L'unicité du Smic remise en cause par des économistes

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  835  mots
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Alors que le Smic va automatiquement progresser (faiblement) le 1er janvier prochain, le rapport du groupe d'économistes chargés d'éclairer les pouvoirs publics sur la revalorisation du salaire minimum prône une grande prudence. Il préconise de modifier les paramètres servant à l'indexation du Smic. Et, allant plus loin, il s'interroge sur le besoin de maintenir un Smic unique pour tous, suggérant, plutôt, de le différencier selon l'age des salariés et les régions géographiques.

Le 1er janvier prochain, comme à l'accoutumée, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) sera automatiquement revalorisé en fonction de l'inflation constatée et de la croissance du pouvoir d'achat ouvrier mesurée par le salaire horaire de base ouvrier (SHBO). Il en est ainsi depuis 1970, année de la création du Smic qui succédait au Smig (avec un «g» comme garanti). Or, depuis la loi du 3 décembre 2008, un groupe d'experts indépendants est chargé d'éclairer les partenaires sociaux et les pouvoirs publics sur la revalorisation annuelle du Smic et ses conséquences. Ce groupe vient de rendre son dernier rapport. Et il suggère une grande prudence - c'est-à-dire aucun coup de pouce - s'agissant de la prochaine revalorisation qui, de toute façon, sera limitée puisque l'augmentation de 2% accordée le 1er juillet 2012 devait servir «d'à valoir» pour la suivante...
Dans ses conclusions, le rapport reprend l'intégralité des conclusions tirées des travaux récemment publiés (www.sciencespo.fr/liepp) par deux économistes, Gilbert Cette (Banque de France et université Aix-Marseille) et Etienne Wasmer (Sciences-Po Paris)... justement tous les deux membres du comité d'experts sur le Smic. Plusieurs pistes sont avancées pour parvenir à une modernisation des règles de revalorisation du salaire minimum... Et à sa moindre progression.

Changer les critères de ravalorisation

Ainsi, selon le rapport, la référence au salaire horaire de base des ouvriers (SHBO) devient désuète car la proportion de la population ouvrière s'est singulièrement réduite dans le temps. De même, «une circularité peut apparaître entre les revalorisations du Smic et ses déterminants». En d'autres termes, dans une sorte de cercle vicieux, les revalorisations du Smic peuvent elles-mêmes affecter les deux composantes automatiques de sa revalorisation, les prix et le SHBO en les faisant grimper... ce qui entraînera une nouvelle progression du Smic... Et ainsi de suite, d'où un effet de circularité. Aussi, le rapport préconise de remplacer la référence au SHBO par celle au Salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE) qui concerne l'ensemble des salariés hors cadres et professions intermédiaire. Selon le rapport, ce passage au SHBOE aurait pour mérite de faire reposer l'évolution du Smic sur une base salariale plus large tout en ne divergeant pas d'une nécessaire référence à la productivité des travailleurs les moins qualifiés. En outre, cet élargissement permettrait de réduire les risques de circularité entre le Smic et le salaire de référence retenu pour sa revalorisation. Le même raisonnement prévaut s'agissant de l'autre indicateur : les prix. Les experts plaident, là aussi, pour un élargissement de la référence en passant de l'actuel indice «des ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé, tabac exclu» à un indice plus large. Par exemple, l'indice des prix à la consommation «de l'ensemble des ménages, toujours tabac exclu».

Tenir compte du PIB, une fausse bonne piste

En revanche, le rapport se montre très sceptique face à l'idée de François Hollande -d'ailleurs nettement moins mise en avant, vu l'état de la croissance- de mieux prendre en compte la progression du PIB pour déterminer la hausse du Smic. Selon les experts, «l'évolution du PIB est en effet sujette à des révisons périodiques (...), ces écarts peuvent être négatifs sur certaines périodes, positifs sur d'autres périodes».

Remise en compte de l'homogénéité du Smic

Enfin, le rapport préconise, sur le plus long terme, de s'interroger sur les points suivants:

- l'homogénéité géographique du SMIC, alors que les niveaux de prix diffèrent fortement entre régions
- l'homogénéité du SMIC selon l'âge, alors que l'insertion sur le marché du travail des moins de 25 ans est difficile
- le principe même d'une revalorisation automatique ou au moins d'une revalorisation automatique dépassant le simple maintien du pouvoir d'achat du salaire minimum. En effet, d'autres pays ont fait le choix d'une revalorisation du salaire minimum par les pouvoirs publics, soit de façon totalement discrétionnaire soit s'appuyant sur les recommandations d'une commission d'experts indépendants, cette dernière option permettant d'éviter la politisation d'enjeux qui sont d'abord économiques.
- le fait que le SMIC n'est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les bas revenus. Les effets préjudiciables sur l'emploi d'un SMIC élevé sont, au moins en partie, neutralisés par d'importants allègements de cotisations sociales. Le coût de ces allègements pour les finances publiques limite de fait les ressources disponibles pour mener des politiques de revenus ciblées et efficaces pour lutter contre la pauvreté, comme le RSA qui tient compte du revenu et des situations familiales ».

Si ces recommandations devaient un jour prendre forme, alors le principe même d'un Smic unique aurait vécu. A l'avenir, il y aurait des Smic(s)....