Télécoms : en marche vers le grand marchandage

Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont pris bonne note de la volonté d’Emmanuel Macron d’offrir un Internet fixe à « très bon débit » à tous les Français à horizon 2020. Mais pour y parvenir et accélérer leurs investissements, ils demandent des contreparties.
Pierre Manière
Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free espère notamment bénéficier d’allègements fiscaux en échange d'une accélération des déploiements dans l'Internet fixe ou dans la téléphonie mobile.

Cette semaine, Emmanuel Macron a affirmé qu'il conservait le calendrier du Plan France Très haut débit, qui vise à apporter un Internet fixe ultra-rapide à tous les Français d'ici à la fin 2022. Mais face à la grogne de nombreux Français, qui doivent aujourd'hui se débrouiller dans les campagnes avec un ADSL de mauvaise qualité, le président de la République a fixé un objectif intermédiaire en 2020. Concrètement, à cette date, tous les foyers devront, a minima, disposer d'un « très bon débit ». C'est-à-dire d'une connexion dont le débit est compris entre 3 et 8 mégabits par seconde. D'après Antoine Darodes, le patron de l'Agence du numérique, « près de 5 millions de foyers » sont concernés par cet objectif intermédiaire. Pour y arriver, le gouvernement souhaite, en plus du déploiement de la fibre optique sur tout le territoire, mobiliser d'autres technologies. Parmi elles, il y a notamment la 4G : dans certains cas, celle-ci permet en effet d'offrir une connexion Internet fixe bien supérieure à l'ADSL.

Quoi qu'il en soit, l'objectif d'un « très bon débit » pour tous en 2020 signifie que les opérateurs devront investir davantage dans leurs infrastructures. Mais pour ces acteurs, pas question de dépenser plus d'argent sans contrepartie. Mercredi, lors d'une audition devant la commission d'aménagement du territoire du Sénat, Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free ont clairement indiqué qu'un « nouveau contrat » devait voir le jour avec l'Etat. Du prolongement de la durée des licences d'utilisation des fréquences mobiles à la perspective d'un allègement de la fiscalité, les opérateurs ont détaillé les « carottes » - dixit Antoine Darodes - qui pourraient les décider à en faire plus.

La taxe sur les antennes, « une fiscalité idiote » !

Fraîchement revenu chez Bouygues Telecom après avoir participé à la campagne d'Emmanuel Macron, Didier Casas, le secrétaire général de l'opérateur, n'a pas tourné autour du pot. A ses yeux, l'Etat dispose de « trois leviers » pour que les opérateurs donnent un coup de fouet à leurs déploiements. Premièrement, « nous souhaitons engager avec le gouvernement une discussion sur la possibilité de repousser dans le temps la date de renouvellement des licences d'utilisation des fréquences », a-t-il précisé. D'après lui, cela permettrait au secteur d'investir plus. Indispensables pour les communications mobiles, les fréquences appartiennent à l'Etat, lequel les louent aux opérateurs contre de très gros chèques.

Le second levier, enchaîne Didier Casas, concerne ainsi « le montant des redevances pour ces fréquences ». Régulièrement, les opérateurs se plaignent d'être pris pour des vaches à lait par l'Etat, trop soucieux, d'après eux, de les faire payer le prix fort à chaque vente aux enchères. Ainsi, fin 2015, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont déboursé pas moins de 2,8 milliards d'euros pour de nouvelles fréquences 4G. Le troisième levier, lui, concerne la fiscalité. Ici, les opérateurs télécoms appellent depuis longtemps à un plafonnement d'un impôt spécifique sur les antennes mobiles. « C'est la plus idiote des fiscalités, s'emporte Didier Casas. [Avec elle], plus nous déployons, plus nous payons ! »

Des investissements colossaux

Raccord avec Bouygues Telecom, Pierre Louette, le directeur général délégué d'Orange, estime ces « incitations » nécessaires pour que les opérateurs soutiennent l'objectif du gouvernement. D'après lui, il serait aussi bon que les élus, les collectivités et les administrations leur facilitent la vie. « En France, il faut deux ans en moyenne pour obtenir une autorisation pour installer un pylône [de téléphonie mobile], affirme-t-il. En Allemagne, on n'a besoin que de quatre mois... »

