Reportage : les "indignés" de Wall Street ne baissent pas la garde

Par Sixtine Léon-Dufour, à New York  |   |  724  mots
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Ignoré au début, le mouvement « Occupy Wall Street » rencontre de plus en plus d'échos à travers les Etats-Unis, mais également à l'étranger. Discussions à New York avec différents "indignés" qui témoignent de leurs motivations.

Certains «doormen», au passage du cortège, lèvent timidement leurs pouces en l'air, en signe d'encouragements. Mais la plupart, cintrés dans leurs uniformes, restent barricadés derrière les lourdes portes en fer forgé. Les immeubles cossus de la 5ème avenue, à hauteur de Central Park, ont reçu pour consigne de bloquer l'accès des halls à quiconque ne réside pas dans l'immeuble. Et pour cause. Les « 99% » arrivent. Une foule, de quelques centaines de manifestants à peine, mais qui scande vigoureusement leurs slogans, est en marche pour cracher sa détestation sous les fenêtres de certaines personnalités parmi les plus riches de la ville. A regarder cette colonne de chômeurs, de latinos, de jeunes, de retraités ou de simples déçus de la présidence Obama, impossible de ne pas faire le parallèle avec la marche des femmes vers Versailles en 1789 pour réclamer du pain. D'ailleurs l'un des manifestants a affiché « Liberté, égalité, fraternité » sur un drapeau américain. Premier arrêt en bas de chez Rupert Murdoch, le magnat de la presse. « Il a payé son appartement de 20 pièces 44 millions de dollars et il est moins taxé que nous », hurle Liz Sanchez , une étudiante déjà mère de deux enfants, dans son mégaphone. « Voici son numéro de téléphone ! Saturez sa ligne avec vos revendications ! », poursuit-elle.

Du jamais vu dans l'Upper East Side

De l'adresse de David Koch, richissime industriel, fervent défenseur du Tea Party à celle de Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, la foule disciplinée continuera tout l'après-midi d'égrener ses slogans, de la cinquième à Park avenue. Du jamais vu dans le très chic Upper East Side. Les habitants du quartier sont perplexes. « Franchement, ils feraient mieux de chercher un boulot plutôt que de nous casser les pieds », lâche un quadra en costume, visiblement pressé. Une femme plus âgée, l'allure bien mise, dit quant à elle « qu'elle n'a absolument jamais vu ça dans le quartier. Ni tellement à d'autres endroits, d'ailleurs. »

"On n'est pas tous pourris dans la finance!"

Tout en bas de Manhattan, à Wall Street, la place Zuccoti, est occupée sans interruption depuis la mi-septembre. Et justement « ça commence à suffire à présent ce campement et tout ce désordre, » peste John Delaney, qui travaille dans le quartier avec son costumùe impeccable. « Je comprends très bien, voire j'adhère à certaines de leurs revendications, sur l'assurance santé par exemple. Mais on n'est pas tous pourris dans la finance », poursuit-il. Le maire Michael Bloomberg, qui aurait probablement préféré que New York soit épargné, a comparé ce mouvement qui enfle depuis 4 semaines aux « manifestations contre la guerre au Vietnam. »

Boston, Washington, Chicago...

Car oui, un peu partout, aux Etats-Unis le mouvement prend de l'ampleur. Boston, Washington, Chicago... Les consciences se politisent. Demain, le mot d'ordre a été passé d'embraser le monde. Huit villes du Canada préparent leurs banderoles pour le 15 octobre. Corée, Australie, Grande-Bretagne... Plus d'une vingtaine de pays devraient aussi protester ce samedi contre les rapaces de la finance, l'inégalité croissante, les échecs du système politique ou le «diktat des multinationales».

« Tea Party de gauche »

Si tous ces révoltés de Wall Street se disent apolitiques, ils sont plutôt à la gauche de Barack Obama. Et formeraient peut-être un « Tea Party de gauche » comme les média américains aiment à l'écrire. Il est vrai qu'ignoré à ses débuts,le mouvement attire maintenant les acteurs de la gauche, en particulier les syndicats.

Selon une étude d'ORC international, menée notamment pour CNN, la moitié des adultes aux Etats-Unis a entendu parler du mouvement. Parmi eux, 27% sont d'accord avec les manifestants et 54% n'ont aucune opinion. Symptomatique de ces deux Amériques qui se regardent et ne se comprennent pas forcément. « Le futur de ces manifestations sera dépendant de la capacité des leaders à délivrer un message clair et qui ait du sens pour la classe moyenne », explique Jeffrey Resnik, l'un des directeurs d'ORC. Il n'y a ni figure, ni message structuré, juste l'expression commune d'un raz le bol généralisé. Mais la stratégie d'occupation commence à payer. Des dons affluent. Pied de nez aux cols blancs, ils ont créé leur propre organe de presse : The Occupied Wall Street journal. Il tire à 70.000 exemplaires...