Cryptomonnaies : comment bien transmettre ce patrimoine numérique à ses héritiers

La chute brutale de la plateforme d’échange de crypto-monnaies FTX amène bon nombre de questions aux détenteurs d’actifs numériques comme la question de la sécurité de ses fonds, de la fiabilité de son intermédiaire, mais aussi, celle de la transmission de ses actifs numériques. Pourrez-vous transmettre vos crypto-monnaies à vos héritiers ? Si oui, comment faire ? Autant de questions auxquels les notaires réfléchissent et se préparent.
Maxime Heuze
Organiser la succession de ses cryptomonnaies avec l'aide d'un notaire est possible et relativement simple à condition de respecter quelques règles. (Figuration d'un XTZ, la cryptomonnaie de la blockchain Tezos)
Organiser la succession de ses cryptomonnaies avec l'aide d'un notaire est possible et relativement simple à condition de respecter quelques règles. (Figuration d'un XTZ, la cryptomonnaie de la blockchain Tezos) (Crédits : DR)

Si, après la faillite de FTX, les détenteurs de cryptomonnaies ou cryptoactifs s'inquiètent dans l'immédiat plus de la sécurité de leurs fonds, la question de la transmission entre progressivement dans les esprits. « Pour l'instant, on n'a pas beaucoup de demandes mais le nombre de clients qui nous contactent pour poser des questions sur la transmission de leurs cryptoactifs augmente depuis deux ans », témoigne Cédric Pommier, notaire à Albertville et président d'une commission du Congrès des notaires de France 2021 dédiée au patrimoine numérique. D'après une étude de la Banque centrale européenne (BCE) publiée en mai 2022, 4 millions de Français (6%) possèderaient des cryptomonnaies, ces actifs numériques qui s'échangent via un réseau d'ordinateurs appelé blockchain.

Donner de son vivant : simplicité et sécurité

« Une cryptomonnaie est considérée comme un actif, même s'il est numérique. C'est un objet non palpable, mais qui a une valeur patrimoniale comme un droit d'auteur ou un brevet d'invention. En termes de transmission donc, les cryptomonnaies sont soumises à la règle de l'exonération fiscale puis de l'imposition au barème progressif », définit Mathieu Fontaine, notaire à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Un particulier a en effet le droit de donner 100.000 euros par enfant tous les 15 ans sans avoir de droit de succession à payer. Au-dessus de ce montant, les dons sont progressivement taxés. « Par exemple, entre 15.933 et 552.324 euros, un don est taxé à 20% », précise Cédric Pommier..

Au regard du droit fiscal, il est préférable de léguer ses cryptos à ses enfants avant de les vendre puisque « la donation permettra de "purger" la plus-value latente relative aux cryptos données et seuls les droits de donation serait dus», explique Frédéric Poilpré, membre du Cercle des fiscalistes. Autrement dit, si les héritiers reçoivent des bitcoins,  même si leur donateur avait réalisé une plus-value, cette dernière ne serait pas comptabilisée, ni imposée par l'administration fiscale. Si l'héritier revend les cryptos plus tard, en ayant lui-même réalisé une plus-value, celle-ci sera alors assujettie au prélèvement forfaitaire unique de 30%.

Si un détenteur de cryptos souhaite transmettre ses actifs de son vivant, les notaires recommandent de le faire au sein de leur étude. Selon eux, voici comment procéder : « Il est nécessaire que les héritiers ouvrent un compte de cryptomonnaies ou se créer un portefeuille numérique. Ensuite, le jour du transfert, le donateur et les ayants droit déterminent, avec le notaire, la valeur du portefeuille en comparant le prix des cryptoactifs sur différentes plateformes, puis en faisant une moyenne des différents prix. Ce montant est alors retenu dans l'acte par le notaire, puis le donateur peut transférer ces actifs de son compte vers ceux de ses héritiers », explique le notaire d'Albertville. Petit bémol à cette procédure, l'usufruit est impossible. Autrement dit, un donateur ne pourra pas transmettre ses cryptos et continuer d'avoir la main sur ces dernières, pour les acheter et les vendre à sa guise, en attendant son décès.

Si, pour les cryptomonnaies classiques, l'estimation et la transmission sont relativement simples, pour les NFT (ou jeton non fongibles, des certificats de propriétés inscrits sur une blockchain), c'est plus compliqué. « Il faut trouver une plateforme qui pourra estimer le NFT puis il faudra que les ayants droit soient tous d'accord sur le prix », détaille Cédric Pommier qui rappelle « qu'il existe cependant le même problème avec les œuvres d'art classiques qui sont difficiles à estimer. »

Donation post-mortem : éviter les pertes ou les oublis

Si la donation du vivant d'un épargnant est peu risquée et assez facile à réaliser avec l'aide d'un notaire, les héritiers peuvent avoir beaucoup plus de mal à mettre la main sur les crypto-actifs de leur donateur si ce dernier n'a pas organisé sa succession avant son décès.

