BCE : un nouveau patron pour de nouvelles ambitions

Par Isabelle Croizard  |   |  737  mots
La Tribune infographie
Mario Draghi succède à Jean-Claude Trichet à la tête d'une banque européenne sous pression. A court terme, il lui faudra éviter tout dérapage du marché obligataire, un blocage du marché monétaire et conjurer les risques de récession. Mais il devra aussi accompagner la marche vers une gouvernance économique de la zone euro.

La physionomie de l'Europe n'a pas changé en une nuit, fût-elle de sommet marathon. La Banque centrale européenne reste après treize ans d'existence et restera encore longtemps le seul organisme fédéral de la zone euro. Les traités européens ne seront pas modifiés du jour au lendemain, la marche vers une gouvernance économique de la zone, si elle apparaît désormais comme une ardente obligation pour la survie de la zone euro, prendra des années. Et à ce titre, la BCE va rester incontournable. D'autant plus incontournable que les quatre années de crise qui ont secoué la planète depuis l'éclatement de la crise des subprimes aux États-Unis, puis de la dette souveraine de la zone euro, ont fait d'elle un acteur politique de premier plan.

L'ambitieux testament légué par Jean-Claude Trichet servira de guide, mais le choc fédéral ne s'enclenchera que très progressivement. Quelques mois avant la fin de son mandat, le président avait posé cette question qui pouvait alors paraître saugrenue : « Serait-ce trop audacieux, d'un point de vue économique, avec un marché unique, une monnaie unique et une banque centrale unique d'envisager un ministre des Finances de l'Union ? » Si l'idée a commencé à faire son chemin, il n'en reste pas moins qu'elle implique, outre un abandon de souveraineté, répulsif pour bon nombre de responsables européens, une révision pure et simple des traités européens. Il s'agit donc d'un projet de moyen terme.

Les défis de la BCE restent énormes

À court terme, à l'heure du passage de témoin de Jean-Claude Trichet à Mario Draghi, les défis de la BCE restent énormes. Certes, l'accord des Dix-Sept de la zone euro décroché aux premières heures du 27 octobre a permis d'éviter une catastrophe, mais il ne constitue qu'un pare-feu. Il faut à tout prix éviter que le marché obligataire, source essentielle du financement de l'économie, ne dérape, que le marché interbancaire ne s'asphyxie et que l'économie ne s'enfonce dans la récession.

Pour la première de ces trois missions, la BCE a réussi à préserver son indépendance en n'étant pas impliquée dans le processus d'optimisation du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais le FESF ne va pas pour autant, malgré sa force de frappe démultipliée, lui permettre, comme elle l'aurait souhaité, de se désengager rapidement du marché de la dette où elle était entrée à contrecoeur en mai 2010, lors de la première phase de la tragédie grecque. La BCE a actuellement en portefeuille pour 173,5 milliards d'euros d'emprunts d'État, essentiellement grecs, portugais et irlandais et depuis août dernier espagnols et italiens. Des titres acquis sur le marché secondaire, celui de la revente par les investisseurs, car le traité européen lui interdit de financer directement les États. Ce montant n'est certes pas comparable à celui accumulé par la Fed, via la monétisation de la dette publique, dont le bilan est gorgé de quelque 1.700 milliards d'actifs. Mais un retrait trop rapide de la BCE serait ravageur pour le marché obligataire, où les rendements à long terme des pays notés triple A de la zone euro se maintiennent à des niveaux voisins de leurs records.

La deuxième mission de la BCE, qui consiste à alimenter le circuit bancaire en liquidités, est d'autant plus cruciale que - c'est une spécificité de la zone euro - les banques assurent 75 % du financement de l'économie. Ayant déjà détricoté ses mesures de sortie de crise, notamment en exhumant les adjudications à un an, la BCE va devoir se concentrer sur son rôle captif de refinancement des banques, ses capacités étant en théorie illimitées. L'objectif : éviter une thrombose du marché monétaire de même nature que celle qui l'avait étranglé après la faillite de Lehman Brothers, lorsque les banques étaient entrées dans l'ère du soupçon.

Enfin, face au coup de froid qui s'abat sur l'économie, la BCE risque d'être contrainte de faire marche arrière sur sa politique monétaire conventionnelle. Après les deux tours de vis d'avril et juillet, qui ont porté le taux directeur de 1 % à 1,5 %, c'est à une détente que s'attendent maintenant les marchés. Ce pourrait être l'acte fondateur du nouveau président, d'ici à la fin de l'année.