La chaîne russe RT France lancée en décembre

Par Pascale Paoli-Lebailly, à Cannes  |   |  901  mots
Xenia Fedorova, présidente de RT France
Opération séduction pour la chaîne d'information russe RT. En amont du lancement à la fin de l'année de sa version française, elle mène actuellement une intense campagne de communication au Mipcom, le marché des programmes audiovisuels de Cannes. Objectif : faire entendre sa voix alternative, et redorer son image. Financé à 100% par l'État russe, l'organe de presse est soupçonné d'être un instrument d'influence du gouvernement de Vladimir Poutine.

En acceptant de quitter Berlin -et la direction de l'agence de presse Ruptly- pour Paris, Xenia Fedorova savait qu'elle relevait un défi. Elle n'avait pas mesuré à quel point la marque RT sentait le soufre dans la sphère politico-médiatique française. Depuis plusieurs mois, la jeune présidente et directrice de l'information de RT France prépare le lancement en décembre prochain de la version française de la chaîne d'information russe (ex-Russia Today). Mais depuis la campagne présidentielle, elle est sous pression. Financé à 100% par l'état russe, RT est soupçonnée, au même titre que l'agence de presse en ligne Sputnik, d'être un instrument de propagande et une source d'informations mensongères (« fake news ») au service de la politique de Vladimir Poutine. Des accusations émises par le président Macron lui-même.

Xenia Fedorova a donc profité du marché des programmes audiovisuels, le Mipcom de Cannes, pour se lancer dans une opération séduction. Cette intense campagne de communication menée auprès de toute la presse française a deux objectifs : redorer la réputation de RT, mise à mal « par la presse et les médias » et promouvoir la future version française. Forte de son slogan « Osez questionner », RT France entend proposer une « perspective différente », une voix alternative face à la « pensée unique ».

« Nous sommes une chaîne russe financée par l'État, mais dans un groupe où les équipes sont internationales et composées de peu de Russes. Notre modèle économique et notre concept ne sont pas tellement différents celui de chaines d'information internationales comme BBC News ou France 24, défend Xenia Fedorova. Notre objectif est de couvrir les actualités locales, régionales et internationales qui touchent la France et le monde francophone, tout en mettant l'accent sur les aspects trop souvent négligés par nos confrères. »

Jugeant absurde de « critiquer une chaîne qui n'est pas encore lancée », Xenia Fedorova, qui indique que l'audience de son site en français lancé en 2015 a doublé depuis un an, veut surtout croire au soutien du public. Notamment jeune, qui ne se retrouve pas dans l'offre actuelle.

 Un lancement à 20 millions d'euros

Pour cela, RT France peaufine sa programmation : elle diffusera 24 heures sur 24, produira plus de 10 heures de direct par jour et un journal par heure. Des créneaux seront consacrés à des documentaires et des magazines, produits en interne ou achetés. Côté distribution, la chaîne espère être reprise sur les box des opérateurs télécoms. À ce jour, aucun accord n'a été conclu, mais Xenia Fedorova se veut « confiante », expliquant que RT France pourrait aussi selon les cas, se substituer à RT International, sa grande sœur diffusée en anglais. Elle sera en parallèle disponible en clair sur les satellites Astra 19.2 et Eutelsat 5W.

Avec un budget de lancement de 20 millions d'euros (un peu moins en fonctionnement annuel par la suite), le projet RT France n'est pas un mince chantier, mais « représente une étape logique dans la croissance du groupe ».

Depuis le lancement de sa chaîne en anglais en 2005, RT a lancé depuis Moscou des déclinaisons en arabe en 2007, en espagnol en 2009, a créé la filiale RT Doc en 2011, l'agence de presse Ruptly en 2013 en Allemagne et la chaîne RT UK  en 2014. Le groupe revendique 70 millions de téléspectateurs chaque semaine dans 38 pays et 5 milliards de vues sur YouTube.

Une équipe de 150 personnes

Dans l'équipe française, c'est Jerôme Bonnet, cofondateur du journal satirique Zelium, qui a été nommé rédacteur en chef adjoint pour le digital. « Les équipes s'étoffent, mais ne sont pas encore au complet »précise Xenia Fedorova qui prévoit d'embaucher près de 150 personnes, dont 50 journalistes. Elle vient de recruter Nadia de Mourzitch, ancienne directrice adjointe des magazines de TF1, comme directrice des programmes. Celle-ci travaillera notamment avec Jean-Maurice Potier, ex-présentateur de JT sur LCI et l'ancien consultant Vincent Fazekas, nommé directeur du marketing. Xenia Fedorova cherche aussi une personnalité forte pour animer les débats de la chaîne.

Jouer la transparence

Tout comme France 24 porte le point de vue de la France sur les affaires du monde, RT France donnera écho aux positions russes. Pour autant, sa présidente affirme que sa chaîne se pliera aux règles d'indépendance de l'information. Elle est en tout cas très attendue par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur ce point.

« Un article de notre convention signée en 2015 est consacré à l'indépendance de l'information, une charte interne est aussi en cours de rédaction rapporte Xenia Fedorova. Nous reviendrons prochainement aussi vers le CSA avec le nom de la troisième personne de notre comité d'éthique. »

Composé de Jacques Sapir  (professeur à l'EHESS et animateur d'une émission sur Radio Sputnik), et de l'ancien député Thierry Mariani, le comité doit trouver le remplaçant d'Hélène Carrère d'Encausse, qui s'est désistée.

« Je suis pour la transparence, nous n'avons rien à cacher », martèle Xenia Fedorova.

À Cannes, RT France a aussi organisé une soirée : sa boucle de programmes, à l'habillage punchy et au bandeau vert, démontait ostensiblement un reportage de France 2 évoquant les « fake news » qu'auraient orchestré les organes de presse russe.

Les médias français mis à la question ? Réponse en décembre !