« La presse se réjouit de l'aumône faite par Google »

Patrick de Saint-Exupéry, qui a co-fondé le trimestriel XXI, dénonce l'accord entre les éditeurs et Google, de nature à créer selon lui une nouvelle dépendance entre le moteur de recherche et la presse, sans résoudre le problème de fond. Il invite les journaux à se réinventer et à abandonner l'âge d'or de la publicité.
Patrick de Saint-Exupéry, le fondateur de XXI

Ancien grand reporter et correspondant à l'étranger pour le Figaro, Patrick de Saint-Exupéry a créé il y a cinq ans, avec Laurent Beccaria, patron des éditions Les Arênes, XXI, un trimestriel à mi-chemin entre le livre et le magazine consacré au reportage et à la narration. En 2011, un semestriel dédié à la photo, « Six mois », a vu le jour. En 2012, l'entreprise, qui ne vit que de ventes en librairie et d'abonnements, a réalisé 6 millions d'euros de chiffre d'affaires et un bénéfice de 450.000 euros. Elle n'a aucun budget marketing, et consacre seulement 8% de son chiffre d'affaires aux frais de gestion. Chaque trimestre, XXI s'écoule à plus de 55.000 exemplaires. Dans le dernier numéro, un manifeste appelant à un « autre journalisme » et dénonçant certaines dérives sur le Net a suscité la polémique, les détracteurs accusant les signataires de tenir des positions rétrogrades vis-à-vis des nouvelles technologies. Patrick de Saint-Exupéry revient sur l'accord signé avec Google et sur les problèmes de la presse, en particulier dans la publicité.

La Tribune - Que pensez-vous de l'accord signé par Google avec les éditeurs de presse?

Patrick de Saint-Exupéry - Je trouve stupéfiant de voir que la presse se réjouisse de recevoir une aumône de la part de Google tout en acceptant de se mettre entre ses mains. Surtout quand l'on pense au montant: 60 millions d'euros pour 140 sites [en l'occurrence plutôt 170, ndlr], cela fait un peu plus de 400.000 euros chacun en moyenne. En outre, Google présente comme une grande avancée le fait de partager ses outils publicitaires. Pour recevoir un peu d'argent à court terme, les éditeurs traditionnels sont donc prêts à livrer des informations essentielles qui les concernent, avec le risque de passer sous la coupe du moteur de recherche. Et pendant ce temps, la question fiscale sur Google est passée au 2nd ou au 3ème rang des priorités du gouvernement.

Pourtant, la partie publicitaire de l'accord doit permettre aux éditeurs d'accroître une partie de leurs revenus

Les éditeurs se sont lancés dans une course insensée à la recherche de recettes publicitaires. Pourquoi se sont-ils lancés sur Internet il y a dix ans ? Pour courir après la publicité, en l'occurrence les petites annonces, qui leur échappait sur le papier. Mais même s'ils n'ont jamais réussi à compenser les pertes, ils restent nostalgiques d'un âge d'or mythique. Celui où la publicité rapportait beaucoup d'argent et permettait de faire de belles choses dans les rédactions. Les éditeurs ne retrouveront pas cet âge d'or. Ils doivent comprendre ce nouvel enjeu.

On vous a entendu très critique sur la publicité. Pourquoi ?

Aujourd'hui, dans les journaux, on ne parle plus de titre mais de marque, plus de lecteur mais de cible. Mais un titre renvoie à une identité et une marque à du storytelling, qui est à mille lieux du journalisme. Ce basculement sémantique n'est pas sans effet sur l'éditorial qui s'est progressivement bridé. Quand un journal s'adresse à un consommateur plutôt qu'à un lecteur, quand les publicitaires dictent les cibles qu'il faut toucher, les rédactions rétrécissent automatiquement la taille du public auquel il s'adresse. Si l'on rajoute le problème très français de l'entre-soi, [où les journalistes ne s'adressent qu'à une certaine élite, ndlr], il ne faut pas s'étonner que ces « cibles » soient de plus en plus réduites, et qu'il y ait de moins en moins de lecteurs.

La publicité a permis à la presse d'informer le grand public à des prix raisonnables. Comment faire sans ? N'y a-t-il pas un risque pour la diversité ?

