Claude Carrère lourdement condamné par l'Autorité des marchés financiers

Le gendarme de la bourse a condamné le producteur, qui était avant sa chute le numéro deux français de la fiction, à 1,6 million d'euros d'amende pour toute une série d'infractions.
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Chiffre d'affaires fictif, actifs survalorisés, délit d'initiés, commissaires aux comptes pas assez regardants... Il s'en passait de drôles chez le producteur audiovisuel Carrère, à en croire la condamnation que vient de rendre l'Autorité des marchés financiers (AMF). Ces petits arrangements avec la loi ont valu à Claude Carrère, fondateur et principal actionnaire du groupe, une amende de 1,6 million d'euros, une des plus fortes prononcées par le gendarme de la bourse. Fait rare, les commissaires aux comptes ont aussi été condamnés : 150.000 euros d'amende pour PriceWaterhouseCoopers ; 50.000 euros pour Hermesiane ; et 50.000 euros pour chacun des deux auditeurs chargés de Carrère au sein de ces cabinets.

Commandes fictives
Le délit le plus rocambolesque est la manière dont Carrère a artificiellement gonflé son chiffre d'affaires de 5 millions d'euros en 2006 grâce à deux commandes fictives. D'une part, un contrat de cession de droits d'exploitation littéraire, d'un montant de 4 millions d'euros, avait été signé avec Michel Lafon Publishing, un vieux partenaire d'affaires de Claude Carrère. Mais un mois plus tard, un second contrat annulait le précédent. Mais étrangement, Claude Carrère ne communiquera jamais ce second contrat à sa comptabilité, et, selon certaines sources, le gardait même dans son coffre-fort... Pour se défendre, Claude Carrère a prétendu - en vain - que l'une de ses anciennes salariées « avait dû faire un faux »...
Simultanément, un autre contrat de cession de droits vidéo, d'un montant d'un million d'euros, était conclu avec LCJ Editions. Problème : « Carrère a cédé des droits qu'elle ne détenait pas », écrit l'AMF. Et, quand LCJ demande les masters de la série « les Cordier » diffusée sur TF1, Carrère se retrouve incapable de les fournir... la série étant produite par le concurrent Telfrance. C'est une situation « fréquente dans la profession », a plaidé Claude Carrère. L'excuse convainc d'autant moins l'AMF que le propre rapport annuel 2006 de Carrère cite « les Cordier » comme étant une des productions phares de Telfrance ! Finalement, LCJ demandera la révocation du contrat qui ne sera jamais appliqué.

Certes, ces commandes fictives ne gonfleront le chiffre d'affaires 2006 que de 3,5%, mais elles permettront surtout de quasiment doubler le bénéfice net (qui atteindra 8,3 millions d'euros), et de rendre bénéficiaire l'activité « distribution ».

Vente d'actions non déclarées
Quelques mois plus tard, mi-2007, Claude Carrère vendra 100.000 actions, ce qui lui rapportera 1,8 million d'euros. L'AMF considère qu'il s'agit d'un délit d'initié, car, à cette date, il savait que les deux commandes étaient fictives, mais ne l'avait pas annoncé au marché. Pour se défendre, l'ancien producteur de Sheila a argué que la vente de ces actions était destinée à « financer sa vie quotidienne », et que cette vente « était réalisée dans l'intérêt social de la société. » Pire : la vente de ces actions ne sera jamais rendue publique. Claude Carrère rejettera la faute sur son broker, arguant que c'était à lui de déclarer cette cession...

Valeur du catalogue gonflée
Autre acrobatie : Carrère avait aussi gonflé dans ses comptes la valeur de son catalogue. Pour cela, le producteur tablait sur d'importantes ventes de droits à l'étranger, qui ne s'étaient jamais produites auparavant, et qui ne se produiront jamais non plus. Finalement, la valeur du catalogue, qui était de 209 millions d'euros, sera dépréciée de 115 millions en 2007. Deux experts l'évalueront même entre 40 et 80 millions fin 2007...

Covenants bancaires violés
Last but not least, Carrère a aussi omis de déclarer dans ses comptes 2006 que les clauses du prêt de 14 millions d'euros octroyé par la Société Générale n'étaient plus respectées, et donc que la banque pouvait en exiger le remboursement. Dès lors, le prêt aurait dû figurer dans les comptes comme « dette courante » et non comme « dette non courante ». Le même phénomène se reproduira en 2007 avec un prêt de 38 millions d'euros accordé par BNP Paribas.

Dirgeant de fait

En revanche, l'AMF a décidé d'abandonner les poursuites concernant la gouvernance du groupe. En effet, Claude Carrère était officiellement président du conseil de surveillance, mais en réalité « prenait toutes les décisions opérationnelles ». Sa compagne, Dominique Orecchioni, était officiellement présidente du directoire et directrice financière, mais en pratique « son rôle n'était pas de nature à lui permettre de contrarier les décisions prises par Claude Carrère ». Elle n'a été condamnée qu'à 100.000 euros d'amende.
Les ennuis de Claude Carrère ne sont pas terminés. La justice enquête aussi sur sa gestion, en se basant notamment sur l'enquête de l'AMF, qui estimait que certaines infractions relevaient du pénal.
Contactée, l'avocate de Claude Carrère, Me Jacqueline Laffont, n'a pas répondu. Lors de l'audience, elle avait déclaré que son client était « âgé et ruiné ». D'après une enquête menée en 2008 par un des créanciers, Claude Carrère (né en 1930) ne détenait quasiment aucun bien en France, notamment aucun bien immobilier. Le groupe Carrère, qui était le second producteur français de fiction ("Maigret", "Kirikou", "Clara Sheller"...), a été liquidé il y a deux ans. La filiale commercialisant le catalogue a été reprise par Axel Carrère, fils de Claude. Les autres filiales ont été reprises par leur dirigeant-fondateur. 

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