Emmanuel Straschnov veut rendre le codage obsolète

Par Patrick Cappelli  |   |  845  mots
(Crédits : DR)
Le codage est-il déjà mort, alors qu'on nous répète que c'est la clé des emplois présents, et surtout futurs, pour les jeunes comme les chômeurs longue durée ? Peut-être, si Emmanuel Straschnov et sa startup Bubble remplissent leur mission.

Chevelure noir de jais, regard pétillant et grand sourire, Emmanuel Straschnov ne fait pas ses 34 ans. Ce polytechnicien à l'allure juvénile et décontractée vivant à New York a pourtant un objectif très ambitieux : remplacer les fastidieuses lignes de codes servant à créer sites Web et applis mobiles par une méthode plus simple, accessible à tous. Mais avant de cofonder sa startup Bubble en 2012, le trentenaire a commencé son parcours dans un petit village du pays d'Auge, en Normandie. Il passe son bac S dans un lycée « pas très bon, avec 60% de réussite », fait sa prépa à Louis-le-Grand à Paris et entre à Polytechnique en 2003.

« Je voulais être fonctionnaire. J'ai même dit à mon père que la seule façon d'être utile, c'était de travailler pour l'État. J'ai d'ailleurs commencé à préparer l'ÉNA. » Sorti de l'X avec un très bon classement, il se voit ouvrir la voie royale du corps des Ponts, et abandonne l'objectif de l'ÉNA. « Je me suis rendu compte que travailler pour l'État voulait dire rester en France toute ma vie. Et moi, j'avais envie de vivre à l'étranger quelques années. »

Pendant trois ans, il occupe le poste de consultant en stratégie pour le cabinet Roland Berger dans des mégalopoles inconnues comme Guiyang, capitale du Guizhou. Le choix de la Chine n'est pas anodin car sa famille a une histoire avec ce pays. Son père part à Taïwan en 1978 à l'âge de 18 ans sur un coup de tête, et y rencontre la future mère du jeune homme, diplômée de langues orientales et passionnée par les caractères chinois. Emmanuel visite le pays de Mao dès 12 ans et commence son apprentissage du mandarin, qu'il pratique ensuite avec ses parents. Le retour en France en 2010 n'est pas évident durant cette « période de fin de règne des années Sarkozy » selon le lecteur de Marx qui ne cache pas son penchant politique à gauche.

Il part donc aux États-Unis passer un MBA de général management à Harvard. Une expérience « géniale ! On peut parler à n'importe qui, et avec une adresse email harvard.edu, tout le monde vous répond ».

Il fait un stage chez Prada à New York, mais s'aperçoit assez vite que le luxe et son côté paillettes ne l'intéressaient pas, confie celui qui est aujourd'hui le compagnon d'une actrice sino-américaine.

« J'ai aussi compris que j'avais envie de rester aux États-Unis. En 2012, c'était le début de la startup wave, juste après l'IPO de Facebook [Initial Public Offering, introduction en Bourse, ndlr] », décrit-il.

Une interface pour créer ses logiciels

Après son diplôme, il navigue entre New York, San Francisco et Boston, et trouve un job dans une startup de l'univers mobile. Mais la veille de sa prise de fonction, il rencontre Joshua Haas. « Il avait commencé à travailler sur un moyen de rendre accessible la programmation à tous. On ne se connaissait pas du tout et, cinq ans après, nous sommes toujours ensemble, c'est assez rare dans ce milieu », estime le polytechnicien. Leur concept : créer logiciels et applications à l'aide d'une interface visuelle. « L'analogie que j'utilise, c'est le saut entre MS-DOS et Windows et MacIntosh, qui ont remplacé la ligne de commande par des icônes. N'importe qui pouvait désormais utiliser des ordinateurs sans être des spécialistes. Nous proposons la même chose pour programmer les machines », décrypte le diplômé d'Harvard. Mais il y a un truc : les équipes de Bubble ont déjà précodés les briques élémentaires. « Ça fait cinq ans qu'on travaille dessus. On a commencé à gagner de l'argent en 2014. Nous n'avons pas levé de fonds car je préfère utiliser mon énergie à créer quelque chose plutôt que d'essayer de séduire des investisseurs », précise Emmanuel Straschnov.

Les clients sont principalement des startups, comme la marketplace française Comet, qui, grâce à Bubble, a pu éviter d'embaucher des ingénieurs très coûteux. Le business model est celui du Saas (logiciel en tant que service) : l'accès au logiciel est gratuit mais pour en utiliser toutes les fonctions, il faut payer un abonnement (14 à 445 dollars par mois). Bubble recense sur sa plateforme 120 000 utilisateurs, dont 1 500 entreprises payantes.

« De nos jours, n'importe quelle société qui se crée doit être en ligne. Or, la plupart sont devenues de fait des entreprises de logiciels, avec des ingénieurs. Le prochain Airbnb n'aura pas besoin de programmeurs car Bubble n'est pas plus compliqué à utiliser que Microsoft Office. Je veux redéfinir la façon dont les gens programment les ordinateurs », proclame Emmanuel Straschnov. S'il respecte sa promesse, l'univers informatique s'en trouvera radicalement changé.

1983 Naît à Paris.

2000 Décroche son bac S.

2000-2002 Classe préparatoire à Louis-le-Grand.

2003 Entre à Polytechnique.

2006 Intègre le corps des Ponts.

2007-2010 Part en Chine pour Roland Berger.

2010-2012 MBA à Harvard.

2012 Co-fonde Bubble avec l'américain Joshua Haas.

2014 Gagne ses premiers clients.

2017 Rentable avec un CA d'1 million d'euros.