Taxation de l’épargne : Bercy recule sauf sur l’assurance-vie

Par latribune.fr  |   |  1518  mots
Pierre Moscovici / Reuters
Face à la fronde des épargnants, qui a fait douter les députés socialistes qui avaient pourtant voté la taxation de l’épargne longue au taux actuel de prélèvement social de 15,5%, Hollande fait marche arrière sur certains produits. Selon Bernard Cazeneuve, le ministre du Budget, les PEA, PEL et l’épargne salariale ne seront pas concernés. Seule les contrats d’assurance-vie en unité de compte y seront soumis, dans l’attente d’une réforme plus profonde du produit d’épargne préféré des Français. Les associations d’épargnants demandent au gouvernement que l’assurance-vie fasse l’objet d’un moratoire fiscal.

Nouveau rebondissement dans la chronique de la « pause » fiscale annoncée fin août par François Hollande. Après avoir publié vendredi soir un long communiqué défendant la "justice" de cette mesure de "solidarité", le gouvernement a fait marche arrière toute au cours du week-end sur la taxation jugée rétroactive des produits d'épargne longue au taux actuel des prélèvements sociaux, soit 15,5%.

Devant la fronde des associations d'épargnants et le doute des députés socalistes, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a demandé samedi à Bercy de revoir la copie pour les PEL et les CEL, soit l'épargne logement, et l'épargne salariale. Puis, dans le Journal du Dimanche, face à la volte-face des députés socialistes, notamment de Gérard Bapt, le rapporteur socialiste de la commission des affaires sociales, qui avaient pourtant voté la mesure la semaine dernière dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, Bernard Cazeneuve, le ministre du Budget, a annoncé un recul encore plus important.

"Nous avons décidé d'amender le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour sortir les PEL, les PEA et l'épargne salariale de la mesure pour épargner les patrimoines moyens et modestes", a déclaré le ministre dans un entretien au Journal du dimanche (JDD).

"Seule l'assurance-vie demeurera donc concernée, sachant que la plupart des petits contrats sont en euros et donc exclus de la mesure" (qui ne concerne que les contrats en unités de compte), a expliqué le ministre, après plusieurs jours de bronca.

"Nous entendons donc les inquiétudes et nous voulons, en lien avec la majorité, y mettre un terme. La droite veut semer la peur. Nous, nous voulons l'apaisement et la clarté", a expliqué le ministre, qui précise par ailleurs qu'un "dispositif global, modernisé et stabilisé" de réforme de l'assurance-vie sera présenté en projet de loi de finances rectificative.

La décision de revenir sur le projet polémique a été décidé à des fins de "justice", de "simplification", et de "stabilisation de la fiscalité de l'épargne pour que les Français soient rassurés", a affirmé Bernard Cazeneuve. Samedi, le ministre avait pourtant adressé une mise en garde en estimant qu'il y aurait un risque d'inconstitutionnalité si le PEL et l'épargne salariale étaient exemptés de la hausse à 15,5% de la fiscalité sur certains produits d'épargne.

Dans la nouvelle mouture allégée, "le principe d'égalité est ici respecté, compte tenu de la spécificité de chaque produit d'épargne", assure le ministre. Bernard Cazeneuve conteste néanmoins toute rétroactivité fiscale, dans la définition légale actuelle. "Il n'y a pas de rétroactivité dans le cas présent puisque la mesure s'applique au moment où les gains sont perçus, pas avant". Il rappelle aussi que la droite comme la gauche ont pris dans le passé des mesures "comparables", notamment en 2006 et que le Conseil constitutionnel les a validé.

L'opposition de droite se saisira néanmoins de ce recul pour enfoncer le clou. L'ancienne ministre du budget, Valérie Pécresse, veut déposer une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution une "règle d'or" fiscale afin de préserver la confiance dans l'impôt, annonce le JDD. Cette proposition Pécresse comportera deux articles : un principe de non-rétroactivité fiscale et un principe de stabilité empêchant tout gouvernement de changer l'impôt plus d'une fois par législature. Nicolas Sarkozy en 2001 avait proposé une mesure identique, rejeté par la majorité socialiste de l'époque, mais ne l'avait pas reprise une fois au pouvoir...

Il assure cependant que cette mesure, prévue pour rapporter 600 millions d'euros, et qui en rapportera désormais seulement 400 millions, ne correspond pas à une taxe nouvelle et que "la plupart des revenus de l'épargne et de l'immobilier contribuent déjà à la Sécurité sociale, par les prélèvements sociaux, au taux de 15,5%".

Par ailleurs, il ne s'agit pas, selon lui, d'une augmentation de taux contrairement à la droite, "qui elle, l'a en revanche fait passer de 11% à 15,5% entre 2009 et 2012, ce qui correspond à une ponction de 6 milliards d'euros".

L'épargne réglementée (Livret A, Livret de développement durable) n'a jamais été concernée par cette mesure, rappelle le ministre.

