"Chaque nouveau loisir qui apparaît suscite des craintes"

Par Propos recueillis par Jason Wiels et Jamal Henni  |   |  854  mots
Photo Gameblog
Mercredi s'ouvre à Cologne la GamesCom, plus important salon de jeux vidéo au monde. A cette occasion, La Tribune a interviewé Julien Chièze, co-fondateur du site Gameblog.fr. Créé il y a quatre ans et demi avec pour credo "le jeu vidéo autrement", Gameblog est devenu le quatrième site du secteur derrière jeuxvideo.com (Hi Media), jeuxvideo.fr (M6) et gamekult. Son "podcast" est le premier consacré au jeu vidéo, et le seizième le plus téléchargé, tous "podcasts" confondus sur l'année 2010. Le site est financé par la publicité et des services payants. L'équilibre est prévu en 2013. Ankama (développeur français du jeu en ligne Dofus) possède 49% du capital, et les fondateurs 51%.

Pourquoi la Gamescom est un rendez-vous important ?

 C'est tout simplement le plus important salon de jeux vidéo au monde en terme d'affluence, avec près de 250.000 visiteurs en 2010. Pendant quatre jours, le salon accueille aussi bien les professionnels (qui ont une partie réservée) que le grand public. C'est aussi le moment d'annonces pour les éditeurs de jeux comme pour les fabricants de consoles, même si l'E3, à Los Angeles, reste la référence. Sony devrait par exemple y dévoiler la date de lancement de sa console portable PS Vita, et le français Quantic Dream pourrait aussi y dévoiler des nouveautés.

Que faudrait-il pour que la France se dote d'un évènement international ?

 Il faudrait d'abord installer un salon dans la durée, alors que l'histoire récente a été plutôt chaotique. Il y a d'abord eu à partir de 2006 le Festival du Jeu vidéo, mais la dernière édition a été une déception en raison d'un faible nombre d'exposants. En 2010, les éditeurs de jeux ont décidé de quitter le Festival pour créer leur propre salon, le Paris Games Week, qui a de fait tué le Festival. Officiellement, le Paris Games Week a drainé 120.000 personnes en trois jours avec dans le lot beaucoup d'invitations gratuites. Il faudra donc voir comment se comportera l'édition de cette année.

 Bémol de l'année dernière, le Paris Games Week était très PlayStation centric -peut être y'a-t-il un rapport avec le fait que Georges Fornay ait pris la présidence du SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) qui organisait le salon. Il faudrait être plus ouvert, et que la grande scène soit le c?ur d'un spectacle dédié à tous les acteurs du marché.

Enfin, il faut aussi plus d'annonces exclusives, qui sont aujourd'hui réservées aux salons de Los Angeles en juin (E3), de Cologne en août et de Tokyo en septembre. Pour cela, les français Ubisoft, Quantic Dream et Ankama pourraient montrer la voie, et réserver certaines annonces pour le salon. Pourquoi le mondial de l'auto a-t-il autant de succès à Paris ? Car il présente des modèles en avant-première, c'est la même chose pour le monde du jeu vidéo. Mais il est vrai que le calendrier des salons est déjà bien saturé. Pour exister au niveau international, il faut donc créer un attrait, et cela passerait par des exclusivités, des annonces.

Comment expliquez-vous que le jeu vidéo soit souvent associé à des comportements violents, comme l'a encore récemment illustré le violent massacre en Norvège ?

 C'est assez désespérant. Les psychologues sont unanimes : il n'y a pas de causalité entre un comportement violent et un jeu vidéo violent, qui a plutôt des vertus cathartiques. D'ailleurs, ces dernières années, le jeu vidéo a explosé partout dans le monde, tandis que les violences physiques ont reculé. Et aux Pays-Bas, une clinique qui voulait se consacrer à l'addiction aux jeux vidéo a dû changer d'orientation au bout de six mois.

Notez que la plupart des jeux vidéo qui marchent le mieux sont grand public et non violents, comme les jeux sportifs ou ceux sur la Kinect et la Wii. Les jeux interdits aux moins de 18 ans sont minoritaires en volume, même si certains connaissent bien évidemment d'énormes succès. Et c'est normal: l'âge moyen des joueurs est désormais de plus de 30 ans. Il faut une offre pour chaque public. D'ailleurs, l'âge minimal est clairement indiqué sur la boîte. Les parents peuvent aussi imposer un âge minimal sur la console de leurs enfants en utilisant le contrôle parental, c'est particulièrement aisé. C'est aussi une question de responsabilité parental de surveiller ce qu'utilise leurs enfants.

Malgré tout cela, dès qu'il y a un fait divers, les médias parlent tout de suite des jeux vidéo que possède l'auteur du fait divers, alors que les médias ne s'intéressent pas à ses films ou à ses livres. Or il est presque normal aujourd'hui de trouver chez un jeune "Call of duty" ou "World of warcaft" qui se sont écoulés à des dizaines de millions d'exemplaires. De même, lorsqu'on parle de jeux vidéo à la télévision, on a plus tendance à inviter un psychologue que son créateur, comme on le ferait pour un film ou un livre. Pour ce qui s'est passé en Norvège, le tueur a été on ne peut plus cynique: il a dit avoir raconté jouer à "World of warcraft" pour qu'on ne lui pose pas de questions sur ses occupations. N'oublions pas qu'à chaque fois qu'un loisir est apparu - surtout chez les jeunes -, il a suscité des craintes - en général chez les plus vieux. On craignait que la télévision tue le livre, ou que le rock soit satanique... Hélas, je pense que c'est une question de génération, ces préjugés disparaîtront ainsi au fur et à mesure.