Avec des aides futées, une entreprise en grande difficulté peut s’en sortir

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  740  mots
Vincent Harang montre à Jean Paul Huchon que le désossement est toujours manule
Si, une industrie de main d’œuvre, dans un secteur terriblement concurrentiel, peut s’en sortir. Après des années de "galères", le seul abattoir de porc d’Ile-de-France va, grâce au CICE, à la BPI et à des aides futées du Conseil Régional, dégager un premier résultat positif et conquérir des parts à l’exportation en Asie.

Vincent Harang épluche la presse économique tous les jours. Il est Pdg du dernier grand abattoir de porc français en dehors de la Bretagne. Et, depuis son dépôt de bilan en 2004, il est sous surveillance. Ses comptes, chaque mois, il les « fait au millième d'euro » et il « fait attention à la minute où l'on éteint la lumière ». Du coup, lorsqu'en 2012, il découvre le principe du CICE dans son journal économique préféré, il se dit qu'il va peut-être s'en tirer.

Un abattoir c'est de la main d'œuvre (50% des dépenses) et de la trésorerie (250.000 euros en moyenne par semaine pour 2.500 porcs abattus). La main d'œuvre n'est pas forcément très chère (90% des salariés de l'abattoir Harang sont éligibles au CICE), mais la trésorerie est lourde car Vincent Harang paie quasiment tout son cochon immédiatement tandis que, lui, n'est payé qu'à 21 jours.

Des prix fluctuants, des marges proches de zéro...

Et il faut beaucoup de trésorerie car le cochon est versatile. Son prix est fixé au cadran à Saint-Brieuc les lundis et vendredis et il faut répercuter chaque variation dans la minute, tout en livrant une guerre féroce, à l'autre bout de la chaîne, à la grande distribution.

Dans l'abattage, personne n'est maître de son marché ni de ses marges. Ces dernières sont souvent proches de zéro, voire assez fréquemment négatives. A tel point que cet abattoir d'Houdan, dans les Yvelines, n'a même pas forcément de quoi s'acheter un nouveau camion pour livrer Paris. Un cercle vicieux : depuis 2004, la seule stratégie possible pour s'en sortir et rembourser ses dettes (1,4 million d'euros) a été de diviser le chiffre d'affaires par deux pour limiter drastiquement ses besoins de trésorerie.

Des coûts salariaux deux fois moindres en Allemagne

Mais, en 2012, Vincent Harang "comprend le CICE tout seul" et débarque immédiatement à la BPI. Il avait anticipé qu'aucune banque privée ne lui ferait jamais l'avance de trésorerie sur son CICE. La BPI lui avance 60.000 euros de trésorerie en 2013. Elle passe à 100.000 euros en 2014.

Dans son abattoir, l'heure de travail chargée est entre 15 et 17 euros, quand, dans les abattoirs allemands, elle se situe souvent à 8 euros. Face à un concurrent allemand qui a le même nombre de salariés et le même chiffre d'affaires, il est plus cher d'un million d'euros par an.

Le CICE (1.000 euros par salarié pour Harang qui emploie 85 personnes) et l'avance lui envoient donc une première bouffée d'oxygène. Mais, surtout, la BPI lui fait découvrir le monde merveilleux des aides du Conseil régional. Il en existe quatre en Ile-de-France pour sécuriser les entreprises menacées, et il décroche 251.000 euros d'une aide appelée "Rebond prévention", qui conforte sa trésorerie. Une aide destinée aux entreprises cotée 5 ou 5+ par la Banque de France car leur capacité de remboursement est supposée "assez faible". Aucune chance pour elles de croiser un regard compatissant dans une banque privée...

Quand "Le porc francilien" devient compétitif... en Asie

Mais avec le CICE (100.000 euros), la BPI (250.000 euros) et l'Ile-de-France (250.000 euros), "le banquier va se détendre", souligne en souriant Jean-Paul Huchon, le président du Conseil régional. Et il va bien falloir qu'il se détende car Vincent Harang investit dans une nouvelle marque, "Le porc francilien" - du porc "local", nourri avec 10% de graines de lin car "ça l'attendrit et lui donne de la saveur".

Du coup l'abattoir Harang sera peut être, en 2014, l'un des seuls à sortir du rouge ! Et il revient de loin: avec 25 millions de chiffre d'affaires, il n'a réussi à dégager son premier résultat positif (100.000 euros) que l'année dernière.

Mais cela risque d'être très rude. D'un côté, la grande distribution qui, elle aussi gère au millième d'euro, se lance dans les abattoirs intégrés (Leclerc et Intermarché). De l'autre, les Allemands sont toujours aussi peu chers. Alors, Vincent Harang voit une double stratégie: une meilleure qualité sur le marché intérieur, et les opportunités de plus en plus importantes avec l'Asie. Le prix du porc baisse, celui des céréales aussi, et un abattoir des Yvelines peut devenir concurrentiel en Thaïlande. En tout cas, la viande en partance pour l'Asie remplit les frigos de Vincent Harang.