Objets connectés : un avenir radieux pour la santé et morose pour le bien-être ?

En France, certains industriels et spécialistes voient dans les objets connectés permettant de mesurer le nombre de pas ou encore le rythme cardiaque un marché peu pérenne. L'intégration de ces appareils dans une logique de prévention pourrait changer la donne. Les appareils de santé connectée, eux, suscitent l'intérêt des géants pharmaceutiques, mais doivent encore convaincre les praticiens pour s'imposer.
Jean-Yves Paillé
800.000 bracelets et montres connectées se sont vendus en France en 2015.

Les Français ne sont pas vraiment séduits par les objets connectés bien-être. L'institut GFK a publié un rapport mi-figue mi-raisin sur ces trackers, appareils associés au quantified self, mesurant le nombre de pas, rythme cardiaque, mais n'étant pas rattachés à un dispositif médical. Si les ventes de bracelets et montres connectées "sont en solide progression depuis leur introduction sur le marché français en 2013" en France selon l'institut, elles s'inscrivent en dessous des attentes des professionnels. Ces derniers espéraient des ventes à hauteur d'un million de produits. Le chiffre a atteint 800.000, et ce malgré l'arrivée de l'Apple Watch sur le marché français. Les ventes de cette dernière ont d'ailleurs rapidement déçu.

Si le marché a doublé en volume sur un an dans l'Hexagone, GFK estime qu'il n'a pas atteint son potentiel. En acquérant plus de "notoriété" et en développant plus de "pédagogie", il pourra se "réveiller".

"Communiquer sur les bénéfices d'un nouvel univers de produits apparait toujours comme une nécessité en vue de gagner des parts de marché", souligne l'institut.

Doute chez un géant des objets connectés

Cette forte progression des ventes d'objets connectés bien-être ne signifie pas que ce marché sera pérenne dans le futur. Ainsi, chez certaines sociétés, le doute s'installe. C'est le cas d'Uwe Diegel, à la tête de iHealth Labs en Europe, poids lourd mondial des objets connectés, qui produits des appareils connectés santé, mais également bien-être. Interrogé par La Tribune, il estime que le marché des trackers d'activité est rapidement "en train de se faire dépasser" par les objets connectés santé.

"Il y a trop de compétition. Au CES de Las Vegas, plus de 110 fabricants présents proposaient des trackers bien être. Il n'y a pas de pérennité du produit dans le bien-être", commente-t-il. "C'est tendance un moment, on garde les objets trois mois, puis on passe au suivant."

Une étude d'Endeavour Partner réalisée aux États-Unis en 2014 lui donne raison. Un tiers des objets connectés se retrouvent rangés dans un tiroir au bout de six mois.

Uwe Diegel mise ainsi à l'avenir sur les objets de santé connectée. Des appareils qui apportent un service aux médecins et patients, comme les glucomètres pour mesurer le taux de glycémie des diabétiques et dont l'hébergement des données extraites est soumis à un règlement strict. Il considère que les objets connectés dédiés au bien-être "sont beaucoup moins importants que ceux attachés au travail médical, car on ne les achète pas par besoin". Par ailleurs, en France, le glucomètre d'iHealth est remboursé. Un argument supplémentaire...

"Le cœur de la valeur aujourd'hui, ce sont les algorithmes médicaux"

Même son de cloche du côté de Diane de Bourguesdon , spécialiste en santé digitale au sein du cabinet de conseil Jalma. Elle considère que les appareils de santé connectée ont plus le vent en poupe.

"Le cœur de la valeur aujourd'hui, ce sont les algorithmes médicaux, des logiciels pouvant analyser plusieurs critères de santé et d'en tirer des recommandations, notamment les personnes atteintes de maladies chroniques ", explique-t-elle.

Et le potentiel de développement du marché des objets connectés santé semble a priori énorme :

"Si l'on choisit une définition large des maladies chroniques, un salarié sur deux en France est concerné par un facteur de risque cardiovasculaire (hypertension, diabète ou cholestérol)", explique-t-elle.

Vif intérêt des laboratoires pharmaceutiques pour les objets connectés

Les objets connectés santé qui permettent de suivre l'évolution des maladies chroniques intéressent par ailleurs vivement les gros laboratoires pharmaceutiques. Novartis, par exemple, a annoncé en janvier son association avec Qualcomm. Ce dernier va connecter les inhalateurs intelligents de Novartis à sa plateforme Life's2net et au smartphone du patient, le modèle Breezhaler. Un système destiné aux patients souffrant du BPCO, une maladie pulmonaire. Sanofi, numéro 2 dans le marché du diabète, dispose quant à lui déjà de ses propres glucomètres connectés. Le géant pharmaceutique expliquait récemment à La Tribune qu'"avec la santé connectée, nous réduisons les temporalités, développons la coordination entre les acteurs et le suivi de l'évolution des maladies chroniques". Ou encore, le laboratoire Abbott a lancé un glucomètre innovant fonctionnant sans piqûre.

Les industries pharmaceutiques investissent dans ces d'objets connectés afin de fidéliser les personnes achetant leurs produits, de recueillir les données et d'optimiser les traitements.

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Réticences en France

Néanmoins, on n'assiste pas encore à une explosion du marché des objets de santé connectée en France. Diane de Bourguesdon explique qu'"il y a une phase d'acclimatation à ces nouvelles technologies dédiées à la santé, il faut aussi que les médecins apprennent à mieux connaître les objets connectés et les applis santé". "Cela prendra 10-20 ans", estime-t-elle.

En janvier 2015, le Conseil national de l'ordre des médecins se montrait réservé en ce qui concerne les objets connectés :

"Seul le travail d'évaluation permettra d'accepter - ou de refuser - les propos vantant tel ou tel avantage d'un objet connecté. Les études devront juger la performance des capteurs, mais aussi la pertinence des logiciels et algorithmes qui leur sont associés."

Pour le moment, ce qui se développe tous azimuts dans la santé connectée, "c'est la prise de rendez-vous médicaux en ligne, les avis médicaux en ligne avec un niveau d'expertise variable. Il y a une demande de la population", estime Diane de Bourguesdon.

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Porosité de la barrière entre santé et bien-être

Un élément pourrait toutefois rebattre les cartes. Le bien-être sera-t-il étroitement lié à la santé dans les années à venir ? Nicolas Postel-Vinay, médecin dans l'unité Hypertension artérielle à l'hôpital européen Georges-Pompidou et expert de l'automesure cité par l'Inserm, plaide pour des objets connectés dédiés à la prévention.

"L'incitation à une vie plus hygiénique en termes de poids et d'exercice physique chez les sujets sains, c'est un message fort en prévention primaire."

Reste à voir si les adeptes de cette vision du "mieux vaut prévenir que guérir" deviennent plus nombreux dans le futur.

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Jean-Yves Paillé

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