Loi numérique : les députés LR tirent à boulets rouges

Alors que la loi numérique d’Axelle Lemaire arrive à l’Assemblée nationale, les députés du parti Les Républicains ne ménagent pas leurs critiques sur le texte, autant sur le fond que sur la forme. Quitte à multiplier les attaques contradictoires et non-coordonnées. Une situation étrange qui souligne la nécessité pour le principal parti d’opposition d’organiser un véritable débat en interne sur les enjeux du numérique.
Sylvain Rolland
Les députés Les Républicains ne ménagent pas leurs critiques sur le texte, autant sur le fond que sur la forme. Quitte à multiplier les attaques contradictoires et non-coordonnées. Ainsi, dans une interview publiée par le quotidien L'Opinion mercredi 13 janvier, Nathalie Kosciusko-Morizet n'hésite pas à faire entendre sa propre musique.

"Le texte n'est ni fait, ni à faire !". Dès l'entrée en matière de sa conférence de presse, la députée Laure de La Raudière (Les Républicains) donne le ton. Avec deux autres collègues également spécialistes du numérique, les députés (LR) Philippe Gosselin et Patrice Martin-Lalande, les trois élus d'opposition se sont livrés à une mise en pièces de la loi numérique d'Axelle Lemaire.

Ce texte, intitulé "projet de loi pour une République numérique", fait actuellement le tour des commissions parlementaires à l'Assemblée nationale, avant son examen en séance à partir du 19 janvier. Il se construit autour de trois grands axes : l'ouverture des données publiques pour favoriser une "économie de la donnée", l'affirmation d'une série de nouveaux droits pour protéger la vie privée, et le développement de l'accès à tous au numérique.

Mardi matin, la secrétaire d'Etat au numérique, Axelle Lemaire, se montrait confiante par rapport à un texte qui "devrait échapper aux tactiques politiciennes". Elle a peut-être parlé trop vite. Plus de 600 amendements ont été présentés ce mercredi devant la Commission des lois, dont environ 175 proviennent du seul groupe Les Républicains.

"Manque de cohérence" de la politique gouvernementale

Globalement, leur constat est sans appel. Si les députés LR concèdent "quelques bonnes dispositions" comme l'ouverture des données publiques, le paiement par SMS pour faciliter les dons, ou encore le droit au maintien de la connexion Internet pour les personnes en difficultés financières, ils adressent, sans surprise, un carton rouge au gouvernement sur tout le reste.

A commencer par l'utilité même de cette loi, accusée par Laure de La Raudière de "faire perdre du temps au Parlement". En cause : "l'illisibilité" de la politique du gouvernement, due en partie à la redondance de la loi Lemaire avec d'autres textes. Effectivement, l'ouverture des données publiques est abordée dans la loi NOTRe. Elle a surtout fait l'objet d'une loi, portée par la secrétaire d'Etat Clotilde Valter, pour instaurer leur gratuité par défaut. Il s'agissait de la transposition, dans l'urgence et en retard, d'une directive européenne.

"Un manque de cohérence flagrant" pour Laure de La Raudière, qui déplore la schizophrénie du gouvernement en matière numérique:

"Il existe un axe "attractivité du territoire" porté par Emmanuel Macron et qui va se traduire par la loi Macron II, un axe "repli sur soi avec des mesures franco-françaises" incarné par la loi Lemaire, et un axe "sécuritaire" porté par Bernard Cazeneuve qui effraie les acteurs de l'Internet et porte atteinte à la vie privée des citoyens par une surveillance accrue".

Des critiques paradoxales de l'opposition

Si cette lecture de la politique numérique du gouvernement est partagée par de nombreux observateurs, l'opposition n'est pas en reste sur les paradoxes et les contradictions.

L'attitude des trois députés vis-à-vis du deuxième volet de la loi, consacré la protection des citoyens en ligne, en est un bel exemple. Concrètement, la loi Lemaire "anticipe" le futur Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), qui devrait être appliqué en 2018, en instaurant en France de nouveaux droits tels que le déréférencement pour les mineurs, le droit de "mort numérique" (possibilité de faire retirer ses données personnelles du Net après sa mort), ou la portabilité des données (pouvoir prendre toutes ses données avec soi quand on change d'opérateur téléphonique, par exemple). Avec le risque que certains de ces principes ne fassent pas partie du règlement européen, ce qui les rendrait inapplicables en France.

Pour l'opposition LR, le gouvernement "fait les choses à l'envers". Bien que dotées d'"intentions louables", ces dispositions n'ont "rien à faire dans un texte de loi franco-français", selon Philippe Gosselin, député (LR) de la Manche. L'argument est le suivant:

"Légiférer en France alors qu'un règlement européen va automatiquement se substituer au droit français n'a aucun sens. Les entreprises devront s'adapter à une législation contraignante pour un an et demi puis en changer si le règlement et la loi Lemaire ne vont pas dans le même sens, ce qui se produira sur certains sujets", ajoute-t-il.

Soit. Pourtant, l'opposition a déposé des dizaines d'amendements... pour améliorer ces articles et "rendre le texte plus ambitieux". Laure de La Raudière s'adonne par exemple à un subtil exercice d'équilibriste. La députée a déposé trois amendements identiques, aux articles 19, 20 et 21. L'objectif ? "Supprimer" ces dispositions sur la neutralité du net et la portabilité des données, "qui devraient être discutées et adoptées au niveau européen avant d'être déclinées dans la loi française". Pourtant, cela ne l'empêche pas de déposer aussi un amendement, à l'article 21, pour "préciser la portée d'un article [sur la portabilité des données] attendu par de nombreux utilisateurs".