La publicité ne fait plus vivre la presse. Il faut donc casser un tabou, imaginer d'autres choses. Dans XXI, on n'a pas une page de publicité. Nous ne sommes ni pour ni contre, mais rien n'appelait à la publicité : nous n'avons ni rubrique mode, ni rubrique voyage. Nous ne nous voulions pas nous adresser à un consommateur mais à un lecteur. D'abord, que signifie être cher ? Nous sommes bornés dans nos représentations. Aucun de nos lecteurs ne nous a jamais dit que XXI, qui coûte 60 euros pour 4 numéros, était cher. Un grand quotidien national que je ne citerai pas coûte 1,60 euro par jour et n'investit pas plus que XXI en reportage. Est-ce normal ? Et puis, avec 20 « mooks » [contraction de « book et de magazine, ndlr], la diversité est là. Il faut se poser les bonnes questions, se libérer de ses entraves. Mediapart par exemple a osé briser un tabou.

Le manifeste intitulé « un autre journalisme est possible », publié dans le dernier numéro de XXI a suscité la critique. Beaucoup y ont vu le combat des anciens contre les modernes. Quelle est votre position sur Internet aujourd'hui ?

Le problème, ce n'est pas l'intérêt d'Internet qui est réel, mais l'univers de promesses porté le réseau. Internet vit de la promesse que demain sera meilleur mais la solution miracle est toujours reportée. En janvier 2008, on était au sommet de la promesse de la gratuité. On en revient. Internet ne permet pas de dégager beaucoup de moyens pour faire du journalisme.

Vous faites partie de la famille de la presse, recevez-vous des aides publiques?

Nous bénéficions des aides postales, nous n'avons rien demandé d'autres. Et même si nous avons un numéro de commission paritaire, nous sommes soumis au régime de TVA du livre, et non à celui de la presse qui est de 2,1%. Pour nous, qui sommes en librairie, c'est une question de cohérence. Nous n'allons évidemment pas demander d'argent à Google.

Avez-vous comme on le dit un projet d'hebdomadaire ?

Nous avons des projets. Est-ce que cela sera du Web, du papier ? Il y a d'autres temporalités et d'autres genres à explorer.
 

 

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Commentaires 7
à écrit le 06/02/2013 à 13:37
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6ME de CA, avec 4 numéros par an vendus 15E TTC, et une moyenne de 55.000 numéros vendus. D'après mes calculs, ça nous amène à un CA de 3,1 ME environ... Comment atteignent-ils les 6ME ??

le 06/02/2013 à 16:15
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En tenant compte des ventes de la revue 6 Mois, intégrées dans le CA de 6ME.

à écrit le 06/02/2013 à 13:05
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Le Syndicat du Livre, en plein désir morbide de suicide, continuant à scier la branche sur laquelle ils font semblant de travailler, j'ai "lu" Libération sur Internet, ce qui n'a qu'un avantage: fortifier le doigt qui clique. Cette expérience, que le...

le 06/04/2015 à 19:25
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Et les réformes dans la fonction et entreprises publiques c'est pour quand ? avec des semaines à moins 32h, congés au dessus du légal, absentéisme élevés, éducation nationale en déroute, nombre de fonctionnaires sans utilités ou en doublons 5,5 mill...

à écrit le 06/02/2013 à 12:19
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Hier, dans un article publié par Comment Ça Marche (www.commentcamarche.net/news/5861904-onemoretab-creer-son-propre-portail-d-actualites) , je découvrais onemoretab.com une plateforme de news 100% française très sympa. Aujourd?hui, l?affaire Google...

à écrit le 06/02/2013 à 9:18
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6 millions de CA avec 55 000 exemplaires par trimestre.... ça fait cher le magazine non???

à écrit le 06/02/2013 à 9:06
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Il n'y connaît rien au web et n'y a jamais rien compris... Que vaut sa parole sur le sujet de Google?

à écrit le 06/02/2013 à 9:04
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Ce mec est et a toujours été réactionnaire! Il est anti web anti pub anti temps réel anti Google. Le seul mérite qu'il a est de ne pas changer de discour à travers les temps mais son média idéal il n'a pas de pub il ne fait pas de temps réel...

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