Apprendre à programmer aux enfants : plus qu'un jeu, une nécessité

Par Isabelle Boucq  |   |  1236  mots
Simple et ludique, le codage informatique ouvre aux enfants un monde de rêves et, à terme... d'emplois./ DR
Accueilli au sein de Numa, le nouveau lieu du numérique et de l'innovation à Paris, le premier CoderDojo a permis à une trentaine de jeunes de 7 et 15 ans de s'initier à la programmation.

En ce samedi après-midi de la mi-janvier, Brenda O'Connell accueille une trentaine de jeunes inscrits au premier CoderDojo parisien officiel. Elle campe, tablette en main, à l'entrée des locaux de Numa, le nouveau lieu abritant depuis novembre 2013 des start-up et des entrepreneurs dans le quartier du Sentier (Paris 2e).

« Ici, ce n'est pas l'école et il n'y a pas de règle, à part le respect des autres », explique-t-elle aux jeunes qui arrivent avec leur ordinateur sous le bras, accompagnés de leurs parents.

Heureuse surprise, les filles sont bien représentées dans ce groupe curieux et impatient de se lancer.

Se lancer dans quoi ?

Au programme: le codage des programmes informatiques, la construction des sites Web, des applications, des jeux et plus encore.

Dans ce club, « ils apprennent entre eux et font ce qu'ils ont envie. C'est "freestyle" », assure Brenda O'Connell Dans la galaxie des initiatives qui incitent les jeunes à se frotter activement aux outils numériques, les CoderDojo occupent une place à part.

Depuis que James Whelton et Bill Liao ont organisé le premier rendez-vous en juillet 2011, à Cork, en Irlande, les CoderDojo se sont multipliés dans le monde entier avec 27 pays actifs aujourd'hui. Paris n'était pas sur la carte avant que Brenda O'Connell, une Irlandaise installée à Paris depuis neuf ans et baignant dans l'univers numérique, ne comble cette lacune.

Car, à l'heure où le gouvernement évoque la possibilité d'enseigner l'innovation à l'école, il est urgent de multiplier les occasions de mettre les mains dans le cambouis informatique, de concevoir, de programmer, de créer des objets que les jeunes bidouilleurs, innovateurs de demain, dotent d'intelligence dans un esprit d'échange au cours de rassemblements de types Coding Goûters, Hackidemia ou encore des FabLabs.

Les maîtres : de jeunes ingénieurs passionnés

Pour ce premier CoderDojo (un premier essai en novembre dernier avait permis de roder l'organisation), le gros des troupes, des jeunes de 7 à 12 ans environ, commence par installer Scratch, un logiciel gratuit du Massachusetts Institute of Technology (MIT), dans lequel ils vont, trois heures durant, créer leur propre jeu en choisissant des personnages et en programmant leurs actions grâce à des objets qu'ils déplacent sur l'écran à la façon de briques Lego.

Carla, Eva et Michaël, trois collégiens déjà initiés à Scratch lors du premier rendez-vous, ont envie de passer à autre chose. Brenda leur propose de créer un site web très simple avec des pages dédiées à leurs vidéos, photos et musiques favorites en HTML.

Emmanuel (15 ans), déjà familier des autres outils, trouve son bonheur avec le logiciel de musique Renoise, qu'il prend en main en retravaillant un morceau de Daft Punk avec l'aide de Geoffroy Montel. Geoffroy est l'un des mentors de ce premier CoderDojo parisien qui réunit une équipe d'une dizaine de jeunes ingénieurs et programmeurs. Ils ont choisi de consacrer leur samedi après-midi à partager leur passion avec la génération suivante. Geoffroy et Emmanuel vont passer l'après-midi ensemble reliés par une paire d'oreillettes partagée, l'un à guider en douceur et l'autre à se familiariser avec l'outil, tout en accueillant par moments d'autres mentors venus se mêler à cette séance d'apprentissage sur mesure.

« Je vais t'expliquer un truc. Si tu utilises des "reverbs", ça fait comme si tu étais dans une cathédrale », explique Geoffroy qui pratique la musique électronique depuis l'âge de 14 ans.

