En Ethiopie, l'ouverture du marché des télécoms tourne au chemin de croix

Ce pays de 114 millions d’habitants peine à libéraliser le secteur des télécoms. Des restrictions en matière de services financiers sur mobile conjuguées à l’instabilité politique ont freiné les ardeurs des grands opérateurs mondiaux, dont le français Orange.
Pierre Manière
Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, a assisté au lancement de la solution de paiement mobile Telbirr, de l'opérateur Ethio Telecom, à Addis Abeba le 11 mai dernier.
Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, a assisté au lancement de la solution de paiement mobile Telbirr, de l'opérateur Ethio Telecom, à Addis Abeba le 11 mai dernier. (Crédits : Reuters)

Addis Abeba espérait que les grands opérateurs se bousculeraient au portillon. Mais cela n'a pas été le cas. L'hiver dernier, l'Éthiopie a lancé un appel d'offres visant à attribuer deux nouvelles licences de téléphonie mobile. Mais l'exécutif n'a reçu, in fine, que deux propositions fermes. Autant dire une paille au regard des enjeux ! De fait, cette attribution constitue une révolution. Elle marque l'ouverture à la concurrence des télécoms, et la fin d'un monopole d'Etat dans ce secteur. En outre, l'Éthiopie constitue, sur le papier, une affaire juteuse. Avec 114 millions d'habitants, le pays est le deuxième le plus peuplé d'Afrique, derrière le Nigeria, qui en compte 200 millions.

Du côté des opérateurs, la ruée vers les télécoms n'a pourtant pas eu lieu. Le mois dernier, un consortium conduit par le kényan Safaricom, et épaulé par le britannique Vodafone et le sud-africain Vodacom, a bien décroché une licence après avoir mis 850 millions de dollars sur la table. Mais le second candidat, le sud-africain MTN, s'est fait retoqué sa proposition de 600 millions de dollars, jugée insuffisante par le gouvernement. Surtout, les autres cadors mondiaux des télécoms n'ont même pas pris la peine de déposer un dossier. A commencer par Orange, un des leaders des télécoms africaines, présent dans deux pays sur trois sur le continent.

Lourds investissements

Pourquoi diable ont-ils boudé une opportunité qui apparaît aussi rare que profitable sur le long terme ? Interrogé à ce sujet, Orange estime que « les conditions de marché et de création de valeur à moyen terme n'étaient pas au rendez-vous ». Les contreparties exigées pour les licences, attribuées pour 15 ans, sont en effet très importantes. Le consortium mené par Safaricom devra couvrir le pays en téléphonie mobile d'ici à cinq ans. Ce qui est peu, et nécessitera de lourds investissements. S'il n'y arrive pas, l'opérateur s'expose à des sanctions. En outre, le gouvernement a mis un point d'honneur à ce que les nouveaux détenteurs des licences bâtissent leur propre réseau, sans recourir à des opérateurs de tours télécoms, ou à la location des infrastructures d'Ethio Telecom, l'opérateur historique. Ce qui renchérit considérablement la facture.

Aux dires d'Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, Safaricom se serait engagé à investir quelques 8 milliards de dollars dans la construction de son réseau dans les dix prochaines années. Une source proche de l'appel d'offres a pourtant déclaré au Financial Times qu'« il est impossible de gagner de l'argent » en dépensant autant...

L'instabilité politique inquiète les opérateurs

Selon un bon connaisseur du marché, l'instabilité politique a découragé beaucoup de candidats potentiels. La guerre au Tigré, dans le nord du pays, conjuguée aux tensions avec le Soudan et l'Egypte, ont sans doute fait hésiter les opérateurs. La stabilité politique est essentielle dans les télécoms. Cette industrie nécessite d'énormes investissements, qui ne sont pas rentabilisés avant plusieurs années.

Le dernier frein est l'interdiction, pour les compagnies étrangères de proposer des services financiers sur mobile. Or en Afrique, ce segment est crucial. Orange en sait quelque chose. Son service Orange Money est l'un des principaux relais de croissance du groupe sur le continent. Lancé en 2008, celui-ci affiche désormais 54 millions de clients au compteur.

Privatisation partielle d'Ethio Telecom

L'histoire n'est cependant pas terminée. Le gouvernement éthiopien compte remettre en vente la seconde licence les prochains mois. Il cherchera, sous doute, à offrir davantage de garanties aux candidats potentiels pour les inciter à déposer des offres. En parallèle, il va ouvrir le capital d'Ethio Telecom à hauteur de 40%. Cela pourrait intéresser de nombreux acteurs des télécoms. Selon nos informations, Orange étudie le dossier de près. Grimper au capital de l'opérateur historique a un double avantage : cela limite les investissements à effectuer puisque celui-ci dispose déjà d'un réseau. En parallèle, Ethio Telecom n'est pas concerné par les restrictions sur les services financiers. Il vient d'ailleurs de lancer sa propre solution de paiement mobile, baptisée Telebirr. Sous ce prisme, les grandes manœuvres n'en sont, visiblement, qu'à leurs débuts.

Pierre Manière

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Commentaires 3
à écrit le 08/06/2021 à 21:09
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Les éthiopien ont ils des comptes banquaire bien remplis ? Les opérateurs ne vont pas payer ,si il n'y a pas de retour sur investissement bien juteux . CQFD

à écrit le 08/06/2021 à 17:39
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"Ce pays de 114 millions d’habitants peine à libéraliser le secteur des télécoms". Il y a peut être plus urgent : Il faudra encore attendre. Malgré les nombreuses alertes sur un risque imminent de famine dans la région éthiopienne du Tigré, ...

le 09/06/2021 à 7:42
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Le gouvernement éthiopien n'est pas à l'origine du commencement du conflit. Le Front de Libération du peuple du Tigré est responsable. Et maintenant la population tigreenne paye le prix fort. Les membres du FLPT n'ont rien à faire de leur peuple. Ce...

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