Drahi, la dette academy

En mettant la main sur le câblo-opérateur Suddenlink, valorisé à 9,1 milliards de dollars, le patron d’Altice prend pied sur le marché américain. Après avoir avalé SFR et Portugal Telecom, il poursuit tambour battant sa stratégie d’acquisitions et d’expansion, sans se soucier, pour l’heure, d’une dette de plus en plus considérable.
Pierre Manière
Patrick Drahi profite à fond des taux bas pour financer ses acquisitions.

33,4 milliards de dollars. Selon une note d'analyste de RBC Capital Market, c'est le montant que devrait atteindre la dette nette d'Altice, une fois que le rachat de Suddenlink sera bouclé. Dans la nuit de mardi à mercredi, Patrick Drahi, son patron, s'est offert 70% de ce petit acteur du câble outre-Atlantique, valorisé à 9,1 milliards de dollars. Une fois n'est pas coutume, le businessman franco-israélien a une fois encore recouru au levier de l'endettement, à hauteur de 6,7 milliards de dollars, pour ferrer sa proie. Un montant complété par un prêt de 500 millions de dollars accordé par les deux fonds qui lui ont cédé leurs parts, et 1,2 milliards de dollars en cash.

Après avoir avalé SFR (pour plus de 19 milliards d'euros) et Portugal Telecom (pour 7,4 milliards d'euros), Patrick Drahi fait montre d'un appétit bluffant. Interrogé par La Tribune, un analyste financier résume bien le sentiment général :

« On est tous un peu surpris ! Dans ce secteur, on n'a jamais vu un opérateur faire autant d'acquisitions dans un laps de temps aussi réduit. Même au moment de la bulle Internet, jamais un groupe n'avait signé autant de deals de cette manière, coup sur coup. »

Profiter des taux bas

Patrick Drahi, qui rêvait « depuis tout petit de devenir le patron d'une grande entreprise mondiale » comme il le soulignait à Bloomerberg TV l'an dernier, est visiblement pressé de se construire un empire. L'occasion fait le larron, et actuellement, il tient visiblement à profiter à fond de taux historiquement bas. « Il veut aller vite avant que cette fenêtre se serre, poursuit notre analyste.. » La dette nette globale d'Altice devrait représenter aux alentours de 5,5 fois son résultat brut d'exploitation (Ebitda) au terme de sa dernière acquisition. Mais ce ratio, pour l'heure, n'effraie pas les investisseurs.

En d'autres termes, Altice n'a très probablement pas fini de faire son marché. D'autant qu'en parallèle des taux très bas, Dennis Okhuijsen, le directeur financier de la holding, a souligné que le groupe table une progression « très importante » de son résultat opérationnel en Europe, pour dégager « des capacités d'endettement » nouvelles, au besoin.

Des discussions avec Time Warner Cable

Certaines cibles potentielles sont déjà épinglées. D'après le Wall Street Journal, Altice serait en discussion avec Time Warner Cable, le numéro 2 américain du câble. En quête d'un repreneur après l'échec de sa fusion avec Comcast, le leader du secteur, ce mastodonte pèse toutefois quelques 45 milliards de dollars en Bourse. Soit bien plus qu'Altice, qui flirte avec les 35 milliards. Pour de nombreux observateurs, l'acquisition de Suddenlink n'est d'ailleurs qu'un premier pion avancé par Patrick Drahi, qui lorgnerait désormais de fructueuses synergies avec d'autres opérateurs outre-Atlantique. D'ailleurs, Dexter Goei, le DG d'Altice, a qualifié dans un communiqué « l'investissement dans Suddenlink » comme le « premier » du groupe dans le secteur du câble américain. Comme si, de manière indirecte, il souhaitait préparer les investisseurs au prochain coup de fourchette de la holding...

Dans l'Hexagone, Altice a les yeux rivés sur Bouygues Telecom. En mars dernier, selon le JDD, Patrick Drahi aurait déposé une offre de 7,5 milliards d'euros pour mettre la main sur le troisième opérateur français. Bouygues Telecom a beau saisir toutes les occasions pour clamer haut et fort qu'il ne déviera pas de sa stratégie « standalone », la possibilité d'un rachat revient régulièrement.

Mais les banquiers et les investisseurs continueront-ils encore à suivre Patrick Drahi dans ses coûteuses emplettes ? Oui, confie l'analyste d'une grande banque d'investissement :

« Les investisseurs sont même demandeurs, c'est ce qu'ils veulent ! La preuve, c'est que dès qu'Altice fait un deal, le titre prend 8%... »

« Une transparence stratégique »

D'après lui, si les opérations surprennent le grand public par leur ampleur, tel n'est pas le cas des banquiers et des investisseurs, qui soutiennent le groupe dans sa politique d'acquisitions à taux bas.

« Ce qui est un peu désarçonnant, avec Drahi, c'est qu'il fait preuve d'une incroyable transparence stratégique, en affichant clairement ses ambitions de consolidation en France, ou d'essor à l'international... Ceux qui lui apportent des capitaux savent à quoi s'attendre, et ils le suivent. »

En outre, les investisseurs savent que Patrick Drahi a pour modèle John Malone. A 74 ans, ce dernier est le président de Liberty Global, un mastodonte des télécommunications aux Etats-Unis, dont la stratégie repose sur une politique d'acquisitions agressive.

Pour mieux justifier sa stratégie, Altice peut aussi brandir les derniers résultats de Numericable-SFR. La semaine dernière, le nouvel ensemble a fait état d'un bénéfice net de positif au titre du premier trimestre, à hauteur de 816 millions d'euros. Sur la période, son Ebitda est ressorti en forte croissance de 21% à 930 millions d'euros, grâce à des synergies plus importantes que prévues. Après une perte de 175 millions d'euros l'an dernier, l'opérateur est donc repassé dans le vert, grâce à une imposante chasse aux coûts, mais au prix d'une importante fuite de ses clients.

« The trend is my friend »

Reste que l'engouement des investisseurs laisse certains analystes dubitatifs. « The trend is my friend (les investisseurs aiment les lignes droites, Ndlr) », nous dit l'un d'entre eux. Il s'explique :

« Ce que je constate, c'est ce que le track record est faible. Drahi a mis la main sur Numericable en 2006, mais le groupe n'est coté en Bourse que depuis novembre 2013. Ainsi, on a peu d'informations sur les résultats de la société sur la période 2006-2013. Et rien ne prouve qu'elle a été bien managée, ou qu'elle ait fait mieux que les autres... »

Reste que jusqu'à présent, Patrick Drahi poursuit sa conquête tous azimuts. Et en mettant la main sur Suddenlink, il se fend, au passage, d'un pied-de-nez à son rival Xavier Niel. Et pour cause : en août dernier, le patron d'Iliad (Free) avait échoué à s'emparer de T-Mobile US, la filiale américaine de Deutsche Telekom.

Pierre Manière

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