Comptes bancaires en déshérence : la machine législative est en marche

La Cour des comptes estimait que 1,487 milliards d'euros dorment sur des comptes de personnes décédées dans un rapport paru en juin. Le législateur s'est emparé du sujet. Deux proposition de loi viennent d'être déposées. Ces textes seront discutés en 2014, pour une éventuelle application dès 2015.
Plusieurs centaines de comptes de personnes.décédées dorment dans les banques

Les morts détiennent parfois des trésors. Bien que la France compte 610.000 personnes âgées de 90 à 100 ans selon l'Insee, les banques dénombrent 1,27 millions de clients dans cette tranche d'âge. Il y a même environ 20.106 centenaires vivants mais 674.014 détiennent un compte en banque ! Conclusion mathématique : un certain nombre de ces comptes bancaires sont en déshérence.

  • Que dénonçait le rapport de la Cour des comptes ?

Dans un rapport daté de juin 2013, la Cour des comptes estime qu'en 2012, les sept principaux groupes bancaires de France comptaient 1,677 249 million de comptes dépôt à vue et d'épargne inactifs ce qui représente environ 1,487 milliards d'euros d'encours qui ne sont plus réclamés par personne.

Si leurs propriétaires ne sont plus là pour s'en préoccuper, les banquiers, eux n'oublient pas de prélever d'inévitables « frais de gestion de comptes inactifs » une fois par an. Ainsi, le rapport de la Cour fait ressortir qu'au bout de trente ans de déshérence, l'un des établissements bancaires pris pour exemple avait prélevé l'équivalent de 59% de cette épargne (tableau n°3, page 46 du rapport). D'autant que le montant des frais de gestion « n'est pas encadré et peut atteindre jusqu'à 100 euros par an ! » s'insurge Hervé Maurey, sénateur centriste.

Autant d'argent en moins dans les caisses de l'État, auquel les banques sont censés reverser ces avoirs en déshérence si personnes n'en a hérité au bout de trente ans. La Cour pointait un manque d'encadrement législatif, couplé à un manque de contrôle et a fortiori de sanctions - tapant au passage sur les doigts de France Domaine.

« Le positionnement en retrait de France Domaine, qui consiste principalement à constater les encaissements de sommes et valeurs prescrites sans définir de politique de recouvrement, voire de contrôle, est préjudiciable à plusieurs égards. En l'absence de dispositif de suivi statistique, France Domaine n'est pas en mesure d'être informé des anomalies qui peuvent être relevées au niveau des encaissements et de prendre d'éventuelles actions correctives » écrit-elle.

En effet, comme le soulignaient les auteurs du rapport :

« Lorsque la banque est informée d'un décès, si aucun ayant droit ne se manifeste, la banque conserve les fonds pendant trente ans. Elle n'a pas d'obligation de rechercher les ayants droit. Ainsi, de nombreux comptes inactifs dans les banques appartiennent à des clients décédés, que la banque en soit informée ou non ». Avant de poursuivre : « le prélèvement durant dix ans de frais de gestion sur ces comptes apparaît contraire aux intérêts des ayants droit, si ceux-ci venaient à se manifester tardivement ».

Lors de ses investigations, la Cour s'est même aperçue que certains établissements bancaires ne respectent même pas l'obligation de transfert du patrimoine à l'État passé trente ans ou excluent de ce champ certains comptes de manière illégale.

Page 86 de son rapport, elle résumait ses préconisations dans ce graphique:

avoirs_bancaires

  • Le législateur s'est-il saisi du rapport de la Cour des comptes ?

Suite au constat dressé par la Cour, deux élus - un sénateur et un député- ont déposé chacun une proposition de loi auprès de la chambre du Parlement dont ils dépendent. Les députés Christian Eckert, Dominique Lefebvre et Bruno Le Roux, associés à d'autres élus, ont déposé la proposition de loi n°1546 le 13 novembre 2013.

Si plus de 1,6 millions de comptes bancaires demeurent en déshérence, c'est que les notaires n'ont pas forcément connaissance de leur existence au moment du règlement de la succession de leurs propriétaires. Pour l'instant, il n'ont en effet pas directement accès au « Fichier national des comptes bancaires et assimilés » (Ficoba) de la Cnil dont la fonction est de recenser l'ensemble des comptes (bancaires, postaux, d'épargne) ouverts sur le territoire national et de fournir des informations sur ceux-ci aux personnes et organismes habilités. Ce fichier a été créé à des fins fiscales, mais ne rend pas compte des sommes déposées sur les comptes.

Du coup, l'article 3 de la proposition de loi est rédigée ainsi : « le notaire chargé d'établir l'actif successoral en vue du règlement de la succession pour laquelle il a été mandaté obtient de l'administration fiscale les informations détenues par celle-ci en application de l'article 1649 A du code général des impôts afin d'identifier l'ensemble des comptes bancaires ouverts au nom du défunt ».

 

« En tant qu'officier public, l'ouverture au notariat de l'accès au fichier Ficoba me paraît une bonne chose. Actuellement, nous avons régulièrement des cas d'héritiers qui ne savaient pas quels comptes étaient détenus dans quels établissements bancaires, or, ils doivent être biens informés avant de faire le choix d'accepter ou non la succession. Avoir accès au Ficoba nous permettra d'être plus efficaces » commente Maître Laurent Mompert, notaire et porte-parole des Notaires de France.

