A Shanghai, dans un taxi Volvo, avec Erik Izraelewicz

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  481  mots
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Erik Izraelewicz, directeur du Monde et ancien directeur de la rédaction de La Tribune, est décédé mardi soir d'une crise cardiaque. Je l'avais rencontré il y a vingt-deux ans, à Shanghai.

C'était il y a vingt-deux ans, en Chine. Nous dévalions dans un taxi Volvo les rues encore peu fréquentées de la nuit de Shanghaï. L'accident menaçait à chaque feu rouge brûlé sans le moindre doute par un chauffeur très habile, mais assurément dingo. Entassés sur la banquette arrière, nous étions terrifiés, nos éclats de rire ayant du mal à masquer la certitude que tout cela allait mal finir. Erik Izraelewicz n'en pensait certes pas moins, mais se contentait de sourire, ce qui était déjà pour lui la marque d'une profonde émotion.
Ma première rencontre avec Erik, donc. Il était à l'époque journaliste au Monde, j'écrivais moi dans une Tribune encore toute jeune. Il devait quitter Le Monde quelques années plus tard pour finalement revenir le diriger. Ce que j'ai fait, moi aussi, certes beaucoup plus modestement, avec La Tribune. Là s'arrête la similitude de nos histoires. Erik s'est passionné pour la Chine, y est revenu, je n'y ai malheureusement jamais remis les pieds.
Ce voyage avait été pour nous tous très déstabilisant. C'était le premier déplacement en terre chinoise d'une délégation française après le massacre de la place Tien an Men. François Périgot, président du CNPF, devenu depuis le Medef, la conduisait. Ses approximations, son amateurisme, nous avait amusés. Et agacé les industriels français installés depuis longtemps sur place. Les autorités nous avaient vanté la future ville nouvelle de Pudong, de l'autre coté du fleuve, où devait pousser une forêt de gratte-ciel. Sceptiques nous étions, un rien méprisants, même. On connaît la suite...
En réalité, nous n'avions pas bien compris ce qu'il était en train de se passer. L'escale de retour dans la vibrionnante Hong Kong aurait dû pourtant nous alerter.
Je me souviens de la réaction d'Izra (oui, on l'appelait Izra) lorsque je lui avais annoncé avoir envoyé un papier au journal pour publication le lendemain. Un « Ah bon » légèrement traînant, à peine étonné. Même si au « Monde », on s'estime parfois affranchi des contingences de la compétition, parce qu'après tout c'est « Le Monde » , il semblait s'être dit que peut-être aurait-il dû...Mais surtout ne rien montrer.
Il était comme ça, Izra. Nous n'avons jamais travaillé ensemble, nos tempéraments n'auraient probablement pas collé. Beaucoup disaient sa personnalité complexe, histoire de dire qu'il était difficile. Qui ne l'est pas dans notre métier ? Ou plutôt qui ne peut pas l'être? 

On se croisait de temps en temps. Chaque fois ou presque, nous reparlions de cette virée chinoise. « Ah oui, oui, c'était incroyable », osait-il. Un voyage qui nous avait un peu plus appris (de) notre métier. Je ne regrette pas de l'avoir fait avec Izra.