Ce paradoxe, les députés l'incombent à leur volonté de "prendre le train législatif en marche". "En raison de l'élection présidentielle à venir, la loi Lemaire et la loi Macron II seront les deux derniers textes sur le numérique avant deux ans. Etant donné que les choses avancent tellement vite dans ce domaine, il est de notre devoir de faire passer des idées et des propositions quand le moment se présente", explique Patrice Martin-Lalande, député (LR) du Loir-et-Cher et co-président du groupe d'étude sur Internet à l'Assemblée nationale.

La petite musique de NKM

Un texte incohérent voire inutile d'un côté, mais pas assez ambitieux de l'autre: les députés LR n'ont pas peur des contradictions. D'autant plus que les violons ne sont pas accordés entre les différentes personnalités du parti.

Ainsi, Nathalie Kosciusko-Morizet n'hésite pas à faire entendre sa propre musique. Dans une interview publiée par le quotidien L'Opinion ce mercredi, l'ex-vice-présidente du parti Les Républicains indique trouver le texte "globalement intéressant" et propose de mieux anticiper le futur règlement européen en proposant d'autres idées, comme l'action collective en cas de violation d'une entreprise en matière de données personnelles. Le contraire, donc, de ses collègues experts du numérique.

La députée de l'Essonne a aussi mis les pieds dans le plat sur le sujet très controversé du chiffrement des données et des communications. Dans un amendement, elle propose d'obliger les constructeurs de matériel informatique à créer des "portes dérobées" pour que les autorités puissent accéder au contenu chiffré, sous contrôle judiciaire.

Un nécessaire débat à LR sur le numérique

Dans son texte, NKM précise que le véritable objectif de cet amendement est "d'ouvrir le débat". C'est pour cette raison que le député Patrice Martin-Lalande fait partie des 17 co-signataires. Laure de La Raudière, en revanche, est "très réticente" à cette proposition. "Avec de telles mesures, je me demande ce qu'il restera de notre vie privée", explique-t-elle.

Philippe Gosselin confirme qu' "il n'y a pas assez de débat" chez Les Républicains sur la société numérique du 21e siècle. Chacun avance selon ses convictions, sans une ligne claire du parti. "Les prétendants à la primaire ont compris les enjeux, mais on a besoin d'un débat interne car les députés doivent monter en compétence sur ces sujets cruciaux", ajoute Laure de La Raudière, qui espère qu'un débat "aura lieu avant la primaire". Pour l'instant, ce n'est pas au programme.

Sylvain Rolland

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Commentaires 11
à écrit le 27/01/2016 à 14:46
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cette réplique sur la suprématie du droit européen sur le droit français est strictement honteux. Comment accepter que la France soit une colonie de Bruxelles !!

à écrit le 14/01/2016 à 20:38
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"Légiférer en France alors qu'un règlement européen va automatiquement se substituer au droit français n'a aucun sens. Les entreprises devront s'adapter à une législation contraignante pour un an et demi puis en changer si le règlement et la loi Lema...

à écrit le 14/01/2016 à 20:35
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NKM est pour les portes dérobées mise par les constructeurs... on voit bien là l'influence de son appartenance au Young Leaders de la Fondation Franco-Américaine (et leur allégeance aux US, à l'instar de V. Pécresse et des quotas). Par ailleurs, e...

à écrit le 14/01/2016 à 13:42
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Faux titre. La république numérique suggère un nouvel exercice de la démocratie à travers les réseaux numériques : une démocratie directe. Il n'en est rien. Quand à la liberté de circulation des données, il n'en est pas fait mention : aucune affirmat...

à écrit le 14/01/2016 à 13:31
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Pour ce qui concerne NKM, sur le numérique elle n'est que la voix de son frère. Les autres devraient se parler avant de faire des déclarations. Et si tout le monde foutait la paix à tout le monde, tout irait sans doute mieux.

à écrit le 14/01/2016 à 13:17
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Pendant ce temps..........Le FN monte.... sans rien dire.... ni rien faire.... comme la petite bête....il monte. A gauche, ils ne sont plus de gauche. A droite, pour exister ils polémiques systématiquement... $arkozy de Nagy Bocsa fait des conféren...

à écrit le 14/01/2016 à 11:24
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A quoi servent les députés de l'opposition si ce n'est à s'opposer systématiquement et la plupart du temps sans savoir pourquoi à la majorité du moment. Ca en dit long sur la déliquescence de notre république et de ses institutions représentatives. L...

à écrit le 14/01/2016 à 9:28
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En fait pourquoi faire payer par le contribuable des émoluments a des députés qui ne servent à rien puisque la France à déjà soumis sa souveraineté législative pour près de 80% des ses lois a une oligarchie européenne pratiquant l'arbitraire...

à écrit le 14/01/2016 à 3:56
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En matière d’économie numérique, A. Lemaire = 0 ; Pour le reste, les shows TV, la communication , l'arrogance, A. Lemaire = 1

à écrit le 13/01/2016 à 23:52
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la génération de nos représentants hors qelques très rares exceptions (NKM ) n'ont aucune culture du numérique . Un smartphone et un poisson rouge qui barbotte sur l'écran du bureau ne font pas un disciple de la silicon valley !

à écrit le 13/01/2016 à 22:56
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C'est l'opposition, donc ils s'opposent... Et nous on fatigue. A 978 000 €/an/député on devrait avoir droit à une autre qualité de débat, enfin il me semble.

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