Montebourg : le ministre du Redressement productif sur tous les fronts de l'été

Par Fabien Piliu  |   |  1403  mots
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Il fut le héraut de la démondialisation lors des primaires socialistes. Pendant la campagne présidentielle, délaissant les plateaux de télé pour les ateliers, Arnaud Montebourg s'est posé en héros auprès des salariés des entreprises qui n'avaient pas attendu le résultat du second tour pour avouer leurs difficultés. « Je fais le tour de France de la désolation. Avec François Hollande, on a décidé de mettre les mains dans le cambouis des problématiques économiques. Sur chaque dossier, nous devons faire ce que nous avons fait pour Lejaby, période électorale ou non. Notre stratégie est de trouver des projets durables », avait-il déclaré devant les salariés du pépiniériste Delbard à Malicorne, dans l'Allier.

Au printemps, la tâche était assez simple pour le troisième homme des primaires socialistes. Porter la bonne parole du candidat Hollande n'engageait finalement à pas grand-chose. Les temps ont changé. Pour services rendus, le député et président du conseil général de Saône-et-Loire a accepté de prendre la tête du ministère du redressement productif.la tâche est ardue. Alors que les estimations évoluent chaque jour dans un comptage morbide, on évalue à environ 60 000 les emplois menacés dans l'industrie et les services. En effet, il n'y a pas que les chaînes de montage de PSA d'Aulnay qui sont en péril. Menacés par les délocalisations vers les pays où le coût de la main-d'?uvre est moins élevé, de nombreux centres d'appels téléphoniques pourraient bientôt fermer leurs portes.
Malheureusement, au regard des résultats des récentes statistiques - l'Insee a constaté une chute de 1,9 % de la production industrielle en mai - rien ne laisse présager un essoufflement prochain des auditions dans les tribunaux de commerce. Le nombre de défaillances devrait tutoyer le record observé en 2009, à 65 900. L'industrie, qui emploie encore 3,5 millions de personnes, a perdu 20 % de ses effectifs depuis 2000.
Dès son arrivée à Bercy, Arnaud Montebourg s'est saisi des dossiers en cours : le volailler Doux, le sidérurgiste ArcelorMittal, la raffinerie LyondellBasell ont, entre autres, eu la visite du ministre du redressement productif. Depuis, les incendies se propagent aux quatre coins de la France, donnant raison aux Cassandre qui avaient prédit une explosion postélectorale des plans sociaux. tous les secteurs sont concernés par des restructurations ou, plus grave, par des fermetures de sites : l'agroalimentaire (Fralib, Belvédère, Germanaud...), l'automobile (General Motors, Sealynx, MBF Technologies, Honeywell, Prevent Glass, Delphi...), la banque et les assurances (BNP Paribas, Crédit Agricole BFI, Cofinoga, société générale), la construction (Xilofrance, Lafarge), le commerce et la distribution (Auchan, Surcouf, Leader Price, boulanger, Caddie, Fnac...), l'énergie et la chimie (EON France, Petroplus...), l'électronique (Hewlett-packard, siemens, thalès electron Devices, Thalès services), la métallurgie (Arcelormittal, Rio Tinto)... la liste est longue. Toutes les tailles d'entreprises sont également concernées : des PME (Sodimedical, Meryl Fiber, Delbard...), des ETI (Coop Alsace, Coop Atlantique...) et des grands groupes (Carrefour, Astra Zeneca, Air France, PSA, SNCM, SNCF, Bouygues Telecom, SFR...) ont engagé des plans de licenciements.
Alors, essayant en quelque sorte de sauver ce qui peut encore l'être, Arnaud Montebourg fait feu de tout bois. Outre les visites dans les usines, il multiplie les interventions institutionnelles. Lors de la première journée de la conférence sociale le 9 juillet, quand Michel Sapin, le ministre du travail, resta muet à la fin de la journée pour ne pas entraver le dialogue social, il fut l'un des rares ministres à prendre la parole pour clôturer les débats, évoquant sans détour sa vision personnelle du sujet et les intérêts en jeu. Le 11 juillet, il a clôturé la Conférence nationale de l'industrie, qui avait pour objectif de faire un état des lieux du secteur manufacturier et d'esquisser une feuille de route des missions à mener rapidement à bien. le 25, c'est un plan automobile ambitieux qu'il présentera.sa méthode ? Difficile de cerner le personnage. Ses interlocuteurs le décrivent comme quelqu'un de très à l'écoute, avide de comprendre les dossiers pour mieux agir.

