Les français sont des "fourmis" vraiment pas téméraires

Par Christine Lejoux  |   |  1144  mots
Depuis son lancement en mars 2014, la collecte nette des cessions sur les fonds éligibles au PEA-PME n'excède pas 210 millions d'euros, alors que Bercy visait une collecte de 750 millions à 1,5 milliard d'euros dès la première année.
Àprès de 16 %, le taux d'épargne des Français est l'un des plus élevés d'Europe. Mais cet énorme bas de laine de plus de 10 000 milliards d'euros est très peu investi dans le financement de l'économie productive.

Entre être cigale ou fourmi, les Français ont choisi, depuis longtemps, la seconde option. À la fin du premier trimestre 2014, leur taux d'épargne s'élevait à 15,9 % de leur revenu brut disponible, selon la Banque de France. Un taux au plus haut depuis 2009 et qui place les Français parmi les premiers épargnants d'Europe, juste derrière les Allemands. De fait, le taux d'épargne moyen dans la zone euro est de 13 % seulement, et il est même inférieur à 6 % au Royaume-Uni. Le décalage est encore plus grand avec les États-Unis, où le taux d'épargne est de l'ordre de 4 % seulement.

Pourquoi les Français jouent-ils autant les fourmis ? D'abord, ce comportement prudent est le fruit d'un héritage historique : c'est dans leur ADN, nos compatriotes préfèrent mettre de côté l'argent nécessaire à leurs dépenses futures, alors qu'aux États-Unis, les achats à crédit sont monnaie courante. Ensuite, depuis le XIXe siècle, la France est un pays de propriétaires, contrairement à l'Allemagne, par exemple. D'où la nécessité, pour les Français, d'épargner afin de disposer de l'apport nécessaire à l'acquisition de leur résidence principale. Si les Français épargnent autant, c'est également pour des motifs conjoncturels, comme la crise économique et la montée du chômage, qui alimentent la peur du lendemain. D'où le désir de se constituer une épargne de précaution.

10.000 milliards d'euros qui sommeillent

Résultat, les Français disposent d'un bas de laine colossal, d'un montant total de plus de 10 000 milliards d'euros, soit cinq années de PIB. Or, s'il est une manne sous-utilisée pour le financement de l'économie française, c'est bien celle de l'épargne des ménages. Près des deux tiers de ces 10 000 milliards d'euros de patrimoine brut sont en effet investis dans des actifs immobiliers. Quant à l'essentiel du solde, c'est-à-dire le patrimoine financier, il est placé à près de 40 % dans l'assurance-vie en euros et à hauteur de 13,5 % dans des livrets d'épargne défiscalisés. L'investissement direct en actions cotées ne récoltant qu'un maigre 4,5 %, d'après l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Un arsenal de mesures pour réorienter l'épargne

Afin de réorienter l'épargne des Français vers le financement de l'économie productive, les dirigeants politiques n'ont pas ménagé leurs efforts, ces derniers temps. Les textes réglementaires nécessaires à la commercialisation des produits Eurocroissance et Vie-génération - de nouveaux contrats d'assurance-vie destinés à inciter les assureurs à se porter davantage vers les actifs d'entreprise -ont été publiés en septembre. Ce sont au moins 50 milliards d'euros qui devraient pouvoir être ainsi réalloués des fonds euros vers les fonds Eurocroissance d'ici à cinq ans, estime Bercy.

Un an plus tôt, à l'été 2013, avaient été mis en place les fonds de prêts à l'économie (FPE), qui permettent à des acteurs non bancaires - au premier rang desquels les assureurs - de financer les PME et les ETI. À quoi s'ajoute la modification des règles d'investissement de l'Erafp, le fonds de retraite de la fonction publique, qui pourra ainsi investir en actions 5 milliards d'euros supplémentaires d'ici à 2020. Enfin, l'épargne salariale devrait être mieux orientée vers le financement de l'économie, le Copiesas (conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés) - dans ses recommandations remises au gouvernement le 26 novembre dernier - suggérant notamment d'étendre les dispositifs d'épargne salariale aux PME et aux TPE. Mais cet arsenal de mesures sera-t-il efficace ? Les débuts mitigés du PEA-PME, qui offre la possibilité d'investir 75000 euros maximum dans des actions de PME et d'ETI, permettent d'en douter. Certes, après des soldes négatifs en juillet, août, octobre et novembre, la collecte nette (des cessions) sur les fonds éligibles au PEA-PME est redevenue positive en décembre, mais à hauteur de 7 millions d'euros seulement. Surtout, depuis l'entrée en vigueur du PEA-PME, le 5 mars 2014, la collecte nette sur les fonds éligibles à ce dispositif n'excède pas 210 millions d'euros, selon des données publiées le 6 janvier par la société de Bourse Arkéon Finance. Alors que Bercy visait une collecte de 750 millions à 1,5 milliard d'euros dès la première année.

Une fiscalité dissuasive, « à l'envers »

Il est vrai que les Français ont quelques raisons de ne pas se ruer sur les actions. En moins de dix ans, les actionnaires individuels ont subi l'éclatement de la bulle Internet, en 2000, puis la grande crise financière de 2008.

Deux krachs boursiers plus tard, ils ne sont plus que 4,2 millions en France, soit près de deux fois moins qu'en 2003, année qui avait constitué un pic historique, avec 7,1 millions de petits porteurs. Chat échaudé craignant l'eau froide, plus de la moitié (56 %) des Français interrogés par Opinionway jugent l'investissement dans des titres d'entreprise trop risqué, d'après un sondage publié par l'institut le 14 octobre. Pis, selon une enquête diffusée le 3 décembre par la banque UFF, et qui a été réalisée non pas auprès de Français lambda mais d'investisseurs particuliers actifs, ces derniers continuent d'afficher une large préférence pour les produits à capital garanti, notamment pour les assurances-vie en euros. Et ce, d'autant plus que les Français, célèbres pour leur pessimisme, épargnent avant tout pour protéger leur capital, pas pour le faire fructifier.

Et puis, si les Français sont si peu enclins à placer leurs économies en Bourse, c'est également parce qu'ils ne brillent pas par leur culture financière. Le baromètre sur la vulnérabilité financière des Français - publié en février 2014 par les Banques Populaires (groupe BPCE) et l'école de commerce Audencia - attribuait aux personnes interrogées une note de 5,04 seulement sur 10, en matière de connaissances financières basiques. Pas moins de 42 % des sondés étaient notamment incapables de calculer la somme dont ils disposeraient après avoir placé 100 euros pendant un an sur un compte épargne rémunéré au taux de 2 %. Enfin, à la décharge des Français, la fiscalité de l'épargne en France est à « l'envers », selon Paris Europlace, l'association chargée de promouvoir la place financière de Paris. D'une manière générale, les placements à court terme et sans risque, comme le Livret A, sont en effet moins taxés que les placements de long terme et à risque, tels que les actions.

Interrogé le 17 juin par Les Échos sur une possible révision de la fiscalité de l'épargne, Michel Sapin avait répondu qu'il n'y avait « pas de tabou » à ce sujet, mais que « toute évolution devrait se faire dans un cadre où les efforts seraient partagés de manière juste », en raison des « contraintes budgétaires [qui] pèsent lourd sur [les] épaules » du gouvernement.