Armement : l'Argentine ira-t-elle jusqu'au clash avec la France ?

Par Michel Cabirol  |   |  876  mots
Après la Pologne et les hélicoptères, l'Argentine et les patrouilleurs? Buenos Aires pourrait annuler un contrat de 360 millions d'euros environ promis à Naval Group, qui propose de fabriquer quatre patrouilleurs de type L'Adroit.

Incroyable... Alors qu'un contrat de 360 millions d'euros environ portant sur la vente de quatre patrouilleurs de Naval Group était accepté par les deux parties et prêt à la signature  début septembre, l'Argentine hésite ces dernières semaines à le signer. Pourtant, Naval Group a déjà gagné fin 2016 la compétition lancée par l'Argentine au printemps de la même année. Le gouvernement argentin va-t-il tenir sa parole vis-à-vis de la France ou bien lancer un nouvel appel d'offres international comme il en est question?

Suspens mais la France et l'Argentine souhaiteraient trouver une solution pour sortir par le haut de ce dossier explosif. De nombreux échanges à haut niveau entre les deux pays (ministères de la Défense/Armées et Affaires étrangères) ont eu lieu ces dernières semaines pour éviter une crise entre les deux pays.

Gondan, un chantier qui vient de nulle part

Mais que s'est-il passé cet été pour en arriver à ce pataquès ? Un petit chantier naval espagnol Gondan, situé dans les Asturies (Nord de l'Espagne), aurait convaincu Federico Ramón Puerta, l'ambassadeur argentin en Espagne très controversé dans son pays mais réputé proche du président argentin Mauricio Macri, de faire mieux et moins cher (50 millions d'euros l'unité) que Naval Group. A partir de là le dossier de Naval Group, qui avait jusqu'ici été géré d'une main de maître, se grippe.

Plutôt connu pour fabriquer des petits patrouilleurs pour la Guardia Civil, Gondan proposerait à l'Argentine un projet d'un patrouilleur que le chantier espagnol n'a pas encore développé. Une proposition qui est bien loin de la qualité de celle de Naval Group, qui dispose déjà d'un bâtiment au design éprouvé, L'Adroit. Surtout la marine argentine souhaite embarquer sur des patrouilleurs de fabrication française. En outre, Gondan est un chantier privé, l'Argentine ayant pourtant exigé dans son appel d'offres des propositions de chantiers navals publics pour signer un contrat d'État à État.

Ce contrat aurait été également semble-t-il parasité par un dossier agricole. Les producteurs français et allemands de colza se sont alliés contre la réouverture du marché européen au biodiesel argentin et ont annoncé leur volonté de déposer une plainte auprès de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). Ce qui fâché Mauricio Macri, l'Argentine étant le troisième producteur mondial de biodiesel. Mais début septembre, l'Union européenne a annoncé sa volonté de baisser les taxes d'importation du biodiesel argentin, se conformant ainsi à une décision de l'OMC. Enfin, un autre dossier complique également les relations entre la France et l'Argentine. Buenos Aires avait promis de régler un contentieux financier avec Paris... Ce qui n'a pas été encore fait.

Un processus exemplaire jusqu'à cet été

Tout commence en mai 2016 quand l'Argentine lance un appel d'offres pour doter sa marine de quatre nouveaux patrouilleurs. En juin, Buenos Aires, qui souhaite un accord de gouvernement à gouvernement, sélectionne la France et le groupe public Naval Group dans le cadre de cette compétition. Fin 2016, le groupe naval tricolore gagne la compétition face à deux rivaux, l'espagnol Navantia et le chinois CSIC (China Shipbuilding Industry Corporation). Mauricio Macri donne aussi son accord. A partir de février-mars 2017, l'Argentine et la France négocient le contrat commercial, puis, en juin, la marine parvient à un accord avec Naval Group. Elle envoie le contrat au ministère de la Défense pour qu'il suive le processus administratif ad hoc.

Mais les premiers nuages pointent à l'horizon avec le changement du ministre de la Défense le 14 juillet et de ses équipes. Conséquence, le processus d'approbation du contrat est en toute logique fortement ralenti avec l'arrivée du nouveau ministre. En parallèle, la France et l'Argentine continuent de négocier le financement du projet jusqu'au mois d'août. Un accord est finalement trouvé dans les derniers jours d'août avec une offre de financement à 100% remboursable sur huit ans.  Dès lors, le contrat est prêt à la signature début septembre. Ce résultat est le fruit d'un très bon travail de la fameuse équipe de France (État, industriels, banques).

L'Argentine ira-t-elle jusqu'au clash?

Mais contre toute attente plus rien ne se passe. Les Français s'étonnent de ce silence auprès des Argentins. Ces derniers reconnaissent bien volontiers la victoire de Naval Group mais disent étudier en parallèle une offre moins chère et mieux-disante sur le plan opérationnel de Gondan. Et très vite, les Argentins mettent la pression sur la France en leur expliquant que si la France et l'Argentine ne parviennent pas à signer, Buenos Aires serait obligé de lancer un nouvel appel d'offres. Ce qui pourrait tendre singulièrement les relations entre l'Argentine et la France, qui estime le dessous de ce revirement "pas très clair".

En France, on estime que si l'Argentine lançait un nouvel appel d'offres, ce serait considéré comme une rupture unilatérale ouvrant la voie à des éventuels dédommagements. D'autant que Gondan n'était pas éligible dans le cadre de l'appel d'offres lancé en 2016. La balle est aujourd'hui dans le camp des Argentins, qui hésitent encore à se fâcher contre la France. Buenos Aires va-t-il finalement gifler Paris?