La musique, autre révélateur de la mondialisation

French Touch, house, minimale, dubstep, grunge... La database de Spotify permet d'analyser la diffusion dans le monde des genres musicaux, d'identifier les "métropoles d'influences". Les résultats des analyses effectuées placent la musique comme produit-témoin privilégié de la mondialisation. Explications.
Londres, championne de la mondialisation musicale ... mais pas aux destinations les plus exotiques (Photo : Capture d'écran Spotify Insight Date Blog)

La mondialisation - cela n'est pas un mystère - est une histoire de pouvoir, d'espace et de pôles. En tant que « produit marchand », la musique n'y échappe pas. Mieux encore, elle est un témoin privilégié de la polarisation et de la diffusion d'influence dans certaines métropoles.

Trois en particulier ont été étudiées par Eliot Van Buskirk. Cet ancien du magazine Wired s'est servi de Spotify Insight Data Blog, la nouvelle plateforme de Spotify - le service de streaming musical gratuit - et de sa filiale The Echo Nest, dédiée aux recherches et analyses dans le domaine musical, pour détailler les sphères d'influence des genres musicaux issus de Londres, Paris et Berlin.

Une diffusion numérique de la musique ...

Le numérique a permis la diffusion des nouveaux courants musicaux : « French Touch », house, minimale, dubstep, grunge, etc. Tous ont bénéficié d'une diffusion d'un nouveau genre, permise par Internet.

Et le streaming musical tient un rôle majeur dans ce phénomène de « musique mondialisée ». La dématérialisation du support a engendré son essor fulgurant en même temps que la chute du CD. Spotify, dont les données ont permis d'établir ce panorama des métropoles d'influence des genres musicaux, en est le n°1 mondial. Cette activité, qui compte comme autres représentants de taille Soundcloud et Pandora et s'est considérablement développée ces dernières années, a le vent en poupe. Spotify s'est même offert le luxe de refuser une offre entre 4 et 5 milliards d'euros de la part de Google, fixant son prix au double.

... Qui observe les schémas typiques de la mondialisation de l'espace

  • Une musique "mondialisée" et non "mondiale"

Il n'est pas question pour les genres musicaux étudiés de parler de musique "mondiale" au sens qu'elle serait écoutée partout, qu'elle aurait une portée universelle. Cette étude tend justement à montrer que leur diffusion va observer une trajectoire différente en fonction de leur territoire d'origine. La musique est "mondialisée" par le numérique, car elle s'échange plus et plus rapidement. Mais ce partage n'est pas instantané, planétaire et uniformisé. Il observe des dynamiques typiques de la mondialisation, centres vers périphéries.

  • Des centres : les métropoles occidentales

Paris, Londres, Berlin n'ont pas été choisies au hasard par l'étude. Capitales européennes, elles forment des centres culturels majeurs qui étendent leur rayonnement dans leur environnement proche (région, pays entier) de prime abord. Grâce à cet ancrage "local" - à l'échelle de la mondialisation - ces métropoles ont pu développer leur influence à l'international, dans des territoires de prédilection.

  • Des périphéries : l'Asie, l'Eurasie, les zones du monde les moins "occidentales"

Ce n'est pas une surprise d'observer que le rayonnement de la musique issue de ces "capitales de l'Occident" reste très marginal en Asie ou encore en Russie. Ce que les résultats de l'étude de Spotify nous montrent, c'est qu'à partir du moment où l'on parle de "genre" musical, on parle également de "culture" : les langues, les modes de vie et la structure de la vie musicale dans les différentes zones du monde ont une incidence décisive, comme le montrait une étude de Richard Letts du Conseil de la Musique de l'Australie, en 2003 déjà.

Les voix s'élèvent pourtant depuis plusieurs années pour dénoncer l'uniformisation à outrance de la musique et de l'écoute musicale. L'ethnomusicologue français Jean During explique, dans son étude de 2007 L'oreille musicale et la voix de l'Orient, que les « formes musicales » ont, de tout temps, « rayonné depuis leur foyer initial pour se fondre dans d'autres formes, constituant de grands espaces musicaux relativement homogènes ». A ses yeux, l'industrialisation de la musique a néanmoins changé la donne. La musique s'est simplifiée. Sous cette forme sans nuance, sans intervalles, elle menace d'un "effacement des singularités" et d'un "aplatissement des cultures". L'étude d'Eliot Van Buskirk pour le Spotify Insight Data Blog tend, au contraire, à approuver la tendance de l'histoire longue décrite dans un premier temps par Jean During, celle de la formation de grands espaces aux genres musicaux similaires.

Le clivage Orient/Occident se trouve ainsi ressuscité par cette étude de données à échantillon considérable ... pour ce qui est de la musique, en tout cas.

  • Des "prés carrés" bien identifiés et différenciés

Cette étude géographique ne démontre pas seulement la diffusion accrue des genres musicaux des trois capitales européennes dans le monde entier. Elle illustre un phénomène de « sphères » d'influence bien différenciées entre elles, qui n'est pas sans rappeler certaines polarisations historiques.

Berlin, au plus près de ses murs (influence 28 métropoles)

"Plus précisément, la musique de Berlin a tendance à rester près de chez elle" explique Ajay Kalia, responsable des Taste Profiles à Spotify. Par exemple, la « techno minimale », dont Berlin est le centre névralgique, se diffuse principalement en Europe où elle fait fureur. Mais ce genre qui est parvenu à se construire une identité propre très « hype » et qui mobilise de nombreux adeptes, semble moins accessible. C'est sans doute pourquoi il reste majoritairement cantonné aux frontières européennes.

Londres et la persistance du Commonwealth (influence 46 métropoles)

Londres est la championne toutes catégories des métropoles de la mondialisation musicale. La bass music, le british indie rock, le pub rock ou encore le UK Garage (cités par l'étude) sont les genres les plus mondialement connus et diffusés. Mais l'étude de Spotify exhibe une caractéristique non forcément anticipée. Les principales métropoles influencées sont anglophones, et d'anciennes possessions britanniques : Etats-Unis, Australie et Nouvelle-Zélande.

Paris, la mondialiste (influence 35 métropoles)

Si les genres musicaux londoniens se sont diffusés dans le plus grand nombre de métropoles, ce sont les genres parisiens qui se sont dispersés de la manière la plus variée géographiquement. Daft Punk, Phoenix, Air d'un côté, Justice, Kavinsky de l'autre, ont dépassé les frontières européennes, et touché l'Amérique Nord et du Sud (où le yéyé a connu une exposition extraordinaire malgré la langue), l'Australie et l'Asie du Sud-Est. Finalement, les genres musicaux de Paris seraient les plus « exotiques ». C'est Spotify qui le dit.

>> Pour aller plus loin : les cartes de diffusion des genres musicaux depuis Berlin, Londres et Paris

Étude originelle : "How Music Migrated from Berlin, London and Paris" by Eliot Van Buekirk - Spotify Insight Data Blog

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.