  • Le cas de la conservation sur une plateforme d'échange

Dans le cas où un donateur conserverait ses cryptos sur une plateforme d'échange, les héritiers peuvent se retrouver avec deux problèmes. Ces derniers pourraient ne pas avoir connaissance du compte ayant été ouvert par leur donateur. Traditionnellement, les notaires peuvent retrouver les comptes bancaires de leurs clients en cherchant dans le fichier des comptes bancaires (Ficoba) et le fichier des contrats d'assurance vie (Ficovie) pour rechercher une assurance-vie ouverte dans un établissement français. Mais à ce jour, aucun fichier ne répertorie les comptes de cryptomonnaies ouverts par des particuliers français. Attention donc à bien communiquer le nom du compte aux héritiers.

Une fois le compte retrouvé, « ça ne va pas être simple. Il peut y avoir des freins si on ne parvient pas à communiquer avec une plateforme ou si elle est basée à l'étranger et qu'elle ne reconnaît pas l'autorité du notaire. Le plus simple semble donc que les héritiers aient connaissance des codes qui permettent d'accéder au compte de leur donateur », conseille Mathieu Fontaine.

Un héritage organisé après la mort comporte aussi un autre risque. « S'il n'y a pas de testament, au décès du titulaire des cryptos, ces actifs feront partie de l'indivision successorale et relèveront des règles classiques de gestion d'une indivision », prévient le fiscaliste Frédéric Poilpré. Chaque héritier recevra donc une part égale du portefeuille, si ce dernier est retrouvé. Attention cependant, le transfert d'un portefeuille de cryptomonnaies d'un donateur vers ceux des héritiers peut être bloqué si l'un de ces derniers refuse le transfert ou s'il ne se manifeste pas.

  • Le cas de la conservation sur un "portefeuille décentralisé"

Dans le cas où un donateur possèderait ses cryptomonnaies sur un "portefeuille décentralisé", qui peut prendre l'apparence d'une clé USB qui permet d'envoyer et de recevoir des cryptos, la succession doit aussi être bien préparée.

En effet, si ce portefeuille (ou la phrase de récupération permettant d'y accéder) n'est pas trouvée par les héritiers, ils n'auront aucun moyen de mettre la main sur les cryptomonnaies de leur donateur. Alors, comment être sûr de transmettre ces objets?

« Le plus simple est que le donateur place une copie de la clé privée ou de la phrase de récupération, dans un coffre-fort chez lui, dans sa banque ou bien qu'il remette cette copie dans une enveloppe scellée à son notaire, en faisant ce qu'on appelle un testament mystique », recommande Cédric Pommier. Un notaire a en effet le droit de garder le support (clé ou phrase permettant d'accéder au portefeuille) car « le secret et la confidentialité sont préservés tant que l'enveloppe est cachetée est que l'on est sûr que personne n'a pu avoir accès au portefeuille », justifie le notaire d'Albertville.

Une fois le décès survenu, il suffira au notaire de transmettre la clé ou la phrase de récupération aux ayants droit pour que ces derniers se connectent au portefeuille de leur donateur et se partagent les cryptoactifs y étant stockés. « Un testament mystique est pour l'instant le meilleur moyen d'avoir une sécurité et une garantie sur la transmission de ses cryptomonnaies car le notaire gardera l'enveloppe dans un coffre-fort et le client bénéficiera d'une garantie notariale en cas de problème », estime Mathieu Fontaine. Une solution qui allie sécurité et qui empêche a priori de subir le blocage ou la perte de ses fonds en cas de faillite de sa plateforme d'échange, à l'image de celle que vient de subir FTX. Une solution qui n'est tout de même pas sans risque et qui pousse les notaires « à réfléchir à des innovations qui permettraient de pallier tous les problèmes de transmission que l'on rencontre aujourd'hui », conclut Mathieu Fontaine.

Maxime Heuze

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Commentaires 4
à écrit le 18/11/2022 à 7:51
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prochain article : comment bien transmettre ses emprunts russes ou ses actions du canal de panama ... le bitcoin n est qu une vaste fumisterie et ne vaudra plus rien dans 20 ans (quoique : les emprunts russes ont ete coté a la bourse de paris jusqu a...

à écrit le 18/11/2022 à 2:50
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Le bon vieux Pesos Or de 20 dollard. Ca c'est du concret. Vos cryptos, vous pouvez vous les carer.....

à écrit le 17/11/2022 à 15:26
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Très bon article avec des conseils pratiques. Toutefois il faut faire attention aux mots pour ne pas désorienter le lecteur. Dire qu'on peut "possèder ses cryptomonnaies sur un "portefeuille décentralisé" n'est pas exact. Les cryptomonnaies sont s...

à écrit le 17/11/2022 à 15:24
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Très bon article avec des conseils pratiques. Toutefois il faut faire attention aux mots pour ne pas désorienter le lecteur. Dire qu'on peut "possèder ses cryptomonnaies sur un "portefeuille décentralisé" n'est pas exact. Les cryptomonnaies sont s...

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