Pourquoi la BCE est opposée à toute restructuration de la dette grecque

Par Robert Jules  |   |  706  mots
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Le président de l'institution européenne a insisté jeudi à Francfort sur le rejet par son institution de toute option débouchant sur un "événement de crédit", s'opposant ainsi à la position de Berlin.

Jean-Claude Trichet l'a martelé à nouveau jeudi, lors de sa conférence de presse qui a suivi la réunion du conseil de la BCE : « La Banque centrale européenne est contre un événement de crédit. » Autrement dit, le gouverneur réaffirme son opposition résolue à toute idée d'une « restructuration de la dette », en l'occurrence celle de la Grèce, comme le demande l'Allemagne.

Le débat devrait donc être vif lors de la réunion de l'Eurogroupe le 20 juin, préambule au Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement les 23 et 24 juin, qui devra trancher sur l'aide à apporter à une Grèce incapable de pouvoir se financer sur les marchés en 2012 comme prévu.

Plusieurs pays, dont l'Allemagne, qui font face à l'hostilité croissante de leurs opinions publiques, veulent réduire au minimum leur contribution à une nouvelle aide à la République hellénique dont les besoins pour faire face à ses engagements d'ici à 2014 sont estimés à quelque 90 milliards d'euros. Ces États souhaitent donc que les détenteurs privés d'obligations grecques participent aussi à l'effort.

« Dans l'affaire grecque, les Européens sont dans une impasse. Le gouvernement allemand dit qu'il faut une restructuration de la dette, les agences disent qu'une restructuration est une forme de défaut, et la BCE dit qu'elle n'acceptera pas des obligations en défaut en collatéral », résume Maurice de Boisséson, chez Octo Finances.Surtout, le risque d'un « événement de crédit » pourrait s'avérer préjudiciable pour la BCE, et mettre à mal son indépendance sur laquelle s'est bâtie sa réputation.

En effet, dans le cadre de la résolution de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, elle a acheté des obligations des pays fragiles à hauteur de 444 milliards d'euros, dont 190 milliards d'euros de papier grec, selon une étude du think tank Openeurope. Selon les calculs des experts de Open Europe, le chiffre de quelque 440 milliards d'euros d'exposition de la Banque centrale européenne (BCE) découle de l'addition de l'obligataire qu'elle a acheté : 60 milliards d'euros de titres grecs, 18 milliards de titres irlandais et 20 milliards de titres portugais.

Mais il s'agit là en fait de montants exprimés en nominal. En réalité, le prix d'achat effectif est de : 42 milliards d'euros pour les titres grecs, 14,4 milliards pour les irlandais, 18 milliards pour les portugais, soit un montant de 74,4 milliards d'euros.

A cela, les experts d'Open Europe ajoutent les crédits consentis à des conditions attractives aux banques de ces pays plus l'Espagne et l'Italie et les collatéraux inhérents dont Open Europe souligne qu'ils souvent des produits titrisés ABS (Asset Backed Securities). Or s'ils ne sont pas tous classés « toxiques », il reste difficile à déterminer les risques potentiels de pertes en cas de restructuration de la dette souveraine grecque dans un premier temps. Selon les calculs d'Open Europe, les montants en question s'élèvent à 97,7 milliards (Grèce), 126 milliards d'euros (Irlande), 41 milliards d'euros (Portugal), 47,4 milliards d'euros (Italie), 57,1 milliards d'euros (Espagne), soit un total de 369,2 milliards d'euros, qui ajoutés à la valeur réelle d'achat de l'obligataire (74,4 milliards), donne un montant de 443,6 milliards.

Cela souligne le risque auquel est exposé la BCE en cas de défaut de dette et les conséquences sous forme de contagion aux autres maillons faibles de la zone euro. De facto, une décote de ces actifs la rendrait extrêmement vulnérable, et très dépendante des États de la zone euro, qui devraient la recapitaliser. « Si la Grèce devait restructurer la moitié de sa dette, un niveau où elle redeviendrait soutenable, la BCE pourrait subir entre 44,5 milliards et 65,8 milliards d'euros de pertes sur les obligations et les titres en collatéral des banques grecques qu'elle détient », ont calculé Raoul Ruparel et Mats Persson, chez Openeurope.

Une solution pour sortir de l'impasse consisterait en un rachat par les États de la zone euro, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), de ces titres détenus par la BCE. « Cette option discutée il y a quelques mois était tombée à l'eau. Il serait de l'intérêt de tous de la faire aboutir au Conseil européen des 23 et 24 juin », juge Bruno Cavalier, chez Oddo Securities.