« Un rachat de Bouygues Telecom par Orange n’a aucune logique industrielle »

Les analystes de la Société Générale estiment que le seul intérêt pour Orange d'acquérir son concurrent serait d’améliorer son bilan après une augmentation de capital. Ils croient davantage au « mariage de raison » entre Free et Bouygues.
Delphine Cuny
« Un mariage de raison, de convenance » entre Free et Bouygues demeure « le scénario le plus réaliste » et « la solution la plus raisonnable » aux yeux des analystes de la Société Générale.

« Au bout d'un moment, Orange craquera » pronostique un membre de la direction de Bouygues Telecom. L'opérateur historique cédera-t-il à la nouvelle salve de la guerre des prix dans le fixe initiée par la filiale du groupe de BTP ? Selon les analystes d'Oddo, « au vu de la rentabilité limitée des offres fixes de Bouygues Telecom, nous estimons que le rationnel est essentiellement de précipiter la cession des actifs télécoms de Bouygues, en forçant Iliad [la maison-mère de Free] et/ou Orange à formuler une offre. » Mais cet éventuel rachat par l'opérateur historique a-t-elle un sens ? Une étude des analystes de la Société Générale aboutit à des conclusions très critiques sur le sujet : « une acquisition potentielle de Bouygues Telecom par Orange n'a aucune logique industrielle » écrivent-ils dans cette note à leurs clients d'une trentaine de pages. En revanche, ils croient à « un mariage de raison » entre Free et Bouygues.

« Revendre presque tous les actifs de Bouygues Telecom »

Pourquoi un rachat de Bouygues Telecom par Orange ne ferait-il « aucun sens sur le plan industriel » ? Parce que, soulignent les experts de la Soc Gen, « une vente à Orange présente peu de chances d'être approuvée par les régulateurs à moins de revendre presque tous les actifs de Bouygues Telecom », notamment le réseau mobile, « dans la mesure où l'entité combinée posséderait 61,7% des antennes 3G et 80,4% des antennes 4G en service à fin mai », un portefeuille de fréquences, puisque le groupe fusionné en aurait « deux fois plus que SFR », peut-être aussi des infrastructures en fibre optique, mais surtout une partie de la base de clients mobiles, car l'ensemble Orange-Bouygues aurait « une part de marché de 49% en nombre d'abonnés et de 60% en chiffre d'affaires des services mobiles » et enfin « Orange ne serait pas autorisé à conserver l'activité Entreprises de Bouygues », segment dans lequel l'opérateur historique pèse déjà de l'ordre de 70-75%.

Si d'autres experts - et certains membres du comité exécutif d'Orange - estiment « énormes » les synergies potentielles, de l'ordre de 1 milliard d'euros par an, ceux de la Société Générale n'attendent que 500 millions d'économies opérationnelles après cessions.
L'opération aurait même un impact dilutif pour les actionnaires d'Orange, de l'ordre de 17%, d'autant que les analystes sont sceptiques sur l'effet « market repair » (la fin de la guerre des prix): certes, ce serait l'arrêt des hostilités dans le fixe mais « il n'est pas certain que l'acquisition du réseau mobile et des fréquences de Bouygues Telecom par Iliad conduise celui-ci à être moins agressif dans le mobile. »

« Une augmentation de capital déguisée »

Sur le plan industriel, un renforcement en Espagne, par exemple en reprenant Jazztel, aurait plus de sens. Cependant, un rachat de Bouygues Telecom par Orange « aurait bien une certaine logique financière » et pourrait se justifier dans cette perspective, relève l'étude de la Société Générale. Si la filiale de Bouygues est vendue net de dettes, une acquisition pour un montant de 6 milliards d'euros financée entièrement en actions permettait de renforcer le bilan, d'abaisser mécaniquement le ratio d'endettement de l'opérateur historique, à 2 fois l'excédent brut d'exploitation après la revente des actifs cités pour 3 milliards, soit « pile l'objectif de la direction.» Ainsi, « une telle opération pourrait être menée comme une augmentation de capital déguisée pour améliorer le profil financier d'Orange. »

Un « mariage de raison » entre Bouygues et Free

Toutefois, c'est un rachat de Bouygues Telecom par Free, « un mariage de raison, de convenance » qui semble « le scénario le plus réaliste » et « la solution la plus raisonnable » aux yeux des experts de la SG, car il ne se heurterait à « aucun obstacle réglementaire. » Le seul problème concurrentiel pourrait, selon eux, concerner les fréquences en 2,6 Ghz : un ensemble fusionné Iliad-Bouygues en détiendrait 70 Mhz contre 40 Mhz pour Orange et 30 Mhz pour SFR !

Les synergies seraient importantes : premièrement, Free ferait l'économie du chèque de 700 millions d'euros par an qu'il règle à Orange pour utiliser son réseau mobile, même si cet accord d'itinérance n'a pas vocation à demeurer éternellement, notamment en 3G, l'Autorité de la concurrence ayant recommandé un arrêt progressif au plus tard en 2018. Ensuite, il y aurait d'autres économies dans le fixe (location de centraux dégroupés auprès de SFR et Axione, migration des abonnés Bouygues du réseau de Numericable, location de fibre à SFR et Orange), dans les réseaux mobiles (baux des sites où sont installées les antennes), la potentielle fermeture des magasins Bouygues Telecom (133 millions d'euros), les frais de siège, etc.

