Loi sur le renseignement : la société civile réclame un débat et des garanties

Avocats, magistrats, journalistes et défenseurs des droits de l’homme et des libertés essaient de mobiliser l’opinion publique et les parlementaires contre le projet de loi du gouvernement qui élargit considérablement le champ d’application de techniques de surveillance intrusives. Ils proposent une série d’aménagements mais s’inquiètent de la procédure accélérée d’adoption du texte.
Delphine Cuny
Les associations souhaitent ainsi voir supprimé le motif de « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. »

Amnesty International France, la Ligue des droits de l'homme, mais aussi le Syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France, Reporters sans frontières et la Quadrature du Net. Ces associations ont au moins une inquiétude commune et un objectif partagé : mobiliser l'opinion publique et les parlementaires contre le projet de loi sur le renseignement, présenté la semaine dernière en conseil des ministres et qui sera examiné en commission des lois la semaine prochaine et dès le 13 avril en séance plénière à l'Assemblée nationale, dans le cadre d'une procédure accélérée.


Lors d'une conférence de presse conjointe jeudi, ces organisations toutes très sensibles à la défense des libertés des citoyens ont exposé leurs préoccupations, leurs regrets de l'absence de débat démocratique et les amendements nécessaires à ce texte gouvernemental jugé liberticide.

Restreindre le champ d'application

L'un des aspects les plus controversés du projet de loi est son champ « immense et amalgamant » déplore Pierre Tartakowsky, le président de la Ligue des droits de l'homme, périmètre allant « du terrorisme à la défense nationale et l'encadrement des mouvements de masse », ce qui pourrait inclure des organisations politiques, syndicales ou associatives. Aux yeux de Laurence Blisson, la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, il y a « un risque de débordement vers la police politique. »

Les associations souhaitent ainsi voir supprimé le motif de « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. »

Lire aussi « Loi sur le renseignement : les points qui fâchent du projet du gouvernement »


Le motif de préservation des « intérêts économiques et scientifiques essentiels » fait aussi grincer des dents, car il reviendrait à « légaliser l'espionnage économique et scientifique » alors que « la lutte contre l'espionnage industriel peut intervenir dans le cadre d'une enquête pénale» relève la Quadrature du Net, une association de défense des droits et des libertés des citoyens sur Internet, dans un document dévoilant ses pistes d'amendements.

Amnesty est de son côté inquiète de la « défense des intérêts diplomatiques français », qui peuvent être « parfois éloignés de la défense des droits humains » a estimé Geneviève Garrigos, la présidente pour la France, en référence à certains alliés de la France aux régimes pas toujours très démocratiques.

Ces associations militent aussi en faveur de l'instauration d'exception pour certaines professions sensibles, les avocats, les journalistes notamment.

« Il faut prévoir une exception journalistique. Même la CNIL a observé cette lacune du texte » s'est ému Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières.


« Si vous révélez des surveillances illégales, ce serait une infraction pénale. Il y a un risque d'impunité totale pour les agents du renseignement. C'est très préoccupant pour les lanceurs d'alerte » relève Laurence Blisson, du Syndicat de la magistrature.

> Pour aller plus loin : voir l'exposé des motifs

Une autorité indépendante de contrôle

L'autre point qui fait l'unanimité est la nécessité de prévoir des garanties et d'instaurer un contrôle véritable des surveillances des services de renseignement. La création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), composée de neuf personnes, quatre parlementaires et des juges à la retraite, est jugée insuffisante, du fait de son absence de pouvoir et de sa faible collégialité. Le président de cette commission pourra donner seul un avis favorable à une demande du Premier ministre.

La Quadrature du Net demande aussi que soit abrogée ou encadrée la procédure « d'urgence absolue » qui permet de se passer d'autorisation préalable, par exemple en la limitant à cinq par an.

« Cette nouvelle commission comporterait certes des juges mais elle émet de simples avis, il n'y a pas de vrai contrôle : quel que soit l'avis, c'est le Premier ministre qui décide. Et pour saisir le Conseil d'Etat en cas de surveillances illégales, il lui faut la majorité absolue, alors qu'un vote à la majorité simple suffit pour l'autorisation d'une demande de surveillance » relève Laurence Blisson, Syndicat de la magistrature.


