Eindhoven la ville qui concentre à haute dose la matière grise

Par Sabine Cessou, à Amsterdam  |   |  966  mots
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Cette localité du sud-est des Pays-Bas s’impose comme la ville des brevets en Europe, grâce à un campus hightech de 100 start-up et 8.000 chercheurs monté par d’ex-salariés de Philips. La ville participe activement à ce centre de recherche tous azimuts, qui fonctionne sur un principe de collaboration plutôt que de concurrence.

Microscope électronique à balayage, CD, ampoules LED, nouvelle version du GPS Tom- Tom… C'est à Eindhoven, cinquième ville des Pays-Bas, située dans le sud-est du pays, que les brevets de toutes ces trouvailles ont été déposés.

La « région la plus intelligente du monde »

Eindhoven avait déjà remporté la palme de la « région la plus intelligente du monde » en 2011, décernée à New York par le Forum des communautés intelligentes du monde (ICF). Le magazine américain Forbes l'a déclarée à son tour en juillet 2013 « ville la plus innovante du monde ». La raison ? Avec un taux de 22,6 brevets pour 10.000 habitants, elle fait mieux que la Silicon Valley ou que la technopole indienne de Bangalore.

Un tel niveau d'innovation doit beaucoup à Philips, le fabricant d'ampoules fondé en 1891 dans ce qui était déjà une ville industrielle, alors tournée vers le textile. Le géant de l'électronique compte aujourd'hui 118.000 employés dans soixante pays. Il s'est développé autour de ses trois métiers : l'éclairage, l'électroménager et l'équipement médical de pointe.

Recaser les ingénieurs licenciés

En restructuration depuis dix ans, le groupe a dégraissé ses effectifs, sans pour autant laisser tomber ses salariés. Philips, qui tient à sa réputation de meilleur employeur des Pays-Bas, a monté un High Tech Campus (HTC) en 2003, sur le site de ses anciens laboratoires.

L'objectif : recaser les ingénieurs licenciés. Ces professionnels se sont servi de cette plate-forme de 103 hectares pour voler de leurs propres ailes. Ils ont lancé des start-up qui sous-traitent pour Philips, mais aussi pour IBM et Intel.

Ces trois grands groupes, qui ne sont pas concurrents directs, ont décidé de partager leurs activités de R&D. « Un choc culturel pour certains entrepreneurs », notamment américains, affirme un porte-parole du HTC.

Une forte volonté politique

Le long d'un plan d'eau avec nénuphars, un bâtiment ultramoderne de deux étages, tout en baies vitrées, s'étend sur 400 mètres. Dénommé « The Strip » (la bande), il propose trois restaurants, deux bars, un centre de conférences et une salle de gymnastique. Cet espace ouvert entend faciliter rencontres et échanges. Le campus se veut le « kilomètre carré le plus intelligent des Pays-Bas ».

Son crédo : « L'innovation ouverte », une méthode elle-même innovante qui privilégie la collaboration dans la recherche, notamment dans l'équipement médical et les énergies renouvelables, deux domaines cruciaux pour l'avenir.

Il s'agit bien, dans cette ruche, de « pollinisation croisée », comme l'explique Simon van Hapert, PDG de Montes Jura, une société spécialisée dans les microsphères utilisées en médecine endovasculaire. Le campus est lié à l'université de technologie d'Eindhoven, où deux centres d'affaires incubateurs d'entreprises ont été lancés, Catalyst et Twinning.

Mise en commun des services

Le HTC organise des foires, des conférences très pointues, mais aussi des séminaires à l'étranger et des rencontres hebdomadaires entre chercheurs et investisseurs.  

Deux centres d'affaires, dénommés « Beta » et « Mu » (comme les lettres grecques), mettent en commun des services de conseil, de comptabilité, mais aussi des laboratoires chimiques, biochimiques , électriques ou physiques dédiés aux PME.

Ces économies d'échelle ont fait le succès de sociétés comme Nedstars (conseil aux commerces en ligne), Segula (ingénierie) ou ABB (robotique industrielle à faible impact environnemental).

Le moitié des entreprises sont étrangères

Dans la ville, les entreprises néerlandaises dominent mais ne sont pas les seules. Sur la trentaine de sociétés qui s'installent dans la région chaque année depuis 2004, plus de la moitié sont étrangères, notamment américaines, chinoises et indiennes.

La ville a accueilli début septembre son 220.000 habitant, en la personne de Shirish Halapeth. Cet expatrié travaille pour la grande firme informatique indienne Wipro, qui a pris pied sur le campus.

Toute l'expérience repose sur le consensus habituel au pays des polders.

« Dans le Brabant, nous n'avons pas de port, pas de gaz, nous n'avons pour nous que les uns et les autres », explique Rob van Gijzel, le maire travailliste d'Eindhoven.

Élu en 2008, cet ancien président de l'Assemblée nationale joue un rôle central dans la promotion du HTC, mais aussi du modèle de coopération « à triple hélice » entre autorités publiques, entreprises et organismes de recherche qui le soutiennent.

Le HTC, d'abord locomotive de Brainport Eindhoven - une fondation qui regroupe l'Institut du polymère, l'Académie du design et l'université de technologie d'Eindhoven - est devenu central dans la structure régionale de Brainport Nord-Brabant, lancée en 2005 pour regrouper et promouvoir les centres de haute technologie des villes voisines (parcs technologiques de l'automobile, de la santé et de l'agroalimentaire).

En tout, 7.500 étudiants, 14.000 chercheurs et 51.000 emplois industriels, qui comptent pour le quart des exportations néerlandaises.

Un des trois piliers de l'économie néerlandaise

« Pas seul, mais avec les autres. C'est là que se trouve la puissance de l'innovation », affirme aujourd'hui le ministre de l'Économie, Henk Kamp. Le gouvernement du Premier ministre libéral Mark Rutte n'en a pas moins pris le train en marche. Eindhoven fait partie depuis 2012, avec le port de Rotterdam et l'aéroport de Schiphol (Amsterdam), des trois piliers officiels de l'économie néerlandaise.

Le ministère de l'Économie a investi dans la construction du bâtiment de Mu, où se trouvent désormais les bureaux de Brainport Development à l'échelle nationale. De son côté, Rob van Gijzel ne relâche pas son effort de lobbying un seul instant. Il a eu l'idée d'inviter en 2012 les 150 ambassadeurs des Pays-Bas à venir visiter le campus, en marge de leur conférence annuelle à La Haye. Pour mieux en faire la promotion à l'étranger.