"Les cartes d'identité électroniques arriveront en France en fin d'année"

Par Propos recueillis par Jean-Baptiste Jacquin  |   |  1367  mots
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Thomas Savare, directeur général d'Oberthur Technologies, numéro deux mondial des cartes à puce a accordé une interview à La Tribune pour la première fois depuis que le groupe s'est retiré de la Bourse en 2008. L'entreprise crée des emplois industriels en France et vise une croissance à deux chiffres en 2011.

On parle beaucoup du paiement sans contact, mais ne peine-t-il pas à décoller en France faute de modèle économique entre les opérateurs de télécommunications, les établissements financiers et les fabricants de mobiles ?

 

La collaboration est au contraire extrêmement forte entre les opérateurs télécoms et les banques. Le projet pilote lancé à Nice en mai 2010, et dont nous sommes l'un des acteurs principaux en tant que fabricant de cartes SIM, a servi à définir des standards pour le déploiement de la technologie NFC (Near Field Communication) de paiement sans contact par carte ou par téléphone mobile. De plus, Orange a annoncé qu'il déploierait 500.000 téléphones NFC en 2011. Nous sommes à la veille de la révolution du sans contact, avec les téléphones et les cartes de paiement. La France est plutôt en avance sur un certain nombre de pays. Les pouvoirs publics, sans qui l'expérience de Nice n'aurait pas été possible, viennent d'apporter leur soutien au déploiement dans neuf villes supplémentaires. C'est parti !

Quelle leçon tirez-vous du paiement sans contact à Nice ?

Il y avait auparavant deux écoles pour le système de reconnaissance et de paiement, le « trusted service manager » (TSM). Certains étaient pour un TSM central, avec une logique de logiciel propriétaire très lourde. Nous avons ?uvré pour un système interopérable avec des TSM décentralisés chez les différents acteurs (banques ou opérateurs télécoms). Les Etats-Unis qui étaient partis sur un système propriétaire en reviennent aujourd'hui. Un standard ouvert et interopérable, certes plus compliqué à mettre en place au démarrage, permet de développer le marché plus rapidement.

Quel potentiel recèle encore le paiement par cartes à puce, à savoir la technologie EMV ?

Notre chiffre d'affaires lié aux cartes à puce a augmenté de 3% seulement en 2010, comme l'ensemble du marché. Cette évolution masque toutefois une nette reprise de la croissance au second semestre, reprise qui se confirme, ce qui devrait d'ailleurs permettre au chiffre d'affaires global d'Oberthur Technologies de progresser de plus de 10%, en 2011. La grande question est de savoir si et quand les Etats-Unis, qui utilisent des cartes magnétiques, adopteront la technologie EMV. Nous sentons un frémissement. Nous sommes encore loin d'un véritable point d'inflexion, bien que, depuis 18 mois, des réseaux bancaires américains fournissent des cartes EMV à leurs clients qui se déplacent à l'étranger. Le principal moteur du développement de la technologie EMV aux Etats-Unis sera la fraude au paiement. L'utilisation de cartes à piste magnétique présentant un risque plus important.

Comment gérez-vous la pression à la baisse des prix de vente des cartes à puce, alors que les coûts de production ne diminuent pas ? Ne risquez-vous pas de délocaliser une partie de votre production ?

Il serait irresponsable de garder en France une activité qui n'est pas compétitive. Pour demeurer compétitif, il faut continuer à innover et à investir. C'est ce que nous faisons. Ce qui nous permet d'être créateurs net d'emplois en France, où nous employons quelque 2.000 personnes, sur un effectif total de 6.800 collaborateurs. Nous avons des usines à Vitré (Ille et Vilaine), Dijon, Rennes, et une grande partie de nos équipes de recherche et développement se trouve à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Vous avez échoué cet hiver dans votre tentative de rachat du britannique De La Rue. Est-ce que cela remet en cause votre stratégie dans le fiduciaire, l'impression de billets de banques ?