« Pourquoi une commission sans droit, sans bras, sans jambe ? » interroge le président de la Ligue des droits de l'homme, qui préconise « la création d'une autorité indépendante, à condition qu'elle dispose des moyens de son indépendance » Il observe que des députés «peuvent avoir des allégeances à un parti. »

« Gouvernance algorithmique »

Le think tank Renaissance numérique, qui n'était pas présent à cette conférence de presse, déplore aussi que le projet en l'état « ne présente pas de garanties suffisantes pour maintenir un équilibre démocratique entre les impératifs de sécurité et de prévention des menaces et les règles de contrôle qui s'imposent dans l'Etat de droit. » Il réclame un grand débat public et citoyen au moment où « la France s'apprête à vote pour la première fois de son histoire l'établissement d'une gouvernance algorithmique en matière de surveillance »


Renaissance Numérique fait référence à « la mise en place d'algorithmes de détection des comportements présumés suspects » que le gouvernement souhaite placer dans des « boîtes noires » au cœur des réseaux des opérateurs et des hébergeurs. Le think tank, qui réunit des entrepreneurs et des multinationales de l'Internet, demande que la CNCTR soit dotée d'un vrai pouvoir de contrôle sur ces algorithmes, mais aussi d'un « pouvoir d'audit et de décision » sur la conservation des données et la destruction périodique de celles non nécessaires. Il suggère aussi que la CNCTR soit constituée d'un « collège de personnalités qualifiées et diverses pour garantir les droits des citoyens » qui intégrerait des représentants de la société civile et « un ou plusieurs experts du prosélytisme sur Internet. »

« La différence entre une démocratie et une dictature réside moins dans les techniques de surveillance employées que dans leur contrôle effectif par un organe indépendant » fait valoir Etienne Drouard, administrateur de Renaissance Numérique et associé au sein du cabinet d'avocats K&L Gates.


Manque de débat citoyen et démocratique

Tous ces représentants de la société civile ont été choqués de l'absence de consultations avant la présentation du projet de loi et s'inquiètent de la procédure accélérée d'examen au Parlement. Les amendements doivent être déposés au plus tard samedi matin, avant l'examen en commission des lois en début de semaine prochaine.


Entendue la veille par la commission des lois sur un texte publié moins d'une semaine avant, la représentante du Syndicat de la magistrature s'alarme :

« Les parlementaires reconnaissent eux-mêmes leur ignorance des techniques et des conséquences. Les représentants de la nation sont sur le point d'adopter un texte dont ils ne mesurent pas le sens réel, c'est extrêmement grave sur le plan démocratique » souligne Laurence Blisson.


Face à ce calendrier serré qui ne joue pas en leur faveur et la détermination du gouvernement, ces représentants de la société civile comptent faire pression sur les parlementaires, pour mobiliser les rares représentants ayant exprimé des réserves sur le texte, et espèrent un sursaut citoyen du grand public, à l'image du mouvement qui avait fait échouer la mise en place du fichier de police Edvige. Près de trois mois après les attentats de Paris, bientôt deux ans après les révélations d'Edward Snowden, « l'esprit Charlie » semble avoir du mal à être ravivé.

« Les gens n'ont pas envie de savoir qu'ils vont être surveillés » se désole Adrienne Charmet-Alix, la coordinatrice des campagnes de la Quadrature du Net.

Delphine Cuny

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Commentaires 26
à écrit le 30/03/2015 à 6:06
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Ras le bol de toutes ces organisations de gauchistes en mal de reconnaissance et qui pour certaines d'entre elles survivent grâce à nos impôts. Basta de tous ces petits bobos richissimes qui se donnent bonne conscience, il faudra bien en venir un jou...

à écrit le 30/03/2015 à 0:39
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Comme si la "société civile" avait autant d'inimportance que les Droits de l'Homme, en fait... Sinon, merci de nous rappeler que nos seigneurs riches nous dominent largement. Donc, respect.

à écrit le 27/03/2015 à 23:37
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"l'encadrement des mouvements de masse ». Les pays qui se livrent à cet exercice sont des dictatures... Ce qui n'empêche pas que ça finit toujours par leur péter à la figure. Et c'est un gouvernement social-démocrate qui propose un tel projet digne ...

le 28/03/2015 à 14:18
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Pour l'instant, ce n'est pas le Fn mais le Ps qui veut cette loi qui autorise toute utilisation totalitaire . Je ne sais s'il y a un des pays que l'on nous dit dictatorial qui a tenté cette restriction à la liberté de manifester . Là, tout pourrait ...

à écrit le 27/03/2015 à 19:47
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c'est qui la societé civile? Les bâtisseurs du " mur des cons",

le 30/03/2015 à 6:02
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Exactement sauf qu'ils sont directement concernés par le "mur des cons" Que représentent ils en dehors d'eux mêmes et leur fichue mégalomanie ? RIEN

à écrit le 27/03/2015 à 18:07
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.... les coockies et autres trackers envoyés sur le net .... ça va être pire ... perso je n'ai rien à me reprocher ... je suis suis sous Linux .... mais vue le nombre d'attaque .... pas abrité loin delà !