INFOGRAPHIE : la carte des alertes sur l'emploi en France

Sa méthode : le cas par cas

« La démondialisation, c'est du passé. On ne reconnaît pas le Montebourg qui s'excitait contre la concurrence déloyale des émergents. Il est en train de se convertir à certaines vertus du libéralisme. Il en surprendra plus d'un », explique un de ses interlocuteurs issu du monde patronal. « Il est compliqué. Il est en train de se couper en deux, tiraillé par ses convictions idéologiques et par sa découverte du monde des entreprises, qu'il ne connaît pas si bien », nuance un autre.
C'est en raison de cette dichotomie qu'Arnaud Montebourg réussit la performance d'être à la fois jacobin et girondin, comme l'illustre la nomination de 22 commissaires au redressement productif dans les régions de France. Bras armés du ministre dans les territoires, ces hauts fonctionnaires directement placés auprès des préfets de région devront soutenir les entreprises de moins de 400 salariés. Au cas par cas, la négociation - avec les dirigeants, les actionnaires, les sous-traitants, les partenaires commerciaux, les banques, les médiateurs du crédit et des relations interentreprises, les organisations patronales et syndicales, les collectivités locales - sera le préalable.
« Vous devez passer des coups de fil, vous rendre sur place, discuter, dialoguer, évaluer les possibilités de sortie par le haut de l'entreprise. Mais si l'une des parties prenantes ne joue pas l'union sacrée pour sauvegarder l'activité et l'emploi, vous devrez nous appeler à Bercy pour que l'on vous aide à tordre le bras à untel qui mettrait la sauvegarde de l'entreprise en péril », a expliqué le ministre lors de la présentation de cette équipe, maniant tour à tour la carotte et le bâton. Les commissaires animeront aussi une cellule régionale de veille et d'alerte précoce. « C'est en partie sur elle que repose l'avenir industriel de la France. Vous avez tous les pouvoirs pour agir, même celui d'injonction. Chaque emploi sauvé, chaque emploi soustrait à la destruction, est une victoire » martelait le ministre.
En acceptant de prendre en charge le ministère du redressement productif, Arnaud Montebourg prend le risque de passer pour celui qui défend la France d'avant, un made in France devenu désuet mais qui ne veut pas disparaître, jetant Joseph Schumpeter et sa théorie de la destruction créatrice dans les oubliettes de l'histoire économique.

Redressement ou renouveau ?

C'est la raison pour laquelle il s'est battu - sans succès - pour que l'intitulé un rien anxiogène de son ministère soit modifié en « renouveau » productif. Évidemment, le ministre ne se contentera pas de redresser les entreprises. La conférence nationale de l'industrie, le plan automobile et le plan pme qui sera présenté cet automne devront relancer la compétitivité de l'industrie tricolore.sur le plan personnel, Arnaud Montebourg joue donc gros. Très gros. S'il mène sa mission à bien, c'est-à-dire si la part de l'industrie dans la production de richesses remonte, si l'emploi dans les usines repart, il ne se contentera plus de se poser en héros. S'il échoue, son avenir politique sera forcément mis entre parenthèses pendant une période indéfinie, parce qu'il n'a pas que des amis au parti socialiste. Des mauvaises langues laissent courir la rumeur selon laquelle, rue de Solférino, certains se seraient frottés les mains après qu'Arnaud Montebourg eut accepté cette mission, convaincus que celle-ci était impossible. tant pis pour les salariés, les chefs d'entreprises, les bassins d'emplois en souffrance. Ce serait toujours un rival - très ambitieux - de moins lors des prochaines échéances électorales...

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Avec qui travaille Arnaud Montebourg ?

CHRISTOPHE BEJACH
Christophe Bejach est le conseiller à l'imagination industrielle. Il sort d'HEC et a été capable de monter une société comme L'Avion et de la vendre à British Airways pour 68 jolis millions d'euros, et de monter des fonds de placement parmi les plus rentables du marché. Tout sauf un antimondialisation. Comme tout bon strauss-kahnien qu'il fut, il est adepte des solutions qui marchent plutôt que des usines à gaz intellectuelles.
KARINE BERGER
Karine Berger a la particularité d'être amie avec Pierre Moscovici comme avec Arnaud Montebourg. Mais surtout, la députée des Hautes-Alpes est une économiste brillante qui, avec Valérie Rabaud, a écrit l'année dernière Les Trente Glorieuses sont devant nous, véritable boîte à idées et boîte à outils pour le ministère du Redressement productif. Tout n'est pas dedans, mais presque...

STEPHANE ISRAEL
Stéphane Israël, énarque, normalien et agrégé, ne s'attendait pas forcément à devenir le directeur de cabinet de Montebourg. Formé à l'école EADS, proche de Laurent Fabius et de Louis Gallois, il croit avant tout au couple francoallemand. Dit autrement : rien ne sert d'identifier les créneaux industriels d'avenir si les Allemands n'identifient pas les mêmes et si les deux pays ne travaillent pas ensemble.