« Le potentiel est illimité, s'émerveille Emmanuel. Je vais continuer à explorer Renoise, c'est sûr. »

« Développer, c'est un langage et une ouverture d'esprit, explique Cédric Duclos, un des mentors, ingénieur chez Jolicloud. Comprendre ce qui se passe derrière l'outil, c'est important et ce n'est pas si compliqué. Vers 8 ans, on voit qu'ils comprennent les principes, les variables, les boucles, l'architecture d'un programme. »

Solène Giard, une littéraire tombée dans le numérique à l'occasion d'un stage dans le pôle de compétitivité parisien Cap Digital, est aussi venue pour aider. Elle est convaincue que l'innovation vient de la rencontre entre plusieurs cultures et univers et elle sait d'expérience que les start-up sont friandes de profils différents. Elle a convaincu son compagnon de se joindre à elle : Camille Maussange est ingénieur en informatique et cofondateur de Linkfluence, une société qui aide les marques à mesurer ce qu'on dit d'elles sur le Web social.

« J'aimerais que l'Éducation nationale enseigne les bases des algorithmes. Je ne vois quasiment aucun métier qui ne se servira pas de ces outils », affirme l'ingénieur créateur d'entreprise.

Programmeur et ingénieur système, Philippe Muller est venu par curiosité et s'est pris au défi de mettre ses connaissances du langage HTML au service de pré-ados avec des mots simples. Il repart la tête pleine d'idées d'autres activités pour le prochain CoderDojo programmé pour le 22 février, toujours dans les locaux de Numa. Les parents, eux aussi, sont ravis.

Pendant que Birdy, 9 ans, promène son perroquet dans des décors en se racontant des histoires, son beau-père, Dan, explique que cet après-midi confirme la créativité du jeune garçon qui s'est approprié l'outil en le détournant de son but original. Un vrai petit hacker, en somme. Stéphanie Lamy, secrétaire générale d'Internet sans frontière, est venue avec ses deux filles.

« À 12 ans, Eva consomme Internet. Mais là, elle participe à la création, elle contribue au réseau. Il faut attirer les filles car c'est créatif et rien ne devrait les retenir. »

Quant à Brenda, qui continue à virevolter entre les tables couvertes d'ordinateurs et les groupes affairés, elle est ravie de rapprocher parents et enfants autour de l'ordinateur, une « bonding experience », comme elle dit. Elle adore entendre les enfants dire qu'ils veulent améliorer les jeux auxquels ils jouent déjà.

Samedi 17 heures. Trois heures se sont envolées. Personne n'a vu le temps passer. C'est l'heure de présenter son travail. Les uns après les autres, les jeunes prennent le micro et expliquent à la salle leur projet un chat qui gagne des points en mangeant des souris et en perd en se faisant attraper par des chauves-souris camouflées dans le décor, par exemple - pendant qu'un mentor en fait une démo sur grand écran.

À la fin de son jeu, Zoë s'identifie noir sur blanc comme « lead programmer » et recueille un tonnerre d'applaudissements.

Pierre-Olivier Marec, un autre mentor dont la société Mobbles développe des jeux sur mobiles, est content :

« Quand j'étais petit, je voulais être inventeur. Je suis ingénieur et entrepreneur car je veux créer des produits pour apporter quelque chose aux autres. Avec les technologies, on est libre et on peut expérimenter. Les gamins ici aujourd'hui peuvent faire tout ce que font des ingénieurs Google. Le but, c'est qu'ils jouent avec le savoir pour se l'approprier, qu'ils aient envie de continuer chez eux. »

Nathanael Sorin-Richez, le permanent de Silicon Sentier qui a ouvert les portes de Numa à Brenda O'Connell, ne dit pas autre chose :

« C'est une formation croisée, c'est communautaire avec une réflexion sur les usages et la culture des nouvelles technologies. C'est pour cela qu'on a créé ce lieu. »

Prochain rendez-vous du CoderDojo le 22 février.

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