La fin du forfait low-cost de Free Mobile à 2 euros ?

En outre, Free atteindrait d'un coup son objectif de long terme d'une part de marché de 25% dans le mobile et pourrait ainsi retirer son forfait low-cost de 2 heures à 2 euros (zéro euro pour les abonnés ADSL à la Freebox) qui « accentue la pression sur l'ARPU » le revenu moyen par abonné, de Free Mobile, déjà affecté par la baisse des terminaisons d'appels (les tarifs de gros réglementés que se facturent entre eux les opérateurs). Les analystes de la Société Générale envisagent une remontée des prix de cet abonnement et de l'offre d'entrée de gamme de B&You, la marque low-cost de Bouygues, autour de 5 euros (plus qu'un doublement !), en ligne avec les forfaits comparables de Sosh (Orange) et Red (SFR).

En rachetant Bouygues Telecom, Free ferait aussi disparaître la menace que fait peser ce dernier sur son business très lucratif dans le fixe : si Free devait s'aligner et abaisser ses tarifs ADSL de 10 euros par mois, l'impact négatif sur son chiffre d'affaires et son résultat opérationnel (Ebitda) pourrait atteindre 340 millions voire 685 millions d'euros si la totalité de ses 5,7 millions clients haut débit basculait sur ce nouveau prix. De quoi faire « craquer » Free ?

Xavier Niel resterait actionnaire majoritaire

Compte tenu de toutes ces synergies, « un prix d'acquisition de 5 milliards d'euros aurait du sens pour Iliad » considèrent les analystes, même s'ils tablent plutôt sur une offre à 6 milliards, en cash, qui serait financée par une augmentation de capital d'Iliad de 1,1 milliard d'euros, « ce qui permettrait à Xavier Niel de maintenir sa participation au-dessus de 50% » et au groupe de conserver un ratio d'endettement inférieur à 2,5. Prudents, les experts concluent que cette « consolidation du marché est probable mais pas certaine » puisque « Bouygues dispose des ressources financières pour soutenir Bouygues Telecom pendant un moment, grâce aux dividendes venant des autres activités. »

Cependant, la filiale télécoms, qui vient d'annoncer un plan social portant sur 1.516 suppressions d'emplois dans le cadre de sa réorganisation après l'échec du rachat de SFR, risque de ne pas être en mesure de verser de dividende pendant un certain temps, ce qui la rend « moins intéressante pour la maison-mère » : la vente serait donc « l'option de raison » pour Martin Bouygues.

Dans cette grande partie de poker, Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James Equities, parie que « Bouygues et Iliad pourraient jouer l'attentisme, considérant que le temps est de leur côté. Orange pourrait alors être le joker d'une offre conjointe, avec le soutien du gouvernement. »

Delphine Cuny

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Commentaires 7
à écrit le 30/06/2014 à 10:28
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La Société Générale, ce n'est pas cette banque qui était à la manœuvre dans le choix de Numéricable pour SFR? N'aurait elle pas un intérêt (au sens du service après vente) à ce que son conseil visant à faire émerger un leader concurrent d'Orange dans...

à écrit le 30/06/2014 à 8:24
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D'un point de vue industriel, la multiplication des opérateurs a surtout eu pour effet de poser 4 ou 5 antennes relais redondantes sur certains immeubles des grandes villes alors que tout un pan de territoire n'est toujours pas couvert. Ce qui est...

le 30/06/2014 à 9:29
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La mutualisation des réseaux existe dans d'autres pays. Par exemple les filliales de Orange et de T-Mobile partagent le même réseau en Grande Bretagne Mais il ne faut pas aller vers un réseau unique qui poserait un problème en cas de panne pour les ...

le 30/06/2014 à 9:29
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Vous avez parfaitement raison mais regardez montegourde, il est totalement incapable d'avoir une analyse comme la votre. Par contre il est spécialiste de la création du vent et des mirages. Malheureusement avec les brêles qui nous dirigent votre visi...

le 30/06/2014 à 11:00
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4 ou 5 antennes relais ne produisent pas plus d'ondes qu'il y ait 1 ou 4 opérateurs: les antennes sont dimensionnées en fonction des besoins dans les villes. Si la densité est élevée, il faut de toute façon beaucoup d'antennes pour faire passer le tr...

le 30/06/2014 à 15:24
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Partager les antennes (équipement passif) ne permet pas de réduire les "doses" comme vous l'indiquez, car trois/quatre opérateurs sont obligés d'émettre sur leur propre fréquence. Cela ne permet pas non plus de réduire les coûts car les antennes ne c...

le 30/06/2014 à 17:28
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Le problème de la mutualisation est en fait assez simple a comprendre. Admettons un partage du gâteau en 4 parts équilibrées. Actuellement, chaque opérateur déploie une quantité de noeuds permettant d'accueillir ses clients, et tente de se debrouille...

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