Le budget de la Sécurité sociale et son volet controversé sur l'épargne doivent être soumis au vote de l'Assemblée nationale mardi. Un amendement de dernière minute viendra donc in fine mettre fin à cette polémique fiscale.

Ce revirement intervient sur fond de ressentiment croissant contre les hausses d'impôts. Samedi, en Bretagne, des heurts violents ont eu lieu à propos du projet d'écotaxe poids lourds, alors même que la région bénéficie du fait de sa situation géographique d'un abattement de 50%. Mais comme l'avait reconnu lui-même en septembre Pierre Moscovici le "ras-le-bol" fiscal domine désormais le pays et la moindre annonce d'impôt est désormais contestée. Contribuant au malaise, l'exécutif avait entretenu en septembre un certain flou sur la "pause" fiscale. Le président François Hollande l'avait promise dès 2014, et Jean-Marc Ayrault avait cependant précisé, quelques jours plus tard, qu'elle ne serait "effective" qu'en 2015. Le gouvernement promet que dans les prochains budgets, l'accent sera désormais mis sur la réduction des dépenses publiques. Le prochain rendes-vous sera toutefois en janvier la hausse de la TVA, de 19,6% à 20% pour le taux normal et de 7% à 10% pour le taux intermédiaire. Une hausse qui est contestée par de nombreux secteurs d'activité comme le bâtiment et les transports, y compris les transports publics qui sont concernés par les 3% de hausse du taux intermédiaire.

Reste à voir si ce recul sur la taxation de l'épargne suffira pour calmer la colère des épargnants alors que des pétitions circulent désormais pour que l'assurance-vie, le placement préféré des Français, qui représente 1400 milliards d'euros, ne soit pas concernée non plus.

Le secrétaire général du cercle des épargnants Philippe Crevel a estimé dimanche que la décision du gouvernement de revenir sur l'alignement à 15,5% des prélèvements sociaux sur certains produits d'épargne correspondait à "un rafistolage au fil de l'eau". Il estime qu'en voulant traiter « de manière différenciée les produits d'épargne, le gouvernement ajoute une nouvelle couche d'inégalité de traitement ».

Selon lui, cette décision va "pénaliser les titulaires de contrats d'assurance-vie" soit "le produit d'épargne le plus diffusé après le Livret A". 62% des ménages français disposent d'un contrat d'assurance-vie "et ils sont loin d'être tous riches", a-t-il insisté.

Le ministre délégué au Budget Bernard Cazeneuve a annoncé dans son entretien au Journal du Dimanche que l'assurance-vie fera l'objet d'une réforme plus globale dans le projet de loi de finances rectificative d'ici la fin de l'année. Pour les associations d'épargnants, qui, comme l'AFER, qui représente plus de 700.000 souscripteurs, il faut un véritable moratoire sur l'assurance-vie pour rétablir la confiance des Français dans l'épargne longue faute de quoi il sera impossible d'assurer le succès du nouveau contrat euro-croissance que le gouvernement veut créer pour inciter à un blocage de l'épargne sur une plus longue période, afin de financer les entreprises.

Revenant, sur Europe1/LCI sur cet épisode malheureux, dimanche matin, Pierre Moscovici a tenté de calmer le jeu. "Dès lors qu'il y avait un doute, il fallait y répondre", a-t-il déclaré, ajoutant "nous avons entendu ces inquiétudes des petits épargnants"

"Quand on est capable d'écouter, d'entendre un pays aussi fragile, c'est aussi une vertu", a-t-il dit après avoir affirmé que l'exécutif pouvait "adapter ses décisions". Il a précisé qu'il détaillerait "dans les prochains jours", la réforme déjà annoncée de l'assurance-vie. L'objectif est que celle-ci soit "davantage orientée dans des produits plus risqués qui contribuent au financement de l'économie, notamment de l'investissement et en particulier des PME et des ETI".

Cette réforme prévue pour s'intégrer dans le projet de loi de finances rectificative pour 2013 qui sera présenté en novembre, "va s'emboîter" avec la décision prise par le gouvernement de sortir les PEA, PEL et épargne salariale de la mesure d'alignement des prélèvements sociaux à 15,5%. Concrètement, a détaillé Pierre Moscovici, en précisant avoir travaillé samedi "ensemble avec Bernard Cazeneuve" sur cette question, les plans d'épargne en actions (5 millions), les plans d'épargne logement (12 millions) et l'épargne salariale qui concerne 10 millions de portefeuilles, sont "exonérés de cette mesure".

"Les contrats d'assurance-vie en euros n'y étaient pas assujettis, ce qui reste, ce sont les contrats d'assurance-vie multi-supports qui ne sont pas les plus petits", a-t-il ajouté. Quant à la réforme de l'assurance-vie, elle permettra selon lui "de maintenir un taux élevé de rendement et de garantie avec des produits risqués".