Hommage : Michel Tournier, Robinson et son double

[Replay] L'auteur de « Vendredi ou les limbes du Pacifique », vendu à 7 millions d'exemplaires, est mort le 18 janvier. À l'occasion de sa disparition à l'âge de 91 ans, France 3 a diffusé le numéro de la collection "Un siècle d’écrivains" que lui avait consacré en 1997 le réalisateur, Max Armanet, directeur éditorial de La Tribune.

De Robinson à Barbe Bleue, il n'a cessé de revisiter les mythes. Cas unique dans la littérature moderne, cet écrivain aura réussi à créer sa propre mythologie en cannibalisant les grands mythes de notre civilisation. Vendredi ou les limbes du Pacifique, son premier roman, parait avec l'éclat d'un coup de tonnerre en 1967. Couronné aussitôt par le Grand Prix du roman de l'Académie française, il deviendra un livre culte pour les acteurs de Mai 68. Son deuxième essai est un succès: en 1970, il décroche le Prix Goncourt à l'unanimité pour Le Roi des Aulnes. Michel Tournier est devenu l'un des plus grands noms de la littérature française. Il sera traduit en plus de soixante-dix langues.

Etonnant écrivain-voyageur, notre auteur est de plus en plus casanier. Comme si, épousant les aspirations de Robinson, le personnage principal de son livre fondateur, "Vendredi ou les limbes du Pacifique", il s'était rangé à l'idée de ne plus quitter son île presbytérienne.

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La vie et l'œuvre de Michel Tournier s'épousent de manière intime sans que la chronologie y joue un rôle capital. Dès lors, cette dernière ne fournit qu'une trame discrète au film dont quatre points fondamentaux forment un fil conducteur.

Le presbytère

Son île est un presbytère francilien. Celui de Choisel, petit hameau blotti dans la Vallée de Chevreuse. Belle demeure entourée d'un jardin cerné de murs. De l'autre côté de l'enceinte, l'église et le cimetière. En toutes saisons, le vent dans les arbres fait entendre une musique chère à son coeur. Michel Tournier, depuis trente ans, y a jeté son sac d'écrivain. Il y vit, il s'y voit mourir. La maison de Tournier et son jardin de curé sont le centre de gravité géographique de ce film. Les entretiens réalisés avec l'auteur moderne de Robinson s'y tiennent, donnant une unité de lieu et de temps au portrait.

Le photographe

Michel Tournier est photographe, son oeil affuté décrypte à plaisir la réalité instantanée qui se présente à son regard. Voyageur immobile, son rapport à l'image illustre bien son goût pour l'observation. Michel Tournier n'est pas un acteur de l'Histoire, c'est un témoin. Son oeuvre exprime bien cette dichotomie: la matière de ses livres est la Géographie et non l'Histoire; ses intrigues se nourrissent de personnages et non d'événements. C'est pour ces raisons qu'il considère Julien Gracq comme le plus grand écrivain français, car le plus grand paysagiste. Pour Tournier, l'écriture est une affaire de cadre.

L'ogre

Cet ogre de la littérature française a établi sa propre généalogie: si il reconnait volontiers Marguerite Yourcenar comme sa sainte patronne (Les  Mémoires d'Hadrien est son livre préféré) il se déclare comme l'arrière petit-fils de Gustave Flaubert, le petit-fils d'Emile Zola et le fils de Thomas Mann.

Créateur d'une mythologie chirurgicale des temps modernes, son discours sera disséqué à la manière d'une leçon d'anatomie. L'enfance, la guerre, l'Allemagne, l'écriture, l'amour, la Bible, composent les temps fort de son oeuvre et de sa vie. Ils sont les temps forts du film.

Autre point fort, sa rencontre avec Gilles Deleuze. Ces deux apprentis-philosophes cohabiteront ensemble pendant la guerre. Michel Tournier "tapera, critiquera durement et même diminuera" le premier livre de Deleuze Empirisme et subjectivité.

Les témoignages

Jean-Loup Tournier est son petit frère. Doué pour les études, doué pour la musique, doué pour les affaires, c'est apparemment un anti-Michel. De nombreux souvenirs ainsi qu'une grande affection les lient.

Claude Lanzmann,  plus que de l'amitié, suscite un sentiment de fraternité dans le coeur de Tournier. Ensemble, ils découvrirent la philosophie allemande. Ensemble, ils réalisèrent un voyage initiatique dans l'Allemagne de l'Après-guerre.

Le marquis François-Henri et la marquise Séverine de Breteuil sont des voisins. Michel Tournier apprécie ces amis de qualité qui le changent de la superficialité parisienne.

Didier Decoin est un collègue de l'Académie Goncourt. Tournier se sent en affinité avec ce jeune confrère.

Volker Schlöndorff est le réalisateur qui aura osé porter à l'écran "Le Roi des Aulnes", l'un des chefs d'œuvre de Tournier.

Lucette Le Bacquer a la rude tache de tenir la maison de Choisel. Elle en est la Maîtresse. C'est elle qui assure l'accueil et le service lorsque des personnalités, comme Mitterrand, rendent visite à l'auteur.

Les enfants sont la passion de Michel Tournier. Il cite fréquemment parmi ses livres de chevet la Comtesse de Ségur (La fortune de Gaspard), Jules Verne (Les Indes noires) ou Benjamin Rabier (Gédéon), le célèbre créateur de La vache qui rit. Plusieurs de ses best-sellers sont d'ailleurs des contes pour enfants. Des classes lui rendent fréquemment visite dans son presbytère. Nous en avons suivi une.

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