Le Danemark revient aux contrôles aux frontières

Par Sylvain Rolland  |   |  919  mots
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Le Danemark rétablit dès ce mardi les contrôles douaniers permanents à ses frontières. La mesure, votée sous la pression de l'extrême droite, suscite l'inquiétude en Europe, qui craint la remise en question des accords de Schengen. Un ministre allemand appelle à boycotter le tourisme dans le royaume. Néanmoins, les conséquences de ce retour des contrôles seront faibles, voire nulles pour l'économie.

Le Parti du peuple danois (PPD), conservateur et populiste, a remporté une belle victoire politique. A partir de ce mardi, le gouvernement danois rétablit les contrôles douaniers permanents aux frontières. Concrètement, le gouvernement va déployer un total de cinquante agents des douanes aux frontières du Danemark avec l'Allemagne et avec la Suède, pour un coût de 270 millions de couronnes (36 millions d'euros) par an. Mais, pour des raisons logistiques, les installations définitives et permanentes ne seront pas en place avant 2014. Le ministre des Impôts, Peter Christensen (libéral), a également annoncé que 48 agents supplémentaires seraient envoyés en renfort à l'occasion du Nouvel An.

Néanmoins, si cette mesure témoigne d'une volonté de repli sur soi, les conséquences économiques seraient minimes. Les contrôles visent seulement à limiter les fraudes et rendre le pays plus difficile d'accès aux contrebandiers. "Il est seulement question de contrôler le transport d'objets comme des armes et des drogues, et pas du tout de contrôler les identités des personnes ou leurs passeport, ni de rétablir les contrôles frontaliers à l'ancienne", a précisé la ministre des Affaires étrangères, Lene Espersen. Du coup, les entreprises françaises qui exportent au Danemark ne sont pas le moins du monde inquiètes. "Cette mesure n'aura absolument aucun impact pour les entreprises françaises, pour aucune entreprise de n'importe quel pays d'ailleurs. Quand on regarde de près, il n'y aura pas de taxes autres que celles qui existaient jusqu'à présent", indique-t-on à la Chambre de commerce franco-danoise, à Copenhague.

Portée symbolique

Malgré tout, la portée politique et symbolique d'une telle mesure est forte. Politiquement, elle confirme l'influence de l'extrême droite au Danemark, qui appuie le gouvernement de centre-droit depuis 2001 et qui ne cesse de réclamer un durcissement de la politique du pays à l'égard des étrangers. Avec la question des retraites, celle de l'immigration est le sujet de débat le plus brûlant dans le pays, soumis comme la plupart de ses voisins d'Europe du Nord à une montée des idées populistes dans l'opinion.

Symboliquement, le Danemark est le premier pays à concrétiser ses critiques contre Schengen en votant une mesure qui pourrait être contraire à l'esprit des accords signés en 1985 et entrés en vigueur dix ans plus tard. La Commission européenne s'en ait d'ailleurs émue depuis l'annonce du vote de cette loi, le 10 mai. "La Commission n'hésitera pas à intervenir si les fondements du projet européen sont remis en question", avait averti mi-mai le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

En Allemagne, le grand voisin au sud du royaume danois, les réactions sont plutôt vives aux frontières rétablies par Copenhague. Le ministre aux Affaires européennes du Land de Hesse (région de Francfort) appelle ainsi au boykott touristique du Danemark. "Si le Danemark réintroduit juste au moment des vacances les contrôles aux frontières, je ne peux que conseiller de faire demi-tour et d'aller plutôt passer ses vacances en Autriche ou en Pologne", a déclaré ce responsable libéral, Jörg-Uwe Hahn, au quotidien populaire Bild Zeitung.

Sa collègue de parti, la ministre fédérale allemande de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, avait indiqué le week-end dernier qu'elle "souhaite que la Commission européenne, en tant que gardienne des traités, vérifie la compatibilité de la décision danoise avec la législation européenne", qualifiant cette décision "de mauvais jour pour l'Europe".

Dès mai dernier, le ministre fédéral allemand de l'Intérieur, Hans-Peter Friedrich, pourtant du parti conservateur bavarois CSU très en pointe pour réclamer des mesures drastiques sur la sécurité intérieure, avait souligné "ne pouvoir accepter que Schengen soit sapé".

Pourtant, le Danemark n'est pas le seul pays à remettre en cause l'espace Schengen. Au printemps dernier, la France a tapé du poing sur la table, s'estimant submergée par l'arrivée  l'arrivée massive de migrants fuyant la Tunisie, l'Egypte ou la Libye. Le 24 juin dernier, les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-sept ont appuyé un projet de réforme, visant à mieux contrôler les frontières extérieures de l'espace Schengen et à permettre un rétablissement des frontières internes dans des cas extrêmes. De quoi calmer la brouille naissante entre la France et l'Italie, qui voulait partager le "poids" de l'arrivée massive de migrants nord-africains.

Inquiétudes européennes

Au Danemark aussi, l'entrée en vigueur de cette mesure inquiète une partie de la population. Des voix s'élèvent pour contester son efficacité. L'opposition sociale-libérale, par la voix de l'ancienne parlementaire européenne Lone Dybkjaer, a fustigé une mesure "inutile et inefficace" pour contrôler la criminalité transfrontalière, et a soulevé les problèmes logistiques et économiques d'une telle décision, qui reviendrait selon elle à pénaliser les travailleurs pendulaires, ceux qui passent la frontière tous les jours pour venir travailler au Danemark depuis la Suède ou l'Allemagne. les opposants craignent surtout qu'une barrière symbolique soit tombée, et que le Danemark passe pour un pays replié sur lui-même. 

De plus, d'autres pays eurosceptiques pourraient en prendre de la graine. La Finlande en tête, qui s'était déjà distinguée en adoptant in extremis le plan de soutien au Portugal fin mai, et qui se montre très critique envers l'espace Schengen.