Rendre obligatoire l'accès au Ficoba jouit également d'un accueil favorable auprès de la Cnil.

« Actuellement, nous recevons un nombre exponentiel de demandes d'accès à ce fichier par des particuliers, dans le cadre de successions. Il serait bien qu'ils puissent passer directement par la Banque de France (co-responsable de ce fichier, ndlr) cela nous allègerait en charge de travail » déclare Florence Fourets, directrice en charge des relations avec les usagers et du contrôle de données à la Cnil.

Elle précise :

« au 31 octobre dernier, nous avions reçu 1705 demandes de droits d'accès indirect à ce fichier ; nous devrions avoisiner 2000 demandes pour 2013, sachant que nous avions été saisis l'année dernière de 1836 demandes ».

Le 28 novembre, c'était au tour du sénateur centriste de l'Eure Hervé Maurey d'enregistrer une proposition de loi, la n°179, auprès de la Présidence du Sénat. « L'objectif est de transposer aux avoirs bancaires en général les obligations déjà passées au sujets des assurances-vie » explique-t-il à La Tribune, faisant référence au contenu de la loi de régulation des activités bancaire votée le 26 juillet dernier. Il propose que les banques se voient dans l'obligation de rendre compte à la fois des sommes d'argent en déshérence qu'elles gèrent et des recherches en cours pour identifier et prévenir les héritiers, tout ceci dans leur rapport annuel d'activité. Ce texte va donc plus loin que celui déposé à l'Assemblée nationale.

« J'avais posé une question orale au Sénat début 2012 » raconte Hervé Maurey, « mais c'est une matière dans laquelle il faut aller pas à pas pour ne pas se heurter frontalement à des lobbys qui sont très bien organisés. Du coup, j'ai préféré attendre que le texte sur les assurances-vie en déshérence soit passé et que la Cour des Comptes rende ses conclusions afin de pouvoir m'appuyer dessus » confie-t-il. Et c'est ce qu'il fait aujourd'hui.

  • Quand seront examinées ces propositions de loi ?

Reste à fixer un calendrier d'examen pour ces deux textes. Contacté, un administrateur de Christian Eckert à l'Assemblée nationale précise que la proposition n°1546 n'a pas encore été inscrite à l'ordre du jour mais, dit-il, « on espère que le texte sera examiné au premier semestre 2014, pour une application prévu début 2015 » et se montre positif quant à son adoption : « on a constaté un assez large consensus sur ce qui est proposé » rapporte-t-il.

Des propos confirmé par une administratrice qui suit les travaux de la Commission des Finances de l'Assemblée selon qui « l'examen ne ce fera pas avant la fin de l'année, mais plutôt début 2014 ». La proposition de loi d'Hervé Maurey attend également d'être inscrite à l'ordre du jour du Sénat, son porteur espère un examen au deuxième semestre 2014.

Reste une question. Dans son rapport, la Cour des comptes soulignait un manque de contrôles des activités. La réponse législative pourrait donc n'être qu'une étape. Peut-être faudra-t-il s'assurer que France Domaine dispose des moyens adéquats pour surveiller de plus près ces comptes en déshérence. « C'est un chantier qui ne sera jamais terminé ! » lâche à ce propos le sénateur de l'Eure.

LIRE AUSSI :

>> 4 milliards d'euros d'épargne restent encore non réclamés par leurs ayants droit

Proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale:

 
Rapport de la Cour des comptes sur les avoirs bancaires en déshérence :

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Commentaires 9
à écrit le 14/02/2014 à 16:47
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Laisser les notaires mettre leur nez dans nos comptes bancaires ne change pas grand chose. Ils le font déjà pour régler la succession de toute façon. En revanche c'est une toute autre paire de manches pour les assurances vie. Les avantages de ces der...

à écrit le 06/12/2013 à 18:27
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En cas de découvert celui qui est parti, on le force à revenir pour s'expliquer?

à écrit le 06/12/2013 à 16:40
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L état racle les fonds de tiroir

à écrit le 06/12/2013 à 13:59
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Attention , si la personne décédé a eu un parcours de fin de vie hospitalier , maison de soin,enterrement etc... ou autres , le notaire ...informe le Conseil Général ,les communautés d'agglo.mairies ...etc pour rembourser les soins fournies , jusqu'...

à écrit le 06/12/2013 à 12:27
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Ca y est on fait les fonds de tiroir.....on a décidé de piller les morts de mieux en mieux...... Au moins cela ils bloqueront pas la france et il gêneront pas trop aux prochaines élections.....

le 06/12/2013 à 14:39
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Oui enfin à choisir entre être pillé par les banques ou par l'état je préfère quand même la seconde option.

le 07/12/2013 à 7:00
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tout à fait d'accord avec juju ; je pense que 1789 a bcp d'actions de banques ou alors il n'a pas compris que sa banque le pille au jour le jour et même après sa mort

le 26/06/2015 à 19:56
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+1. Je croyais que lorsqu'un défunt n'avait pas d'héritiers son patrimoine revenait à l'Etat. J'aurai mal compris ? Je croyais aussi qu'il était possible d'interroger la Banque de France pour connaître les comptes d'une personne, donc il suffit de ...

à écrit le 06/12/2013 à 11:32
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Pas de panique!, les avoirs de feu les détenteurs sont dans de bonnes mains!. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

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