Pourquoi SFR reste confiant sur son partage de réseaux avec Bouygues

Selon nos informations, l’Autorité de la concurrence avait adressé une « lettre de confort » aux deux opérateurs au sujet de leur accord de mutualisation. Mais l’ajout d’une clause d’itinérance 4G pourrait soulever des questions … ou servir de prétexte à une rupture.
Delphine Cuny
Olivier Roussat, le PDG de Bouygues Telecom, et Jean-Yves Charlier, celui de SFR, présentant leur accord de partage de réseaux début février.

Le mariage des réseaux mobiles de Bouygues Telecom et SFR sera-t-il jamais consommé ? Cinq mois après l'annonce de l'accord de mutualisation entre les deux opérateurs, alors que le camp de Bouygues semble avoir du mal à digérer l'échec de son projet de rachat de SFR en avril, les points d'interrogation s'accumulent. Selon « Les Echos », le gendarme des télécoms, l'Arcep, aurait émis des réserves dans un avis transmis à l'Autorité de la Concurrence, saisie d'une plainte d'Orange contre cet accord. Le régulateur du secteur s'inquiéterait de l'itinérance 4G que Bouygues aurait consentie sur son réseau, qui couvre 69% de la population, à SFR, dont le réseau à très haut débit mobile est moins déployé à ce stade (environ 40% de la population). Jean-Ludovic Silicani, le président de l'Arcep, a démenti mercredi soir sur BFM Business être contre cet accord

« Nous avons toujours soutenu le principe de cet accord de mutualisation. Cet accord est une bonne chose, il permet de déployer plus vite les réseaux mobiles dans des zones moins denses donc moins rentables. Nous sommes globalement favorables à l'accord. Sur quelques points de détail, nous appelons l'attention de l'Autorité de la concurrence. Mais ce sont des questions de deuxième ordre » a minimisé le président de l'Arcep, sans préciser les points soulevés dans cet avis consultatif.

Bruno Lasserre, le président de l'Autorité de la Concurrence, avait indiqué le 12 juin dernier que la décision serait rendue par les Sages de la rue de l'Echelle « juste après l'été », en septembre, sur d'éventuelles « mesures conservatoires », à la demande d'Orange. « J'étais le prêtre. On me demande d'organiser le divorce, après des fiançailles relativement courtes ! » avait-il ironisé.

Une « lettre de confort » du gendarme de la concurrence

Lors de l'assemblée générale de Vivendi mardi, le président du directoire Jean-François Dubos - qui a démissionné à l'issue de la réunion comme convenu et a été remplacé par Arnaud de Puyfontaine - avait pourtant affiché sa confiance sur l'accord entre sa filiale SFR, qui sera fusionnée avec Numericable « courant novembre » : 

« La plainte [d'Orange] n'est pas sérieuse. Nous avons présenté l'accord de mutualisation entre SFR et Bouygues Télécom à l'Autorité de la concurrence, qui l'a examiné pendant deux mois et nous a donné son feu vert. Je ne vois pas l'Autorité de la concurrence dire aujourd'hui le contraire.»

Cette confiance est évidemment partagée par SFR, où l'on rappelle que cet accord, devant générer 300 millions d'euros d'économies par an à terme, a fait l'objet de « dizaines de réunions de travail » avec les services du gendarme de la concurrence, dans un cadre très balisé, fixé par un avis publié par l'Autorité elle-même en mars 2013, à la demande du ministre Arnaud Montebourg.

« Nous avons reçu une lettre de confort de l'Autorité de Concurrence » affirme un dirigeant de SFR, serein.

En effet, selon nos informations, les services du contrôle de concentration de l'Autorité de la concurrence ont écrit aux deux parties début février, peu après l'annonce de l'accord, cette fameuse « lettre de confort » les rassurant sur l'absence d'examen nécessaire de l'opération créant une société commune entre les deux opérateurs qui doivent construire un réseau mobile commun dans toute la France, en dehors des 32 plus grandes agglomérations.

« Compte tenu des éléments factuels que vous nous avez transmis, il apparaît que cette opération n'entre pas dans le champ des articles L 430-1 et L 430-2 du Code du commerce. En conséquence, elle n'est pas soumise au contrôle de l'Autorité de concurrence française » indique ce courrier du gendarme de la concurrence.

Une itinérance 4G de deux ans sur 9% de la population

Une sorte de feu vert a priori. Mais les éléments transmis mentionnaient-ils la possibilité d'une itinérance 4G ? L'Autorité de la concurrence en aurait bien été informée, selon une source proche du dossier.

« Cette itinérance fait partie du contrat, mais pas de l'accord de mutualisation en tant que tel. Il n'y a aucune mutualisation de fréquences. C'est du « roaming » comme Free sur le réseau d'Orange ou celui des contrats des MVNO : il n'y aura pas d'équipements actifs de SFR pour utiliser les fréquences 1800 Mhz de Bouygues » décrypte ce proche du dossier.  

Surtout, cette itinérance porte sur « une durée limitée », deux ans maximum, et « une zone minuscule », représentant entre 6% et 9% de la population, selon deux sources concordantes : en clair, SFR ne pourra se prévaloir d'un réseau couvrant 69% de la population quand le sien ne s'étend que sur un peu plus de 40%. Cette itinérance procure indéniablement un certain avantage concurrentiel à SFR, mais cela désavantage-t-il grandement ses concurrents, Orange et Free ?

« La mariée est moins belle »

Cette clause d'itinérance aurait été ajoutée afin de compenser le déséquilibre financier de l'accord au détriment de Bouygues, au réseau 2G/3G plus petit (il opérera 40% du parc mutualisé d'antennes), selon un expert. Il reste à savoir si l'éventuelle remise en cause de cette clause complémentaire du contrat serait de nature à modifier la logique de l'accord pour les deux parties. Ou servir de prétexte à une rupture en bonne et due forme. « On découvre que la mariée était moins belle, que la qualité du réseau de SFR n'est pas ce que l'on nous avait promis » observe-t-on dans le camp de Bouygues, en référence à la récente enquête de l'Arcep sur la qualité des services mobiles qui a placé le réseau de Bouygues devant celui de SFR pour la première fois de son histoire.

Si le contrat ne comporte pas de clause de rupture en cas de changement capitalistique (tel que le rachat de SFR par Numericable), il inclut en revanche une « clause de gouvernance » classique : au bout d'un certain nombre de réunions infructueuses, si l'une des parties montre des signes de mauvaise volonté, il est possible d'envisager un recours juridique. SFR avait fait planer la menace d'une gigantesque indemnité d'un milliard d'euros - en réalité en référence à la revalorisation boursière liée à cet accord - mais il pourrait tout de même demander des dommages d'un montant équivalent aux économies attendues, soit 200 millions d'euros pour sa quote-part. Une somme non négligeable à l'échelle de Bouygues Telecom, plus élevée que les économies attendues son plan social de 1.516 suppressions d'emplois...

Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 26/06/2014 à 22:37
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Chapeau !

à écrit le 26/06/2014 à 15:27
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Partager les réseaux en France veut dire les partager avec l'ensemble des autres opérateurs du monde entier. On ne peut baser untel accord que sur la base d'une réciprocité nationale ou si cela n'était pas possible la définition stricte du service à ...

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