arnaud Montebourg avait assuré dans la matinée que « si Free se maintient, il serait le maverick [non-conformiste], le vilain petit canard, il jouerait un rôle productif et intelligent. »

En matière de très haut débit, Antoine Darodes, le directeur de la Mission Très haut débit, rattachée au ministre, a relevé de son côté que « l'optimum de concurrence n'est pas le maximum de concurrence. C'est bien qu'il y ait un consensus sur le sujet. »

« Tellement plus simple » pour Orange de marier Free et Bouygues

Quant aux rumeurs de rachat de Bouygues Telecom par Orange, en actions ou en cash, Pierre Louette a tenté de botter en touche puis répondu :

« Nous sommes face à une hypothèse de retour à trois par bien des façons. Orange regarde comment les choses évoluent. Il n'y a aucune espèce de discussion entre Orange et Bouygues aboutissant à un « term sheet » [lettre d'intention]. Nous parlons presque tous les jours à Free. On peut réfléchir avec Bouygues et on peut parler commerce avec eux » a déclaré le directeur général adjoint d'Orange.

Le numéro deux de l'opérateur historique, Gervais Pellissier, a par la suite répondu de façon plus claire. Du fait du poids d'Orange en termes de part de marché dans le mobile et dans le fixe, « le chemin est étroit entre les solutions qui satisfont les actionnaires et celles qui satisfont les autorités de concurrence », qui demanderaient des remèdes.

« Orange ne peut agir seul, nous sommes le seul à ne pouvoir faire des choses seuls. Ce serait tellement plus simple si les deux plus petits (comprendre Free et Bouygues NDLR) faisaient les choses ensemble ! Nous ne pouvons être leader ou la seule partie prenante » a déclaré Gervais Pellissier.

« Si d'autres sont prêts » à une opération « dans laquelle Orange aurait sa place », l'opérateur historique serait enclin à y participer. Mais le dirigeant de l'entreprise aux 100.000 salariés en France prévient : « nous avons déjà un problème pour ajuster nos effectifs : nous n'allons pas absorber tous les sureffectifs liés à la baisse très importante du chiffre d'affaires » du secteur.

Autrement dit, Orange ne compte pas se lancer dans un marché de dupe, dans un accord qui reviendrait à surarmer Free (en réseau, en fréquences), comme le décrypte un proche de la direction : « si les remèdes sont pires que la situation actuelle, où Bouygues joue au kamikaze prêt à flinguer le marché du fixe, on n'est pas maso, il ne faut pas nous prendre pour la mère Teresa des télécoms… »

Delphine Cuny

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Commentaires 10
à écrit le 13/06/2014 à 15:24
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Arrêtez le il va tout couler.

à écrit le 13/06/2014 à 6:50
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Combien d'emploi perdu en France ?

le 13/06/2014 à 7:07
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- xx

à écrit le 12/06/2014 à 23:36
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ILS Auraient dus faire le ménage plus tôt, des incompétents au niveau stratégie, middle management et un service marketing toujours plus délirant d'idées saugrenues.

à écrit le 12/06/2014 à 21:04
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En 2007, chez SFR : centre d'appel de Toulouse, FERMÉ ! Centre d'appel de Poitiers, FERMÉ ! Centre d'appel de Lyon- cité internationale, FERMÉ ! Le centre d'appel de Paris, dans le même temps, était transféré de Bagnolet à la Défense, afin d.optenir...

le 13/06/2014 à 7:09
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il y a 30 ans, sidérurgie fermée, textile fermé...!

le 13/06/2014 à 15:21
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Avec vous la critique est facile. Regardez vous et hop + 9

à écrit le 12/06/2014 à 20:21
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Dire qu'un mariage entre free et Bouygues serait la meilleure solution est une idiotie. Commençons par obliger les sociétés françaises à localiser leur centre d'appels en France les sociétés pourront être comparées. Il est simple de casser les prix...

le 12/06/2014 à 20:48
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C'est faux appelez la plate forme vous verrez ils sont en France vous dites n'importe quoi...

le 13/06/2014 à 1:13
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Vous écoutez trop Radio Free.

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