Une monnaie locale et complémentaire, c'est quoi ?

Par Adeline Raynal  |   |  949  mots
Des billets de la monnaie locale de Villeneuve-sur-Lot, l'abeille.Copyright Christophe Ducamp/ Flickr CC
On en entend régulièrement parler, mais que se cache-t-il derrière cette formule générique ? Sont-elles des concurrentes de l'euro ? Dans quel but circulent-elles ? Quel intérêt revêtent-elles ? La Tribune vous propose un point pratique sur ces monnaies complémentaires qui incarnent les valeurs de tout un pan de l'économie sociale et solidaire.

? Quel est le principe ?

Créer une monnaie pour une zone géographique limitée, qui fonctionne en complément de la monnaie nationale, pour défendre des principes liés à l'économie sociale et solidaire. Elle n'a pas cours légal et ne peut faire l'objet de spéculation. Son but principal ? Dynamiser l'économie locale. Certaines d'entre elles, comme le chiemgauer en Allemagne ou le sol Violette à Toulouse, sont des monnaies fondantes. Elles perdent peu à peu de leur valeur au fil des mois.

Le concept de monnaie fondante vient d'un économiste du début du XXème siècle, Silvio Gesell, et a été appliqué pour la première fois à la monnaie locale de Wörgl (en Autriche) pendant la Grande Dépression des années 1930. Garder de la monnaie coûte de l'argent. Ainsi, les échanges sont accélérés, et c'est là l'un des intérêts de la monnaie locale. "On estime qu'un euro est échangé 2,4 fois en moyenne entre deux passage par la banque. Pour une monnaie solidaire comme le Sol Violette, c'est plutôt 6 fois !" explique Philippe Charbois, responsable administratif du Crédit Coopératif de Toulouse, l'institution bancaire qui soutient le projet. Ce qu'il décrit, c'est ce qu'on appelle l'indice de circulation de la monnaie. Une devise complémentaire, locale, circule beaucoup plus vite ! Et c'est ainsi que les échanges locaux sont ravivés, donnant alors un coup de fouet à l'économie locale. Soutenir l'emploi local et éviter les délocalisations est un bénéfice indirect attendu en lien avec la mise en place d'une monnaie complémentaire.

? Quel est l'intérêt d'un tel projet ?

Outre dynamiser l'économie locale, les différents projets comportent souvent des spécificités, et ont ainsi des intérêts complémentaires divers. Certaines sont très territorialisées, et favorisent particulièrement le lien social. C'est par exemple le cas de la mesure à Roman. D'autres visent à promouvoir un autre type de consommation (pour protéger les ressources naturelles notamment). Cela semble l'orientation privilégiéepar la région PACA.

D'autres encore, entendent favoriser le fonds de roulement des entreprises, consolider leurs finances : celle en projet au sein de l'APEAS, en PACA. L'idée est de créer ue monnaie qui puisse s'utiliser à la fois en B to B et en B to C. Enfin, il existe des monnaies complémentaires à vocation sociale. Dans cette idée, la mairie de Toulouse distribue une petite partie des prestations sociales en sol Violette. Une monnaie sociale donne accès à plus de biens et oriente vers un autre type de consommation.

"Le but d'une monnaie complémentaire c'est avant tout de sensibiliser à des valeurs par le biais d'un outil d'échange que tout le monde utilise: la monnaie. Il s'agit de déclencher une prise de conscience de l'importance des échanges locaux, promouvoir une certaine éthique. Je crois surtout qu'il peut y avoir un impact en termes de transformation des valeurs et des habitudes" explique Jérôme Blanc, enseignant-chercheur à l'université Lyon 2, et spécialiste des monnaies locales.

? Quel impact sur l'économie à l'échelle d'un pays ?

L'impact global des monnaies complémentaires est à nuancer. Bien que bon pour l'économie locale, le système semble ne pouvoir avoir qu'un impact limité sur l'activité économique globale. "A l'exception notable de l'Argentine, nulle part les monnaies sociales n'ont acquis de taille significative par rapport à l'activité économique et sociale nationale" jugeait en 2006 Jérôme Blanc. "D'un point de vue macroéconomique, l'impact d'une monnaie locale est limité, vu l'ampleur du territoire concerné" explique aujourd'hui ce chercheur. Il n'en reste pas moins que l' "impact économique positif demeure car il y a un accroissement des échanges, un dynamisme favorable à l'emploi" nuance-t-il aujourd'hui.

"Le sol est d'abord un projet démocratique, un outil d'éducation populaire qui vise à inciter les gens à se réapproprier leur argent, en leur faisant comprendre que la monnaie est un objet politique" confiait en mars 2012 à Télérama Frédéric Bosqué, à l'origine de la monnaie locale toulousaine.

? Quel cadre légal doivent-elles respecter ?

Le cadre légal qui s'applique à une monnaie locale est le Code monétaire et financier. La légalité du dispositif tient du fait qu' "on ne créé pas de monnaie, on ne fait que substituer des euros au système de façon momentané" indique Dante Edne-Sanjurjo, responsable de la monnaie basque. Il ne peut donc y avoir d'effet sur le cours de la monnaie nationale de référence.

? Depuis quand existent-elles ?

A travers l'historique, on s'aperçoit que les monnaies locales rencontrent particulièrement le succès en période de crise économique. Mais les contextes restent différents entre les initiatives des années 1930 et celles apparues en France depuis les années 1990. Pour faire face à un contexte macroéconomique particulièrement dégradé, la création d'une devise locale complémentaire permet à l'économie réelle locale de continuer à fonctionner, et donc aux habitants de répondre à leurs besoins les plus primaires : manger, se vêtir, se loger, se déplacer, se chauffer...

Le concept de monnaie locale daterait du XIXème siècle, il a aussi été appliqué à Wörgl pendant la Grande Dépression (où la monnaie solidaire circulait alors 13 fois plus vite que le shilling et servit de catalyseur à l'économie locale). L'Argentine a massivement appliqué un concept similaire suite à la grave crise économique qu'à connu le pays au tout début des années 2000. Aujourd'hui, des monnaies alternatives commencent à se développer en Grèce. En revanche, celles qui se développent en France répondent davantage à des considérations idéologiques, d'après Jérôme Blanc.