Le fiduciaire, qui représente 15% de notre chiffre d'affaires, a vu son activité grimper de 34% en 2010. Les seuls revenus liés aux billets de banque ont bondi de 50%, et devraient afficher un doublement entre 2009 et 2011. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la circulation fiduciaire en Europe affiche une croissance annuelle (7%) supérieure à celle des paiements électroniques (4%). Le cash est très pratique, gratuit et son usage est facilité par le développement très fort des distributeurs automatiques de billets dans les pays développés. Dans les pays émergents, où les gens sont peu bancarisés, le marché des billets de banque est porté par la croissance économique et l'inflation. Numéro trois mondial derrière le britannique De La Rue et l'allemand Giesecke & Devrient, nous continuons à gagner des parts de marché. Nous sommes toujours en phase d'investissement de capacités. Entre 2010 et 2011, nous aurons investi 30 millions d'euros dans notre usine rennaise d'impression de billets de banque et créé une centaine d'emplois industriels.

Mais pourquoi avoir renoncé à racheter De La Rue ?

Nous n'avons pas trouvé d'accord avec De La Rue sur le prix d'acquisition, après leur avoir proposé un peu plus d'un milliard d'euros. Or, en tant qu'entreprise familiale (mon père, mes deux s?urs et moi-même sommes les actionnaires), nous ne sommes pas disposés à surpayer des actifs. Nous restons convaincus de la pertinence d'une intégration verticale avec un fabricant de papier, et continuerons à examiner des opportunités d'acquisition, en France, aux Etats-Unis, en Suisse ou en Slovénie. Nous avons les moyens de procéder à des opérations de croissance externe mais nous n'avons pas de dossiers à l'étude pour le moment.

Parmi les autres leviers de votre croissance, il y a l'identification...

La fourniture de documents d'identité sécurisés constitue le plus fort potentiel de croissance à moyen terme. Cette activité, qui représente 10% de nos revenus, aura doublé son chiffre d'affaires entre 2009 et 2011. Pas moins de 3 millions de passeports et plus de 6 millions de cartes d'identité sont émis chaque année en France. Or les pièces d'identité deviennent électroniques, ce qui est bon pour notre activité. Et le gouvernement est sensible au développement de cette technologie alors que les deux champions mondiaux sont Français [Gemalto et Oberthur sont respectivement n°1 et 2 mondiaux.Ndlr]. Le projet de loi sur la carte d'identité électronique doit être examiné en avril au Sénat et en mai à l'Assemblée Nationale. Les premières cartes, a priori dotées de deux puces, devraient faire leur apparition en France avant la fin de l'année.

Et la biométrie ?

Cela va dépendre des pays. Les passeports répondent à des standards internationaux, mais pour les cartes d'identité, chaque pays peut choisir d'y intégrer telle ou telle spécificité, comme la signature électronique, le vote électronique etc. Au Guatemala par exemple, nous avons intégré un système de reconnaissance d'emprunte digitale. Le principe est que l'algorithme de reconnaissance est dans la puce, donc, l'emprunte digitale est stockée et reconnue dans la puce et n'en sort pas ! Nous avons un dernier domaine d'activité qui se développe, c'est le « cash protection », c'est-à-dire les équipements qui détruisent ou souillent (maculent) les billets lorsqu'un transport de fonds ou un distributeur est attaqué.

Vous avez retiré Oberthur Technologies de la Bourse en 2008. N'est-ce pas un handicap de ne plus être une société cotée, surtout pour un groupe familial ?

En termes de notoriété, si, un peu. Mais la Bourse ne répondait plus à sa fonction, à savoir permettre de lever des financements, et la cotation engendrait trop de coûts pour une faible valorisation. En revanche, nous avons gardé la discipline d'une société cotée. Ainsi, la majorité de nos administrateurs sont indépendants. Notre objectif a toujours été de développer le groupe et de réinvestir. Nous avons pris des risques, sans tabou sur la structure du capital, dès lors que l'objectif de développement était préservé. C'est pour cela que nous sommes allés en bourse... puis que nous en sommes sortis

Avez-vous été approché par des acquéreurs ou des investisseurs comme l'a fait le Fonds stratégique d'investissement de l'Etat, désormais au capital de votre concurrent Gemalto ?

Des gens sont en effet venus nous dire qu'ils souhaitaient investir dans Oberthur Technologies. Mais nous n'avons pas reçu de propositions sérieuses. En revanche, nous avons fait entrer l'an dernier le fonds d'investissement belge Sofina dans le capital de notre holding familial, François-Charles Oberthur Fiduciaire (maison mère d'Oberthur Technologies), à hauteur de 8%, afin de renforcer nos fonds propres et de nous accompagner dans nos projets de croissance.