Pour justifier ces contreparties à une accélération des investissements, Régis Turrini, le secrétaire général de SFR, juge que l'industrie des télécoms en fait déjà beaucoup. « Ce qu'il faut comprendre, a-t-il déclaré, c'est que les opérateurs font aujourd'hui un considérable effort d'investissement. En 2016, ils ont investi 9 milliards d'euros, soit 22% de leur chiffre d'affaires. C'est énorme ! Surtout que ces 9 milliards ont été investis dans un contexte hyper-concurrentiel de revenus décroissants... »

« L'Etat doit être raisonnable »

Malgré ces arguments, les sénateurs de la commission d'aménagement du territoire se sont montrés très critiques. Relayant « la colère » de nombreux Français insatisfaits de leur accès Internet fixe ou de leur réseau mobile, beaucoup ont jugé que les opérateurs n'étaient pas dignes de confiance. « Vous ne pensez qu'à faire de l'argent ! », a même canardé une sénatrice communiste, nostalgique du temps où France Télécom était un monopole d'Etat. Ce qui a fait, d'emblée, sortir Didier Casas de ses gonds : « Certains nous disent que nous ne nous intéressons qu'à l'argent. Eh bien désolé, mais nous sommes des entreprises ! Ça peut arriver !  Et les entreprises payent des impôts, c'est utile aussi... »

Très remonté, le secrétaire général de Bouygues Telecom a ensuite pesté contre les « objectifs de politiques publiques contradictoires » qui empoisonnent, d'après lui, le secteur. A ses yeux, l'Etat ne peut pas à la fois demander plus d'investissements pour « aménager le territoire », tout en poussant les prix des abonnements à la baisse, et en considérant, de surcroît, les opérateurs « comme des bases taxables, comme des gens avec des poches profondes ». A ce sujet, Didier Casas en veut toujours au précédent gouvernement d'avoir mis les opérateurs à contribution pour financer FranceInfo, la nouvelle chaîne d'info publique. Avant de conclure : « Nous voulons bien avoir les épaules larges, [...] mais très honnêtement, il faut [que l'Etat soit] raisonnable. » Reste que dans ce contexte, les négociations avec le nouveau gouvernement s'annoncent agitées.

Pierre Manière

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Commentaires 9
à écrit le 23/08/2017 à 20:59
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Ce n'est pas la fiscalité qui est abusive, c'est la mauvaise fois des opérateurs. Leur prétendue difficulté ne provient pas du niveau élevé de la fiscalité, mais des amendes infligées pour entente sur les prix, abus de position dominante,... Elles dé...

à écrit le 23/07/2017 à 8:30
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C'est pourtant vrai que les opérateurs télécoms ne pensent qu'à faire de l'argent mal acquis. Pourquoi un client qui n'a un débit de 2 mb doit-il payer autant que celui ou celle qui en a 30 ? Heureusement que si le dicton est vrai ... ils n'en profi...

à écrit le 21/07/2017 à 19:12
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Cette sénatrice P.C.F oublie trop facilement que mobile et internet ne nous viennent pas des pays communistes, et rien n'en vient d'ailleurs. Qu'elle nous ramène, lors d'un voyage d'études et de formation, Faucille, Marteau, Drapeau Rouge, surdoués ....

à écrit le 21/07/2017 à 12:13
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Peut être baisser les salaires des dirigeants des groupes concernés et fiscaliser notamment Patrick Drahi président de SFR installé en Suisse ?

le 21/07/2017 à 13:37
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Paulin va t il en rejoindre orange ? ;0)) C etait la saint paulin ou la saint Barthélémy chez SFR

le 21/07/2017 à 14:16
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Va t il en devenir orange ! Apres le carré rouge ! L art de la triangulation pourrait en faire un rectangle ! Rouge ou vert ;0))

à écrit le 21/07/2017 à 12:09
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Les moyens de communications permettent de réduire les trajets en voiture. L'État joue de la carotte et du bâton, pour exemple: faire les déclarions d’impôts via internet, et vouloir taxer plus internet ! La fibre optiqu...

à écrit le 21/07/2017 à 11:32
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"Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free espère notamment bénéficier" espèrent ?

à écrit le 21/07/2017 à 10:43
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La Taxe sur les antennes est une des meilleures idées , car elle a pour vocation d'obliger les opérateurs a enfin faire ce qu'ils refusent, a savoir mutualiser leurs installations radio. Au lieu de cela, ils continuent a déployer chacun leurs station...

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