à écrit le 27/03/2015 à 17:31
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Il faut effectivement un contrôle efficace par une instance indépendante et dépénaliser les lanceurs d'alerte si leur action s'avère fondée. Mais il faut aussi stopper cette tendance permanente au principe de précaution, grâce auquel on ne réagit plu...

le 28/03/2015 à 9:00
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Ils pourraient aussi l'étendre à l'argent qui transite en masse dans les paradis fiscaux... A mais que je suis bête ça les pénaliserait eux. Pourtant si o luttait plus sur cet argent, et qu'elle était plus redistribué à ceux à qui il devrait aller, i...

à écrit le 27/03/2015 à 17:02
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Thomas Jefferson: "Ma vision de l'histoire me convainc que la plupart des mauvais gouvernements proviennent d'un excès de gouvernement."

à écrit le 27/03/2015 à 17:00
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Tacite :"corruptissima re publica, plurimae leges" , Plus l'Etat est corrompu, plus il y a de lois !

le 28/03/2015 à 14:28
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Ils pourraient simplifier le problème, en édictant une loi (très courte) : voilà ce à quoi vous avez droit ...

à écrit le 27/03/2015 à 16:37
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Il est urgent de prendre des meures concrètes pour mettre les sociétés de crédit à la consommation en mesure de contrôler l'identité et les documents produits par les demandeurs de crédit : ceci dans le respect bien sûr des libertés bien sûr, mais av...

à écrit le 27/03/2015 à 16:29
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ET vous allez encore voter ? Ça plus l'argent virtuel et vous serez de bon serviteurs. Bonne journée à tous tous.

à écrit le 27/03/2015 à 15:18
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Etonnants les internautes et branchés du net ! ils ne savaient rien des indiscrétions des nouveaux féodaux (Google Facebook et consorts) souvent à la solde du Grand Kapital et ne s'en plaignaient pas . Mais lorsque pour les défendre d'un ennemi réel ...

à écrit le 27/03/2015 à 14:20
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Bien conseillé par son ami Alain Bauer, Valls multiplie les mesures censées lutter contre le terrorisme mais qui en réalité restreignent les libertés individuelles au profit d'un système d'Etat tout puissant. Et cela alors même que des forces antidém...

à écrit le 27/03/2015 à 13:47
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Attention!!!!!!! Danger pour nos libertés,acquises chèrement par des siècles de luttes et de combats.. Mobilisons nous pour préserver nos droits à la liberté

à écrit le 27/03/2015 à 12:42
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Et tout ça pour amener/imposer/installer in fine la gouvernance mondiale, pilotée par les US... Les politiques sont devenus des larves au services d'intérêts extra nationaux...

à écrit le 27/03/2015 à 12:38
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Cette loi aurait fait les délices de la stasi, et de ses consoeurs russes ou allemandes des années 40. La république fut à une époque la garante des libertés civiles, elle s'est transformée depuis 40 ans en un système de définition du bien et du ma...

à écrit le 27/03/2015 à 12:29
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Plus on réduit les mailles du filet, plus on ramène n'importe quoi et, le filet deviens bien plus visible par les "gros poissons" qui l'évitent!

à écrit le 27/03/2015 à 10:23
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les gens se foutent déjà à poil sur fesse-bouc .... vous me permettez de rire !!!!!!!!

le 27/03/2015 à 12:55
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Tout le monde n'utilise pas Facebook de plus. Le projet de loi va plus loin que la surveillance de Facebook.

à écrit le 27/03/2015 à 9:41
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Juste de vagues promesses des politiciens qui n'engagent que ceux qui les reçoivent. Il va falloir apprendre bien voter maintenant les enfants. Ou ce sera le goulag professionnel et médiatique.

à écrit le 27/03/2015 à 9:28
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Dans notre beau pays, c'est l'administration qui gouverne, elle prépare les lois et les impose aux Élus..Des exemples de dérives des fonctionnaires: les révolvers placés dans la chambre des irlandais, à Vincennes, et encore, les pagottes incendiées e...

à écrit le 27/03/2015 à 7:53
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Les politiques sont moins prompts à trouver des solutions efficaces contre le chômage !

à écrit le 27/03/2015 à 7:28
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cette loi est un scandale d'atteinte aux libertés individuelles, aucun contre pouvoirs à la police, tout gouvernement pourra espionner ses concurrents politiques, si un gouvernement est raciste, il écoutera qui il veut....BIG BROTHER is watching you

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