Télécoms : une fusion (en Allemagne) peut en cacher une autre (en France) ?

Le feu vert attendu de Bruxelles au mariage des numéros trois et quatre du mobile outre-Rhin pourrait conditionner les grandes manœuvres autour de Bouygues Telecom. Orange attend d’analyser les concessions demandées pour se décider à y aller ou pas. Forcément dans un deal à trois avec Free.
Delphine Cuny

L'annonce officielle est attendue au plus tard le 10 juillet, mais il semble d'ores et déjà acquis que la Commission européenne donnera son feu vert au mariage des numéros trois et quatre du mobile en Allemagne : des noces à 8,6 milliards d'euros entre O2, filiale de Telefonica, et E-Plus, détenu par KPN. « Je fais le pari que la réponse sera positive » s'est même risqué jeudi dernier le président de l'Autorité de la Concurrence française, Bruno Lasserre, tout en prédisant « il y aura des remèdes » au risque d'atteintes à la concurrence. Citant deux sources proches du dossier, l'agence Reuters affirme que l'opération sera bien autorisée car Telefonica se serait engagé à céder 20% des capacités du réseau du nouvel ensemble à des opérateurs virtuels, les « MVNO. » Ce sera la deuxième fusion de ce type autorisée par Bruxelles après le rachat d'O2 par Hutchison en Irlande fin mai. Avant une recomposition autour de Bouygues Telecom en France ? Banquiers, avocats et états-majors des opérateurs de l'Hexagone ont les yeux rivés sur ce grand marché voisin qui pourrait passer de quatre à trois opérateurs mobiles, un scénario qui n'est désormais plus tabou en France et même souhaité par de nombreux acteurs. 

« On attend de voir la décision sur l'Allemagne avant de bouger » confie un membre du comité exécutif d'Orange. L'opérateur historique s'est fixé l'horizon de « la fin juillet : après, si on n'a pas trouvé le bon schéma, on pose les stylos. »

S'il n'y a toujours « pas de discussions actives entre Bouygues et Orange aujourd'hui », elles pourraient s'ouvrir après la décision définitive sur le mariage d'outre-Rhin qui permettra de prendre le pouls de la Commission européenne, indique un banquier proche du dossier. Car c'est Bruxelles qui devrait se saisir d'un dossier impliquant Orange, qui réalise moins des deux tiers de son chiffre d'affaires en France.

 Renforcer les opérateurs virtuels

Or jusqu'ici, « la décision sur le cas irlandais ne nous donne pas énormément envie d'y aller » observe un proche de la direction de l'opérateur historique. L'intérêt d'une éventuelle opération sur Bouygues Telecom, fortement génératrice de synergies, réside dans l'importance des concessions proposées en amont ou imposées par la Commission. Gervais Pellissier, le numéro deux d'Orange, a fait référence récemment à une note de Moody's « pas très enthousiasmante », dans laquelle l'agence de notation jugeait que les bénéfices de la fusion en Irlande étaient limités du fait des remèdes imposés et qu'un apaisement de la concurrence sur les prix semblait peu probable…

 En Irlande, le hongkongais Hutchison, qui opère sous la marque « 3 », a proposé des mesures garantissant l'entrée à court terme de deux opérateurs virtuels, « dont l'un aurait la possibilité de devenir un opérateur de réseau mobile à part entière, par l'acquisition de fréquences à un stade ultérieur », en vendant « jusqu'à 30 % de la capacité du réseau » à ces deux opérateurs contre des paiements fixes, a expliqué la Commission européenne dans sa décision. En Allemagne, Telefonica ne s'engagerait « que » sur 20% mais en laissant la possibilité de faire émerger « jusqu'à trois opérateurs virtuels » : le groupe espagnol chercherait à nouer des accords avec Freenet, United Internet et Drillish, selon Reuters. Il semble qu'il n'y ait pas de revente de fréquences prévues.

 Recréer artificiellement un nouveau 4eme opérateur ?

« Des remèdes visant à recréer artificiellement un acteur pour remplacer celui qui fusionne, ce n'est pas réaliste : aujourd'hui, il n'y a pas d'appétit en Europe pour une quatrième licence, on l'a vu en France, il n'y avait eu qu'un candidat » a relevé Bruno Lasserre, la semaine passée. Les concessions envisagées en Irlande et bientôt en Allemagne sont donc difficiles à transposer sur le marché français. « Il n'y a quasiment plus de MVNO en France, du fait du rachat en cours de Virgin Mobile, le plus gros d'entre eux, par Numericable » relève un banquier d'affaires. Il ne reste plus que l'opérateur EI Telecom, filiale du Crédit Mutuel (marques CIC Mobile et NRJ Mobile) qui compte environ 1,6 million de clients également, La Poste Mobile (une co-entreprise avec SFR) et les MVNO ethniques comme Lyca ou Lebara. 

Le "maverick" Free ne disparaît pas mais serait renforcé

C'est pourquoi un rachat de Bouygues Telecom par Orange serait « forcément un deal à trois avec Free » selon un banquier d'affaires proche du dossier. « A la différence de l'Irlande et de l'Allemagne, une telle opération ne fait pas disparaître le maverick du marché » souligne-t-il. Le président du gendarme français, Bruno Lasserre, a fait valoir que les autorités regardent dans ce type de fusion horizontale « la dynamique concurrentielle sur le long terme, si certains acteurs sont capables d'animer la concurrence sur le marché, en privilégiant le risque sur le confort. » Beaucoup y ont vu le portrait-robot de Free. 

Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James Equities, est d'ailleurs confiant sur l'approbation d'un potentiel deal Orange-Bouygues : « une vente des infrastructures de Bouygues à Iliad (Free) devrait répondre aux craintes de la DG Concurrence européenne, puisqu'Iliad deviendrait un acteur plus fort avec un réseau 4G de pointe. »

Cependant, Orange a-t-il intérêt à se lancer dans une acquisition - évaluée à 6 milliards d'euros, dont 2 à 3 milliards financés par les cessions à Free, qui reviendrait à « surarmer le maverick », Free, faisant s'envoler les espoirs d'assainissement du marché ? « Bien sûr, il y aura des remèdes. Mais seront-ils pires que la situation actuelle avec des prix très bas dans le mobile et un début de guerre des prix dans le fixe ? Pas sûr » analyse un banquier d'affaires, qui conclut : « au vu des réactions de la Bourse, qui peuvent faire perdre ou gagner des milliards d'euros sur le thème de la consolidation comme la semaine dernière, Orange a un intérêt évident à ce retour à trois, même si le schéma renforce Free. »

Delphine Cuny

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2014 à 16:22
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Les fusions sont-elles dangereuses pour la concurrence ? font-elles baisser les tarifs ? améliorent-elles la palette des services ?

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