Que pensent les entreprises du capitalisme coopératif ?

Par Fabien Piliu  |   |  1200  mots
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Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, souhaite développer le capitalisme coopératif au sein duquel les intérêts des investisseurs privés et des salariés se mêleraient. L'idée séduit plutôt les chefs d'entreprises interrogés par La Tribune, sous certaines conditions.

Relativement absent de la scène médiatique parisienne durant la campagne présidentielle, Arnaud Montebourg a en revanche été très présent dans les territoires, venant au chevet des entreprises en difficultés. Les salariés de Delbard, de Lejaby, de Fournier ont notamment eu la visite du député et président socialiste de Saône-et-Loire qui s'est vu confié la fonction de ministre en charge du Redressement productif par Jean-Marc Ayrault.

La tâche ne sera pas facile. Pour permettre au tissu économique tricolore, et en particulier à l'industrie de redécoller, Arnaud Montebourg compte notamment sur le développement du capitalisme coopératif, un capitalisme dont il a longuement vanté les mérites et expliqué le fonctionnement sur son site Internet et dans ses derniers ouvrages, « Votez pour la démondialisation » et « Antimanuel de politique ».

« Le moment est venu d'imaginer à grande échelle, à partir de notre préférence pour l'humain, une nouvelle organisation économique, aux fondements, règles et buts différents : le capitalisme coopératif. Une entreprise coopérative est un assemblage efficace de capitalistes et de travailleurs poursuivant des buts économiques, sociaux et éducatifs communs, par le moyen d'une entreprise dont le fonctionnement est démocratique et la propriété collective. Les capitalistes y sont travailleurs et non rentiers ou financiers, et les travailleurs y sont capitalistes, car ils capitalisent le fruit de leur travail », explique Arnaud Montebourg sur son site Internet. Et d'égrener la réalité que recouvre ce capitalisme d'un autre genre.
 

Candia, Douce France... sont des coopératives

« Qui sait qu'aujourd'hui 2.246.000 de salariés français sont concernés par ce modèle alternatif ? Prenons des exemples. Le monde coopératif agricole français pèse aujourd'hui 80 milliards d'euros et emploie 150.000 salariés. Candia, Douce France, Prince de Bretagne ou Savéol sont des coopératives. Mais le monde coopératif n'est pas qu'agricole. Le groupe Chèque Déjeuner, groupe international au demeurant, est un modèle du genre. 9,1% de nos entreprises sont coopératives, soit plus de 215.000 établissements auxquels il faut ajouter 182.000 associations, 23.900 coopératives, hors agriculture, 7.180 mutuelles. Le modèle coopératif est une manière de répondre à nos maux », poursuit-il.
En clair, il s'agit de desserrer le rôle et la pression de l'intermédiation du crédit bancaire qui représente la principale voie de financement en France, en raison de la faiblesse de l'autofinancement et de l'insuffisant développement du capital-risque et du capital développement.
 

Qu'en pensent les chefs d'entreprises interrogés par la Tribune ? Ils y sont plutôt favorables, mais sous certaines conditions. « Ouvrir le capital aux salariés et à une partie des dirigeants est une idée intéressante pour fidéliser et motiver. Les investisseurs externes qui s'intéressent à notre entreprise y sont très favorables », indique Pascal Guasp, fondateur et président de L'eau pure, une PME spécialisée dans le traitement de l'eau actuellement en pleine levée de fonds. « C'est un moyen efficace d'apporter de l'argent frais à l'entreprise tout en desserrant l'étau de la finance et en particulier des assureurs crédits », complète Jean-Thomas Olano, le président d'O2i, une SSII francilienne.

L'adhésion des salariés est-elle évidente ? 

« En revanche, bien que l'idée soit très intéressante, distribuer gratuitement ou non une partie du capital à l'ensemble des salariés n'est pas évident. La fiscalité, le cadre légal sont bien trop changeants. Actuellement, le risque est grand qu'une telle man?uvre entraîne des pénalités sur le plan fiscal », regrette Pascal Guasp."C'est la raison pour laquelle les salariés entrepreneurs qui souhaitent prendre des risques en investissant dans leur entreprise doivent être incités fiscalement", suggère Grégoire Sentilhes, le président de Nextstage, une société de gestion de fonds de capital investissement.

« Par ailleurs, rien ne garantit que les salariés aient réellement envie et les moyens de placer une partie de leur épargne personnelle dans leur entreprise. Lorsque nous nous sommes introduit en Bourse sur Alternext en 2005, une bonne partie des salariés ne souhaitait pas acheter des actions, malgré un prix très avantageux, 50% en dessous de sa valeur lors de l'introduction », se rappelle Jean-Thomas Olano.

« L'idée peut paraître séduisante. Mais, pour qu'elle fonctionne, plusieurs conditions doivent être requises : d'une part, l'entreprise doit être en difficultés, voire en situation de redressement. Ce n'est que dans ce genre de situation que les équipes se soudent et font fi des rivalités, des conflits personnels qui minent souvent les entreprises. C'est la raison pour laquelle j'estime qu'il n'est pas possible de créer une entreprise ex nihilo de cette façon », explique Jean-Claude Lafrasse, un ancien banquier aujourd'hui à la tête du groupe HTI spécialisée dans la fabrication et la location d'outillage industriel.

Savoir décider, trancher

« D'autre part, il faut qu'y ait un chef parmi les salariés qui puisse décider, trancher lorsqu'une décision doit être prise. Sinon, ils ne produisent plus et passent leur temps à discuter des options possibles. En outre, les salariés doivent avoir une bonne culture économique pour appréhender les innombrables contraintes de l'entreprises et donc pour pouvoir s'y adapter. Enfin, le succès de cette formule dépend énormément de leur attachement personnel à l'entreprise et de l'énergie qu'ils sont prêts à déployer pour qu'elle survive. Si, en tant que salariés-investisseurs, ils ne pensent plus qu'à valoriser leur patrimoine, à réfléchir aux différents possibilités de sorties du capital de l'entreprise, ce capitalisme coopératif n'a pas beaucoup de chances de succès », poursuit Jean-Claude Lafrasse.

Le développement de ce capitalisme coopératif ne pourra pas être la clé universelle. Selon Eric Kayser, dont les enseignes de boulangerie fleurissent aux quatre coins du monde, cette question est presque accessoire. Il estime plus urgent de réformer la fiscalité et de simplifier l'environnement administratif des entreprises - moins de contrôles, moins de paperasseries -, comme s'y est engagé François Hollande, avant de repenser le capitalisme.

Un avis que partage Daniel Karyotis, le président du directoire de la banque Palatine. "C'est une idée intéressante qu'il faut creuser car elle peut réconcilier les Français avec les entreprises et, au cas par cas, permettre à des sociétés de survivre. Mais il faut préalablement résoudre la question de la nature des liquidités engagées et élaborer un corpus fiscal et réglementaire efficace. En revanche, elle ne peut être l'alpha et l'omega d'une politique industrielle. Ce n'est pas de cette façon que l'on pourra favoriser l'éclosion de nouvelles ETI en France", affirme-t-il. "Il faut pousser l'idée jusqu'au  bout. si l'on veut éviter une crise du capital développement, causée par l'application des normes comptables Bâle III et Solvency 2, Arnaud Montebourg ne doit pas seulement se pencher sur le fléchage de l'épargne des salariés vers leur entreprise, mais de celui de l'ensemble des Français, considérable, vers les PME. C'est la seule façon de créer des emplois dans nos territoires", poursuit Grégoire Sentilhes.