Ena bashing

Par Garance Cherubini  |   |  524  mots
Copyright Reuters (Crédits : <i>Photo Wikipédia</i>)
Dans un article publié dans le Financial Times, le journaliste Simon Kuper s'en prend aux élites françaises. Il leur reproche d'êtres trop fermées et de ne pas former des dirigeants capables de réussir à l'extérieur de leur groupe.

Les élites françaises ont mauvaise presse, surtout à l'étranger, en particulier les "énarques", épinglés par le quotidien britannique financier, le Financial Times (FT), dans son édition du 12 mai. Ces énarques sont souvent qualifiés de « self-centered » - comprenez « replié sur soi ». Cette presse étrangère n'a d'ailleurs pas tout à fait tort.

Créée en 1946 par l'ancien secrétaire général du Parti communiste français devenu ministre, Maurice Thorez, l'ENA, l'Ecole Nationale d'Administration, est le fruit d'un projet du général de Gaulle. Cette structure, chargée de former les hauts fonctionnaires de la nouvelle république, nourrissait tous les espoirs de voir naître une nouvelle « caste » puissante, qui fournirait les cerveaux du pays.

Mais cela ne s'est pas passé comme prévu pour l'élite protégée de Thorez. Son développement n'a pas abouti au rayonnement mondial qu'on aurait voulu lui attribuer. Cette classe qui se voulait ouverte à des personnes issues de tous milieux sociaux confondus, sous prétexte de la méritocratie, n'est en réalité qu'une élite fermée qui s'auto-reproduit. Les nouveaux membres ne sont autres que les enfants des diplômés de la génération précédente, et ainsi de suite. En l'espace de quelques années, les futurs membres de la classe dirigeante du pays se connaissaient déjà tous. Comme le soulignent avec une pointe d'ironie les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, ils passent de «camarades de classe à compagnons de caste ».

En grandissant, les membres de cette caste ne se séparent pas. Quotidiennement, ils continuent à se côtoyer. Tout d'abord, pour la simple et bonne raison qu'ils habitent les mêmes arrondissements mondains de Paris. Leurs enfants fréquentent les mêmes écoles prestigieuses, ils sont invités aux mêmes dîners et se rendent aux mêmes vernissages. Mais plus encore, ils sont liés par ce que Simon Kuper qui signe l'article dans le FT appelle la « solidarité de classe ». Cette caractéristique est spécifique à l'élite française : c'est la seule classe où les membres font démonstration d'autant de soutien et de partage entre eux.

Ce système de cercle fermé empêche tout renouvellement et rend l'intégration d'une tierce personne quasi impossible. Et ceci peut être dangereux, dans la mesure où l'opacité de ses frontières freine l'apparition de nouvelles idées et peut vite emmener à une « pensée unique ». Cet isolement ne laisse que peu de place à de nouveaux courants ou nouvelles pratiques. Ainsi les institutions, les codes n'évoluent pas ou peu et ne s'adaptent pas à la société.

Confinés dans leur monde restreint, loin des réalités, les membres de la caste ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ceci mène à un manque d'expérience face au monde extérieur. « Les énarques n'ont pas été entraînés à réussir dans le monde mais dans le centre de Paris », ironise ainsi Simon Kuper. Et lorsqu'il s'agit de mettre un pied dehors, loin de leurs habitudes et séparés de leurs pairs, ils perdent pied.