Google et la presse : les questions qui demeurent

Après l'accord de principe signé vendredi sur la création d'un fonds de 60 millions d'euros, Google et les éditeurs de presse doivent encore choisir les représentants et définir les modalités d'attribution. Les « pure-players » demandent la publication de l'accord et alertent sur les risques de distorsion de concurrence.
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La photo est belle, quasi miraculeuse. A l'Elysée, Eric Schmidt et François Hollande ont présenté vendredi un accord conclu entre Google et les éditeurs de presse. Le président de la République n'a pas hésité à parler d'« événement mondial » et le directeur exécutif de Google de partenariat « historique ». Google a accepté de dédier un fonds - une fondation en réalité - de trois à cinq ans de 60 millions d'euros aux projets numériques des éditeurs et d'accorder « des conditions préférentielles », à ceux qui se serviraient de ses plateformes publicitaires (AdMob, AdExchange et AdSense). Optionnelle, cette dernière partie de l'accord doit permettre aux éditeurs de mieux commercialiser leurs espaces publicitaires.

Il y a trois mois, avant que ne commence une médiation poussée par la ministre du numérique Fleur Pellerin, les positions entre les éditeurs, qui souhaitaient une rémunération calculée sur l'audience des articles cliqués par les internautes et de Google, dont la règle d'or est de ne verser aucun centime aux contenus, semblaient irréconciliables. Pour sortir de l'impasse, chaque partie a mis de l'eau dans son vin. Les éditeurs ont abandonné l'idée d'une taxe au clic, et Google a accepté une dérogation à ses habitudes.

Un conseil d'administration de sept sièges
Après l'accord de principe, les parties se sont données quatre semaines pour régler des modalités. La première étape - peut-être la plus épineuse - est la constitution du conseil d'administration de la fondation. Elle sera composée de 7 membres. La présidence a été proposée à Marc Schwartz, l'associé du cabinet Mazars qui a mené la médiation. Un siège sera occupé par Nathalie Collin, la présidente de l'association IPG (presse d'information politique et générale) et négociatrice de l'accord. Un autre siège est réservé à Carlo d'Asaro Biondo, le patron de l'Europe du Sud de Google. Google et les éditeurs doivent maintenant trouver un terrain d'entente sur les quatre sièges restant : d'autres éditeurs et la société civile, en l'occurrence des experts indépendants devraient être représentés.

Pour le SNJ, un « piège » pour un grand nombre de titres
La composition du conseil sera évidemment clef dans l'attribution des sommes. Même si Frédéric Filloux, le directeur numérique des Echos (dont le président Francis Morel est le vice-président de l'IPG), précise sur son blog personnel le Monday Note, que « des règles spécifiques empêcheront les conflits d'intérêts », il ne sera pas facile de lever tous les soupçons sur l'objectivité et de s'assurer de l'impartialité des répartitions si les membres sont juges et parties. Comment empêcher le copinage? 

Même si les éditeurs et le moteur de recherche ont su momentanément accorder leurs violons, la réconciliation n'est pas forcément pérenne. Sur le papier, il n'est pas dit que les grands titres obtiendront, comme ils le souhaitaient, beaucoup d'argent. Google, qui a souhaité que la fondation soit ouverte aux « pure-players » afin que « de petits acteurs mais avec des idées en rupture puissent être financés », n'est pa favorable à ce que le montant des versements soit proportionnel au poids des éditeurs. Une manière d'éviter de se faire taper sur les doigts par la Commission européenne, qui surveille tous ses faits et gestes en matière de concurrence, et de faire la part trop belle à ceux avec qui il a croisé le fer ces derniers mois. Le SNJ-CGT a alerté sur les dangers d'une dérive, dénonçant « un piège pour un grand nombre de titres, c'est-à-dire ceux qui ne seront pas retenus par le comité chargé de l'administrer ».

Les « pure-players » demandent la publication de l'accord
Le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (le Spiil) qui représente les fameux « pure-players », comme Mediapart ou Arrêt sur Images, et qui avait pris position contre une taxe sur les liens des articles, sera-t-il représenté au conseil d'administration ? Le syndicat a demandé à ce que les détails de l'accord soient rendus publics. Pour le moment, son président, Maurice Botbol, également à la tête d'Indigo Publications (Presse News, La lettre A), n'a pas été contacté. « On veut connaître la composition du conseil d'administration et les règles de fonctionnement du fonds : comment va se faire la répartition, quelles seront les technologies choisies, celles de Google, ou d'autres? », indique-t-il à La Tribune, tout en précisant : « Nous ne sommes pas contre Google, qui est très fort en termes d'innovation, mais nous souhaitons un accord équitable. Quant aux éditeurs, ils doivent avoir leur propre vision, sans quoi, ils deviendront simplement encore plus dépendants de Google».

Risque de distorsion de concurrence
Le fonds Google sera ouvert à tous les éditeurs qui ont le label IPG (presse d'information politique et générale), soit toute la presse quotidienne, magazine, la presse hebdomadaire régionale, les gratuits, totalisant 172 sites d'information, selon le dernier comptage de la Commission paritaire de la presse. Sur le papier, nombreux sont les candidats potentiels au fonds Google. Mais cette ouverture sélective n'est pas sans poser de problème de distorsion de concurrence, menaçant la diversité de la presse . « Les plus gros consommateurs d'aide sont des sites 'IPG' comme le Figaro, qui viennent avec des projets sur le vin, la voile, la santé, concurrencer la presse spécialisée », met en garde Maurice Botbol, qui siégeait au fonds d'aide au numérique « Spel », refondu dans un grand fonds stratégique et dont le bilan est mitigé.

Le bilan mitigé des fonds publics d'aide au numérique
Reste l'efficacité réelle de ce fonds. Financé sur deniers publics (53 millions d'euros en 4 ans), et destiné à aider les vieux médias à accomplir leur transition numérique, le Spel et le fonds stratégique ont surtout servi à payer le salaire des journalistes et à combler les déficits opérationnels. La plus grande partie de ces sommes est allée dans les caisses des éditeurs traditionnels, les « pure-players » ont représenté moins de 5% du Spel.


 

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Commentaires 2
à écrit le 05/02/2013 à 10:46
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J'ai toujours pas compris pourquoi notre président a signé cet "accord de principe" avec un président d'une société privée. Le patron de Google n'est pas encore le rang d'un chef d'Etat que je sache ! A mon avis, cet accord aurait dû être signé par u...

le 05/02/2013 à 11:38
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A terme, le patron de google est beaucoup plus influent qu'un chef d'Etat.... trop fort ce Serguei!!

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