"Dans certaines professions artisanales, le sentiment d'exaspération est à son comble"

Par Propos recueillis par Fabien Piliu  |   |  725  mots
"Dans de trop nombreux domaines, les professionnels souffrent du mille-feuilles réglementaire, fiscal et administratif", explique le président de l'APCMA.
Dans un entretien accordé à La Tribune, Alain Griset, le président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA), tire la sonnette d'alarme sur la situation économique de l'artisanat et sur le sentiment d'injustice qui prévaut face à une concurrence jugée déloyale. Une concurrence qui serait encouragée par l’État et acceptée par la société française.

Quelle est la situation économique des entreprises artisanales ?

Elle est catastrophique ! Et je pèse mes mots. Après une décennie de croissance, l'activité des entreprises artisanales est en chute libre depuis 2012. Selon la dernière enquête conjoncturelle réalisée par l'Union des professions artisanales (UPA), tous les secteurs ont vu leur activité décliner depuis trois ans. La situation est particulièrement critique dans le bâtiment, la fabrication et les hôtels-café-restauration.

Vous évoquez les difficultés du bâtiment. Les récentes annonces du gouvernement pour relancer l'activité de ce secteur sont-elles insuffisantes ?

Je ne peux pas présager de leurs effets éventuels. Mais elles prendront du temps avant de se traduire par une augmentation de mises en chantier. En attendant, les carnets de commande sont vides. La mise à la diète de l'Etat et des collectivités territoriales n'arrange rien.

 Que peut faire le gouvernement ?

Il aiderait beaucoup les entreprises artisanales s'il ne permettait pas, voire s'il n'encourageait pas les situations de concurrence déloyale.

Vous voulez parler de la concurrence des auto-entrepreneurs ?

Non, ce problème est en passe d'être réglé, même si nous attendons toujours un alignement des régimes fiscaux et sociaux avec les autres différents régimes. Ce que je dénonce, c'est la multiplication des statuts, des autorisations, des régimes qui permettent à tout un chacun d'exercer une activité sans être obligé de s'inscrire au registre des métiers, d'être formé, de s'assurer, de verser des cotisations sociales. Bref, le travail au noir est encouragé à la vue de tous.

Vous visez les sociétés de transport de personnes ?

Elles ne respectent pas les mêmes règles que les artisans taxis, c'est un fait. La justice française a d'ailleurs condamné l'une d'entre elles récemment parce qu'elle avait tenté de faire passer son offre pour du covoiturage. Mais ce ne sont pas les seuls exemples. Par ailleurs, au sein même du secteur artisanal, des différences de traitement existent. Dans le secteur des métiers d'art, certains bénéficient par exemple d'un régime de faveur puisqu'ils versent moins de cotisations sociales. Il en est de même pour les agriculteurs qui exercent des activités artisanales.

Mais la concurrence a toujours existé !

Bien sûr ! Le travail au noir également. Mais lorsque les mauvaise années s'enchaînent, que le nombre de défaillances d'entreprises ne cesse de progresser, la colère monte face aux injustices.

 La colère ? Vous craignez des débordements ?

Dans certaines professions, le sentiment d'exaspération, en France, est à son comble. Lors d'un récent déplacement en Allemagne, j'ai été frappé, à l'inverse,  par la  confiance des artisans allemands dans leur économie. Selon une enquête publiée par le ZDH, notre homologue allemand, 90% d'entre eux ont confiance en l'avenir. Le contraste avec la situation actuelle en France est saisissant.

Pourtant, le gouvernement a multiplié les annonces en faveur des entreprises. Les entreprises artisanales en bénéficient comme les autres.

Certes. Mais les nouvelles mesures comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi [CICE]  ou les allégements de cotisations patronales contenues dans le Pacte de responsabilité ne font que compenser l'augmentation de la pression fiscale subie lors des deux premières années de quinquennat. Et comme la conjoncture ne cesse de se dégrader, les artisans continuent de souffrir.

Quelles seraient les solutions pour apaiser la société et relancer la machine économique ?

Dans de trop nombreux domaines, les professionnels souffrent du mille-feuilles réglementaire, fiscal et administratif. La France souffre de l'inertie que cette sur-administration provoque. Il faut libérer les énergies en faisant , point par point, table rase du passé, ce qui permettrait de mettre fin à des exemptions qui n'ont plus lieu d'être,  et surtout de reconstruire un nouveau modèle en partant des solutions qui marchent. Ce n'est qu'à cette condition que le sentiment d'injustice disparaîtra.

Ne distinguez-vous pas, dans la situation actuelle, quelques points positifs ?
Si. Le nombre de candidats à l'apprentissage augmente. C'est un signe encourageant. Il reste maintenant à leur trouver des entreprises qui les embaucheront et des maîtres d'apprentissage. Or, les dernières réformes de l'apprentissage ont découragé les premières et provoqué une certaine crise des vocations des seconds...